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L'Horreur, c'est toujours les autres.

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[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°68]
Spirale - Junji Ito (1999)

La peur en bande-dessinée, quelle que soit la contrée d'où elle provient, se situe dans une zone indéfinie entre le challenge et le sacerdoce. Pour les artistes comme pour le lecteur, d'ailleurs, qui souvent excité par telle ou telle proposition se trouve à soupirer ou pouffer devant des cases trop ridicules/kitsch/overzetop pour réellement être effrayé – à moins qu'il n'ait simplement perdu une heure de sa vie à s'ennuyer dans les méandres d'un thriller plus psychologisant qu'atmosphérique. Non que la BD soit par essence totalement réfractaire au genre, mais... en fait, si. Exprimer la peur, celle de personnages, pourquoi pas. Bon courage en revanche pour susciter celle d'un lecteur qui, outre qu'il en a vu beaucoup d'autres, ne se laisse pas forcément prendre si facilement par des cases que par des images en mouvement, des sons ou tout simplement le labyrinthe de sa propre imagination.

Ici, le spécialiste ou simple amateur éclairé s’exclamera, outré, que j'enterre un peu vite le manga. J'en conviens. Je n'ai jamais fait mystère que ce n'était pas ma spécialité, ou plutôt que cela ne l'était plus puisque, passionné par ce medium entre mes 10 et 18 ans, je m'en suis peu à peu désintéressé en vieillissant, au point d'ignorer jusqu'aux noms et titres de ses grands contemporains (qui n'étaient de toute façon pas traduits chez nous lorsque j'étais ado). Mais je n'ai pour autant jamais complètement cessé d'en lire, et on ne peut pas dire que les titres censément effrayants que l'on m'ait recommandés m'aient glacé le sang et fait trembloter sous ma couette comme les meilleures nouvelles de Lovecraft autrefois. Peut-être d'ailleurs suis-je trop âgé, désormais, pour trembloter sous ma couette. Du moins était-ce la conclusion à laquelle je parvenais à peu près au moment où ma femme me mit Spirale entre les mains.


Dans l'absolu, ce manga en trois tomes (plutôt courts, et réédités l'an dernier un seul) ne se démarque pourtant pas tant que cela de l'horreur japonaise typique, celle que l'on connaît surtout chez nous via le cinéma des Nakata, Miike, Shimizu et autres Kyoshi Kurosawa. Un art du dérèglement du réel, de l'atmosphère irrespirable et de l'outrance graphique qui, s'il peut parfois ennuyer ou irriter à l'écran trouve une forme d'expression absolue dans l’œuvre de Junji Ito. Les films de Takeshi Miike sont probablement, sur le papier, ce qui rapproche le plus de la démesure de Spirale ? Je les trouve quasiment in-regardables, quand je me suis laissé emporté par Ito dès les premières pages.

