[Mes livres à moi (et rien qu’à moi) - Hors-série N°3]
Superman et Batman expédiés, il restait encore un troisième larron à installer dans cette rubrique. Spider-Man ? Wolverine ? Captain America ? Non, bien sûr (même si tous les trois pourraient un jour se retrouver à l’honneur ici tant ils ont eux aussi marqué ma jeunesse) : Flash, le seul et l’unique. Et non, ce n’est pas complètement un hasard si j’ai suivi l’ordre de création des personnages (1938, 39 et 40). Pourtant, le cas de Flash est plus complexe à traiter. Il ne possède pas vraiment de graphic novel s’insérant dans la logique d’une telle rubrique. Flash est avant tout une série. C’est toujours ainsi qu’on le découvre, et c’est généralement ainsi qu’on l’aime. Pour cette raison peut-être, Flash parle sans doute moins au grand public, qui bien sûr connaît son apparence (du moins celle de Barry Allen) et ses facultés, mais qui sait finalement peu de choses de ses aventures, a fortiori en France où elles n’ont été traduites que par périodes. Son univers est moins ancré dans l’inconscient collectif ; plus ou moins tout le monde connaît le Joker ou Lex Luthor, Gotham City et Metropolis. On n’en dira pas autant de Central City et des diverses Némésis de « l’Éclair Écarlate», pourtant pas moins charismatiques – mais allons : hormis les lecteurs de comics eux-mêmes, qui connaît vraiment Captain Cold ou le Professor Zoom ? Flash impose un article plus général, récapitulatif si ce n’est tout simplement introductif.
Les quatre Flash réunis dans un des meilleurs épisodes de Young Justice ("Bloodlines", 2x06)
Wally West version contemporaine, ici dessiné par Brett Booth pour l'actuelle série Titans Rebirth
Parce que ses pouvoirs sont spectaculaires. Super vitesse, what else? Flash, par définition, est le Paradis des dessinateurs. Il en est aussi, par définition également, plus tributaire que bien d’autres. Une aventure de Superman avec un dessinateur médiocre, et Dieu sait qu’il y en a eu et y en aura encore, cela peut quand même le faire pour un peu que le scénario tienne la route. Pour Flash, c’est impossible. Flash doit en mettre plein la vue, Flash en a toujours mis plein la vue, du moins depuis l’époque Barry Allen, qui est aussi et surtout celle où il est dessiné par l’immense Carmine Infantino. C’est sans doute l’une des particularités les plus intéressantes du personnage : alors que la plupart de ses collègues ont majoritairement été définis par des scénaristes, Flash l’a été par ses dessinateurs successifs. Il fait d’ailleurs parti du club très fermé des superhéros dont il existe des anthologies non par storyline, mais par artiste s’y étant collé.
Parce que Spider-Man lui a tout piqué. Un superhéros jeune et humain qui suite à un accident de chimie développe des facultés incroyables et apprend la responsabilité, ça vous dit quelque chose ? Barry Allen faisait cela des années avant Peter Parker, et personne ne lui en sait gré. Cela a pourtant toujours été la trame de base des histoires de Flash, qui s’accommode d’ailleurs très mal des incarnations trop adultes (tout comme Spidey, d'ailleurs). Il y a ou doit y avoir chez lui quelque chose d’éternellement adolescent. Parce que Flash…
Parce que Flash est un vrai héros, altruiste et lumineux. Ce qui n’était d’ailleurs pas tout à fait le cas au départ : si les versions modernes de Jay Garrick ont communément imposé l’image d’un héros plus mûr que Barry et Wally, se distinguant par sa sagesse et sa générosité, le vrai Jay, celui qui avait sa série dans les années quarante, était un sacré branleur qui aimait au moins autant combattre le crime qu'impressionner les filles. C’est avec Barry Allen que l’altruisme va devenir la principale vertu du personnage, d’une fort jolie manière puisqu’il ne s’agit pas chez lui d’une qualité absolue, innée, mais bien d’un combat quotidien contre la tentation de l’individualisme. A la différence de tant d’autres, Flash n’a absolument aucune raison de défendre la veuve et l’orphelin (Barry Allen n’a pas vraiment de côté obscur, cela lui a souvent été reproché). Il pourrait faire n’importe quoi de ses pouvoirs, et même ne rien en faire. Il n’a rien à gagner à