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Les Indignations sélectives

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Nous sommes le 15 février de l'An de Grâce 2018. 30 628 personnes ont signé ces derniers jours une pétition pour retirer ses Victoires de la Musique à Orelsan, auteur d'un des très bons albums francophones de l'année mais aussi, par le passé, de titres sexistes, misogynes, violents, qui lui valurent même un très long procès pour incitation à la violence envers les femmes. Pendant ce temps, 102 personnes ont signé une pétition appelant à la démission de Gérald Darmanin, ministre des comptes publics, récemment accusé de viol et qui, pour se défendre, a littéralement expliqué que pas du tout : il a juste réclamé une faveur sexuelle en échange d'un service. Le premier vient d'être primé pour un album paru l'année passée, dont les textes n'ont que peu à voir avec les morceaux incriminés, et qui fait même, sur un morceau ("Bonne meuf"), amende honorable, expliquant avec autant de franchise que d'ironie qu'en gros, il n'était à l'époque qu'un puceau frustré de ne jamais choper qui dégueulait sa rage. Le second a reconnu des faits ayant eu lieu dans l'exercice de ses fonctions, et se considère comme "un dragueur relou". Le premier est présumé coupable, en dépit d'innombrables dénégations et autres justifications depuis pas loin de dix ans maintenant, et même après avoir été relaxé par la justice. Le second est présumé innocent, même lorsqu'il avoue sans trembler un abus de pouvoir caractérisé1. Tout va bien.


On peut bien sûr considérer qu'il n'est pas très pertinent de rapprocher ces deux évènements, et que Change.org n'est pas encore (fort heureusement) un baromètre en quoi que ce soit sérieux de l'opinion publique. C'est une évidence et pourtant, plus de 30 000 personnes, en France, en 2018, peuvent signer un texte appelant à la censure pure et simple d'un artiste (il ne s'agit pas là d'une extrapolation de ma part, il est écrit mot pour mot "cet individu qui devrait être tout simplement censuré"). Excusez-moi, je crois que j'ai besoin d'une pause... c'est là que nous allions, en fait, ces derniers mois ? Vers ce genre de chose ? Dans un pays et une époque où Cyril Hanouna est une superstar et où Eric Zemmour a pignon sur rue, dans un pays où un ministre peut reconnaître des faits dignes du Maître Weinstein et garder son poste... le plus urgent pour lutter contre le sexisme est de censurer Orelsan ? Vraiment ?

Il faudrait ne même pas avoir à faire l'exégèse du travail d'Aurélien Cotentin, un type qui, en vrai, doit être à peu près aussi misogyne que ma nièce de trois ans. Il faudrait ne même pas prendre la peine de souligner que des propos ne sont pas des actes et qu'une œuvre, quoi qu'on pense de celle-ci, n'est pas exactement la même chose qu'un propos. Il faudrait ne même pas avoir à rappeler que les morceaux incriminés sont vieux de presque dix ans (voire plus dans le cas de "Sale pute", paru en 2006) et que même à l'époque, Orelsan avait du mal à les assumer, largement dépassé par son personnage (très comparable au Slim Shady d'Eminem à l'époque). Il faudrait ne même pas avoir besoin de souligner que l'art d'Orelsan (oui, c'en est un) repose très exactement sur l'hyperbole, la caricature sadique (et parfois masochiste), que son double fictif relève d'une mise en scène, d'une polarisation de pulsions sans doute réelles mais bien évidemment amplifiées par le prisme de la fiction, qu'il s'agit assurément plus d'un personnage de série Z que d'un manifeste masculiniste – jamais un morceau d'Orelsan n'a été à prendre au premier degré et jamais il ne l'a été par qui que ce soit d'autre que ses haters, encore heureux d'ailleurs, sans quoi le pauvre gars n'aurait plus beaucoup de gens sur qui compter (cf. "Défaite de famille", meilleur morceau de son dernier opus en date, dans laquelle il lamine méthodiquement tous les doubles fictifs de tous les membres de sa famille – "Tonton, si tu continues de faire yo yo ! avec les doigts / Chaque fois que tu passes à côté de moi / Tu les utiliseras pour la dernière fois"... on attend avec impatience l'interview du Tonton dans 7 à 8). Il faudrait ne pas avoir à raconter encore et encore que l'intéressé a régulièrement regretté ces morceaux, qu'il ne joue plus sur scène depuis une éternité (voire, pour certains, ne les jouait même pas sur scène à l'époque), et qu'il a multiplié les allusions, certes ironiques mais assez transparentes lorsqu'on prenait la peine de lire entre les lignes, à ces polémiques lui ayant assuré paradoxalement une certaine notoriété à ses débuts (quand il chantait sur "Le Chant des sirènes", l'un de ses titres les plus désabusés : "Oui j'assume / Je suis le génie qui a écrit 'Sale pute'", il n'était évidemment pas en train de s'en vanter mais au contraire de se moquer de lui-même avec amertume, et d'un statut acquis d'une manière qu'il n'assumait pas). Il faudrait ne pas avoir besoin de rappeler que de Johnny Cash à Eminem en passant par Elvis, les Stones (champions absolus de l'exercice), Gainsbourg (qui détient la ceinture pour la francophonie), Ferré, les Guns, Lennon (qui avant de rencontrer Yoko écrivait de jolies apologies de la brutalité conjugale comme "Run for Your Life")... même Dylan-le-Prix-Nobel-de-Littérature ou l'immense et si sensible Neil Young (dont "A Man Needs a Maid" raconte exactement ce que son titre indique)... la pop-music s'est largement nourrie du machisme, du sexisme et même des violences sexuelles2, souvent avec infiniment moins de second degré et de recul que chez Orelsan.