Sans doute parce qu'il réussit à jouer sur plusieurs tableaux à la fois, le mangaka parvient à proposer une œuvre extrêmement riche et profonde en dépit de sa brièveté et des spécificités de sa construction. Les deux premiers tomes sont uniquement composés de brefs chapitres à la continuité minimale (forme dans laquelle je découvrirai par la suite que l'artiste excelle), heureusement trop peu nombreux pour être répétitifs, bien qu'ils fonctionnent presque tous sur le même principe : quelqu'un va se retrouver obsédé par les spirales, et finir par mourir dans d'atroces souffrances pour le moins... spiralées (oui, ce terme existe). Car le sujet de la série n'est pas étranger à son pouvoir d’attraction : comme tout bon récit d'horreur, Spirale part d'un constat presque banal (la spirale, en tant que forme, existe partout autour de nous, le plus souvent à l'état naturel) pour l'étirer jusqu'à la folie. Le lecteur suit les pérégrinations de Kirié, jeune lycéenne mimi comme tout qui semble être la seule (avec son ami Shuichi) à remarquer que toute la ville paraît petit à petit obsédée par les spirales. Il faut une petite trentaine de pages – et une première mort bien gore – pour comprendre le système qui s'installe. Dès lors, chaque chapitre montera en puissance non seulement dans l'horreur (voire par instant le dégueulasse pur et dur... mou), mais encore dans la folie. La lubie des uns deviendra l'obsession des autres, pour finir par prendre le nom de Malédiction de la Spirale, qui paraît chaque fois étendre un peu plus sa domination sur la paisible bourgade de Kurouzu. Quelle est-elle ? Que veut-elle, puisque la spirale paraît presque un être vivant doué de volonté, à défaut de raison ? Il faudra attendre les toutes dernières pages pour avoir un embryon de réponse, qui n'apporte à vrai dire pas énormément au récit mais a le mérite, dans l'ultime ligne droite, de le redynamiser (le troisième tome, très réussi, est aussi par de nombreux aspects très différent des précédents). Dans Spirale, le mystère est surtout un pivot essentiel pour soutenir l'horreur elle-même. Ito est d'une égale inventivité dans chacun de ces domaines, et si ses nombreuses scènes chocs ne sont probablement pas étrangères à l'aura culte de son manga, celles-ci ne fonctionneraient assurément pas aussi bien si la narration n'était pas aussi maîtrisée (voir, à titre de comparaison, son autre classique Gyo, où le basculement dans une horreur quasi burlesque apparaîtra plus sordide que solide). Tout inquiète tout le temps, dans Spirale, y compris les évènements les plus communs. Tous les repères habituels sont brouillés, et si Kurouzu se dérègle et finit elle-même par paraître vivante, elle semble déjà dès le départ un univers hors du temps et de l'espace, aux limites géographiques floues – coincée entre la mer, une immense forêt et d'immenses montagnes. Imperceptiblement, on en voit la plupart des marqueurs temporels et technologiques disparaître, et l'on se fait la remarque que la capacité d'acceptation de l'horreur par ses habitants est tout sauf naturelle – disons qu'ils ont tendance à trouver les premières manifestations de la malédiction raisonnablement anormales, mais qu'ils s'y adaptent très (trop) rapidement. L'héroïne elle-même, qui témoigne pourtant d'une grande vivacité d'esprit dans les moments les plus tendus, paraît toujours bizarrement passive entre ces climax, reprenant tranquillement le court de sa vie et déambulant dans les rues comme si de rien n'était alors qu'elle a failli mourir cinq fois dans la semaine précédente.

Ne pas se fier à l'image : j'ai volontairement fait soft afin de ne pas vous spoiler... ni vous faire fuir.

Ce décalage pourrait être problématique n'était-ce, de toute évidence, une volonté de la part de l'auteur. Seul Shuichi (qui vit dans la ville voisine) suit une véritable progression psychologique, s'enfonçant lui aussi dans la folie, mais une folie différente, à la fois plus psychotique et plus lucide que ce qui contamine le reste des personnages. Il y a une évidente part de satire sociale dans cette manière de mettre en scène l'inertie collective face à une crise (littéralement) monstrueuse – et c'est loin d'être le seul thème sous-jacent dont Spirale est parcouru. Il suffit de jeter un œil à la page Wikipedia pour s'apercevoir que certains ont poussé très loin l'analyse, peut-être un peu trop, quand bien même il est assez indiscutable que Spirale propose une réflexion pour le moins transparente sur le rapport au regard des autres et le bourdonnement de la société japonaise. On évitera ici d'entrer dans le détail, car ce qui rend Spirale indispensable, au-delà de tout autre considération, c'est l'addiction que cette mitraille d'épisodes angoissants peut provoquer, et la manière dont ceux-ci savent surprendre presque sans relâche. Par instant, le suspens est tel qu'on ferme les yeux en tournant les pages afin de parfaitement les fixer sur la première case suivante, de peur de se faire spoiler du coin de l’œil la page d'en face. Peu de bande-dessinées provoquent un tel effet.


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