devenir un justicier et d’ailleurs, il y perd beaucoup (la fin des seventies et le début des eigthies seront une véritable descente aux Enfers pour le pauvre Barry). Mais il sait que c’est ce qu’il doit faire. Geoff Johns exprime très bien ce particularisme dans le récent DC Universe Rebirth : dans un flashback, Wally raconte comment, enfant, il était impressionné de voir que Barry, une fois la menace du moment neutralisée, s’arrêtait toujours pour discuter avec les gens, les prendre en charge, vérifier qu’ils n’avaient pas besoin d’être hospitalisés, voire filer un coup de main pour réparer les dégâts matériels... bref : il assurait le service-après-vente, quand tous les autres superhéros se barraient sans se retourner une fois ce qu’ils estimaient être leur devoir accompli. Disons-le carrément : Flash est un superhéros de gauche, si ce n’est un civil servant au sens le plus noble du terme. Il l’a toujours été et il est bien le seul chez DC Comics.
Extrait de The Flash V.2 #134, "Still Life in the Fast Lane" (G. Morrison, M. Millar & P. Ryan, 1998)
Parce que même la traduction française ridicule n’a pas pu empêcher les
Parce que Flash est la plaque tournante de l’univers DC. Quel est le point commun entre quasiment tous les évènements DC Comics depuis plus de trente ans ? Les Flash s’y taillent la part du lion. Barry se place même à l’origine des deux plus importants reboots de cet univers : dans Crisis on Infinite Earth (1986), son sacrifice permet de sauver les différents mondes menacés de destruction (sacrifice au demeurant très flashesque, puisque personne n’en aura jamais connaissance) ; dans Flashpoint (2011), son choix de remonter le temps pour sauver sa mère modifie considérablement l’histoire, y compris une fois qu’il sera parvenu à la rétablir. Rien de plus logique : Flash est le personnage qui a introduit dans l’univers DC les concepts de mondes parallèles et de voyages temporels, sans lesquels DC ne serait pas vraiment DC (pour l’anecdote, les scénaristes cherchaient juste au départ un moyen de justifier l’existence de Jay Garrick après l’avoir remplacé par un autre mec ayant le même surnom et les mêmes facultés). Il a également souvent servi de lien entre les différentes franchises et équipes de superhéros (Justice League, Justice Society, Titans…), inenvisageables sans un – parfois deux – bolides tout de rouge vêtu(s).
Parce que Flash est un héros ordinaire (ou presque). A la différence de Superman, de Wonder Woman ou même de Batman, Flash, quelle que soit son incarnation, a toujours été ancré dans une forme de quotidien. Aussi puissant soit-il, il est un héros humain confronté à des situations humaines, un type qui se marie, a des enfants, divorce, mène de front vie héroïque et vie sociale. Il est d’ailleurs le seul membre de la Ligue de Justice (voire le seul superhéros DC) à avoir un vrai job, non pas pour préserver son identité mais parce qu’il en a besoin pour vivre et qu’en plus, il aime ça. C’est sans aucun doute l’une des raisons de sa popularité : Flash inspire au lecteur un sentiment de proximité. Chaque génération a grandi avec son Flash, dont la continuité, malgré 1200 voyages dans le temps, a finalement été assez peu bouleversée jusqu’à Flashpoint (soit soixante-et-une années de carrière) : le Wally West dont la réapparition constitue les prémices du DC Rebirth (2016) est bien le jeune étudiant qui affrontait sans relâche Deathstroke avec les Teen Titans dans les années 80, lequel est bien le petit garçon fan de Flash qui se découvrait une super-vitesse en 1963. Un cas finalement assez rare dans l’univers des comics, a fortiori celui de DC qui a été continuellement rebooté depuis trente ans, et qui en dit long sur l’importance accordée à son côté boy next door. The Flash fut tout simplement la seule série de l’éditeur à ne pas recommencer à zéro après Crisis on Infine Earth (Wally a juste pris la place de Barry et roulez jeunesse), ni même à la fin du Dark Age où, incroyable mais vrai, ses nouveaux auteurs tentèrent de faire évoluer le personnage de Wally West (devenu un golden boy cynique et insupportable) sans tomber dans la facilité consistant à faire table-rase.