Ceci est une apologie du harcèlement de rue. Et le pire, c'est que je ne plaisante qu'à moitié en l'écrivant.

Il faudrait ne pas se sentir obligé de dire que oui, moi aussi, quand j'avais vingt ans et ne prenais que des râteaux, il m'est arrivé d'écrire des trucs sexistes plus ou moins débiles, qu'il m'arrive encore de temps à autre de relire un texte ancien et d'être aussi choqué que surpris par certains relents, et que ce n'est pas bien grave après tout, on a le droit de se tromper, de vieillir, de changer – on a même le droit d'être un gros con, ce que j'ai parfois été et ce qu'Orelsan était assurément quand il écrivait les morceaux qu'on lui reproche aujourd'hui. Ça me ferait chier quand même qu'on me résume à ces deux-trois trucs, et ça ferait chier tous ceux qui me connaissent et savent bien qui je suis aujourd'hui. Dans le fond, je n'étais même pas misogyne à l'époque, juste abruti, pourtant à dix-huit ans, j'ai bel et bien écrit un roman dans lequel mon double de fiction prétendait avoir assassiné le double fiction de mon ex petite amie, et bien évidemment qu'aujourd'hui cela me paraît ridicule et que je suis bien heureux que personne (ou très peu de gens) n'ait jamais lu cette merde. Je vous en parle parce qu'il y a un détail amusant dans cette anecdote : même sur l'instant, je n'ai jamais eu la moindre pulsion de meurtre ni même la moindre haine à l'encontre de cette jeune femme, qui peut-être se reconnaîtra car elle lisait Le Golb, fut un temps. Je trouvais juste, à tort, que c'était une bonne idée de roman. Je suppose que si j'avais eu Internet à l'époque, je l'aurais (fièrement) publié en ligne et qu'aujourd'hui, je l'aurais supprimé tout en devant continuer à battre ma coulpe à intervalles réguliers auprès des gens l'ayant lu à l'époque.

Il faudrait ne pas faire, dire, écrire plein de choses encore mais en fait si, apparemment, il le faut, puisque nos concitoyens ont des indignations aussi sélectives. On ne résistera pas ici à l'envie de rappeler que même si on en a beaucoup parlé ces derniers mois, le mouvement #MeToo a été d'une grande (et assez étonnante) mansuétude à l'égard des pipoles français, son principal fait d'armes en la matière étant au final, à ce jour, d'avoir fait virer un animateur beauf ayant fait une blague de beauf qu'on avait tous déjà entendue mille fois. On peut considérer qu'il est peut-être temps de passer aux choses sérieuses. Ou bien alors on peut continuer à faire des pétitions débiles pour retirer un prix débile à un artiste qui a écrit des textes débiles il y a des années et se les traîne depuis comme sa proverbiale lettre écarlate. Je n'avoue que ce n'est ni ma définition de la liberté d'expression, ni ma vision du combat contre le sexisme. Mais chacun ses indignations, n'est-ce pas ?


1. A la minute où j'écris ses lignes, j'apprends qu'une seconde affaire Darmanin est en train d'éclater autour de faits similaires. Ça nique un peu mon édito (j'ose croire que cette fois-ci il va gicler), en revanche cela ne fait que renforcer mon propos : ce mec aurait dû être démissionné depuis longtemps, ne serait-ce que pour libérer la parole de ses autres victimes, qui ne doivent probablement pas être que deux.
2. J'ai quand même sur mon disque-dur un blind-test de 110 morceaux que je n'ai jamais passé sur le thème "Toutes des salopes sauf nos mères et nos sœurs (et encore)"... Et pas des morceaux inconnus ou marginaux qui ne seraient pas représentatifs de leurs auteurs, dont aucun n'est un artiste de seconde zone.


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