Habituellement, c'est ici que je conclus et enchaîne sur les inévitables conseils de lecture, mais ce passage obligé promet d'être une sacrée épreuve. A la différence de nombre de ses collègues, Flash n'est pas très riche en graphic novels et autres one-shots permettant de découvrir petit à petit son univers. Il est de surcroît assez peu et parfois mal compilé, ce qui ne va pas non plus nous faciliter la tâche. Pour ce qui est de ses aventures en VF, si Flash a été beaucoup plus traduit que ce qu'on croit généralement, les histoires le mettant en scène sont en revanche très difficiles à trouver de nos jours ; depuis son arrivée sur le marché en 2012, Urban Comics exhume petit à petit ces trésors enfouis (et publie enfin en intégralité les séries contemporaines), mais on ne peut pas non plus attendre d'eux qu'ils compensent en quelques années plusieurs décennies d'errements éditoriaux. Recommandons tout de même la Flash Anthologie parue en 2015, qui constitue une introduction plus que correcte (ce n'est pas le cas de toutes les anthologies Urban) et renferme d'ailleurs certaines des histoires recommandées plus bas. Sur ce, on plonge.
Découvrir The Flash :
- en volumes :
- The Flash Rebirth[Flash : Renaissance] (Geoff Johns & Ethan VanSciver, 2005), qui marque le grand retour de Barry Allen et a très largement inspiré la version TV contemporaine à ses débuts (à ne pas confondre avec la série actuelle, qui ne s'appelle Flash Rebirth qu'en VF).
- The Flash vs. The Rogues (John Broome & Carmine Infantino, 2009) ; un bon superhéros n'existant, on ne le dira jamais assez, que par un bon super-méchant, impossible de ne pas citer cette anthologie compilant quelques unes des meilleurs histoires de Barry Allen dans les 60's.
- The Flash by Mark Waid (2017-18) ; 3 volumes à ce jour – le quatrième sort en avril – reprenant la quasi totalité de ce qu'a réalisé le scénariste avec Wally West entre 1990 et 95 – et jusqu'en 2000 dans les éventuels volumes 5, 6, 7... etc.
- en histoires :
- Mystery of the Human Thunderbolt/The Man Who Broke the Time Barrier (Kanigher & Infantino, 1958)
- Conqueror from 8 Million B.C.! (Broome & Infantino, 1959)
- Flash of Two Worlds (Fox & Infantino, 1961)
- Fact or Fiction? (Bates & Andru, 1968)
- The Trial of the Flash (Bates, Cavalieri & Infantino, 1984)
- Nobody Dies (Messner-Loebs & Larocque, 1991)
- The Flash : Year One (Waid & Larocque, 1992)
- Identity Crisis/The Return of Barry Allen (Waid & Larocque, 1993)
- Absolute Zero (Johns & Kollins, 2002)
- Blitz (Johns & Kollins, 2003)
1.Précisons tout de même que la toute première série qui lui fut consacré, simplement baptisée Impulse et scénarisée par l'indispensable Mark Waid, est plus que recommandable – mais si vous n'avez jamais rien lu sur cet univers, ça peut attendre un peu.
2. Wally finira bien évidemment par progresser, au point de venir non seulement le plus rapide de tous les speedsters, mais également le plus puissant (comprendre que ses facultés s'étendront au-delà de la simple super-vitesse). Notons qu'il restera en revanche relativement faible et chétif, ce qui lui vaudra quelques cuisantes défaites.