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Channel: LE GOLB
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[GOLBEUR EN SÉRIES RE-O] Semaines 14 & 15

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The AMERICANS (saison 4) Depuis le premier épisode, je ne vois que cela. Le couple que forment Elizabeth et Philip, les liens complexes (litote) qui les unissent, leur relation profonde et les pulsions contraires qu'elle leur impose. Il est rare qu'un couple de télévision soit traité de manière si paritaire, non pas seulement en terme de présence à l'écran, mais du point de vue de l'équilibre scénaristique et de l'égal intérêt que chacun suscite. Dans le fond, je n'ai jamais éprouvé le même attrait pour les intrigues d'espionnage, souvent plus convenues, et le seul aspect de la série que j'aime presque autant que celui-là, c'est tout ce qui entoure (entourait) la pauvre (pauvre, pauuuuuvre) Martha. Je ne suis pas loin de considérer que The Americans est la meilleure série jamais écrite sur le couple, en ce que son pitch, qui interdit par définition à ses antihéros de se séparer, permet aux scénaristes de retourner leurs sentiments dans tous les sens, de bouleverser leurs interactions à la première occasion, de renverser la table et les valeurs aussi souvent qu'ils veulent – tout en étant préservé des tentations soap par l'omniprésence de l'Histoire-avec-un-grand H. J'adore Elizabeth et Philip, ils me fascinent et parfois me bouleversent ; je pourrais sans problème accepter que l'on tue tout le reste du casting dans le même épisode si cela m'assurait qu'ils resteraient ensemble pour encore neuf ou dix saisons. Ceci est la quatrième et alors que je commençais à craindre l'an passé que leur relation ne se mette à tourner en rond, voici que la dynamique s'en déplace, de manière presque invisible tant chaque épisode est par ailleurs chargé de tensions. Il a même fallu quelques semaines pour que je m'en aperçoive : pour la première fois depuis le début de la série, ils sont en phase. Ils ne se déchirent pas, ne se battent pas froid, ils communiquent, tombent d'accord, agissent de concert. Rapprochés par les évènements entourant leur aînée (et par la maladie de sa grand-mère dans la saison précédente), ils sont (re)devenus, un véritable couple, où chacun trouve sa place. Elizabeth n'est plus tout à fait aussi froide, cérébrale, et ne dicte plus à elle seule le tempo. Philip, Dieu que cela change, n'est plus victime d'interminables atermoiements – la perte de Martha aurait autrefois donné lieu à des jérémiades sans fin, et ne génère ici qu'une juste colère. C'est assez fort. Ce n'est jamais dit explicitement et dans le même temps cela sautait aux yeux dans l'épisode de cette semaine ("The Magic of David Copperfield V : The Statue of Liberty Disappears", 4x08), où leur confrontation, inévitable et attendue, retombe vite et laisse bien moins de marques que les précédentes. Comme une véritable dispute de couple – à cette nuance près que l'on s'y balance des histoires d'agents perdus plutôt que de chaussettes sales. Je ne suis pas certain de voir où nous emmènera l'ellipse conclue dans les dernières minutes ; je n'aime pas le procédé consistant à faire un bon dans le temps en plein milieu d'une saison. La rudesse de ce choix narratif tranchait avec la délicatesse habituelle – si The Americans n'est peut-être pas la meilleure série actuelle, c'est assurément l'une des plus subtiles, fines, allusives. Mais une fois n'est pas coutume, cela n'occasionne pas chez moi de souci particulier. Je ne doute pas que la série retombera dès la semaine prochaine sur ses pieds, ni que cette idée trouvera sa peine justification.


DRAGON BALL SUPER La conclusion de ce troisième Arc était parfaite. Légère, bien amenée et même assez jolie. Autant on avait pu voir venir la manière dont allait se dérouler le combat entre Hit et Monaka, autant la résolution du conflit entre Beerus et Champa était suffisament inattendue pour procurer une véritable satisfaction (et accessoirement compenser les saignements d'yeux occasionnés par cet épisode 41 – cette fois, les fans auront vraiment raison d'envoyer des mails scandalisés à la Toei). L'un et l'autre de ces dénouements participent d'un aspect de la série que l'on n'a pas énormément évoqué, alors que c'est peut-être en cela qu'elle tranche le plus violemment avec un Dragon Ball GT : DBS, comme le manga d'origine, insiste tout particulièrement sur l'aspect profondément sympathique et humain de ses personnages. Les combats du tournoi entre univers n'étaient pas tous réussis et manquaient souvent d'intensité dramatique, mais ils étaient tous emprunts d'une véritable tendresse pour ces héros plus que trentenaires. Choisir Piccolo plutôt que Gohan dans la Tag Team avait quelque chose de frustrant, mais c'était un vrai choix scénaristique, fort et assumé, qui allait de paire avec l'envie de redonner de l'importance à Bulma ou de ne plus faire déplacer nos héros qu'en groupe de vingt-cinq personnes. Tout le monde doit y être parce que c'est ainsi : c'est une famille, ce sont nos copains. Il est donc tout à fait logique que Beerus finisse par se montrer altruiste vis-à-vis de son rival, lui-même enragé et reconnaissant à la fois, comme dans un reflet déformé (et rosâtre) de la relation entre Goku et Vegeta. Oui, c'était cool.

FEAR THE WALKING DEAD (saison 2) Après des débuts aussi prometteurs que laborieux (comment pouvait-il en être autrement étant donné le froid cynisme qui présida à son développement ?), l'ambitieuse petite sœur continue de rompre lentement mais sûrement avec son illustre fratrie. Il est encore un peu tôt, bien sûr, pour que tout fonctionne parfaitement (saison 2 ou non, nous n'en sommes techniquement qu'au dixième épisode), mais elle achève d'installer son ton et son atmosphère avec un certain talent, loin des cliffhangers haletants et des explosions de violence qui font la marque de la série matrice. Leur seul point commun à ce stade, outre une poignée de bases esthétiques de plus en plus dérisoires, c'est qu'il ne s'y passe pas grand-chose la plupart du temps. Mais ce qui agace chez The Walking Dead paraît cependant bien plus approprié et mieux géré dans Fear, qui semble refuser catégoriquement de se transformer en série d'action et garde le nez collé (merci à elle) à sa démarche humaniste – entendre par-là au plus proche de l'humain. Baignant dans une profonde mélancolie, emmenée par des personnages à la fois plus simples et moins unidimensionnels, elle s'impose petit à petit comme le négatif de ce show dont elle partage pourtant quasiment le titre : une histoire non pas de survie, mais de deuil. Celui d'un monde et d'une époque, si ce n'est celui de l'humanité tel qu'on la connaissait jusqu'alors. Brassant de ce fait des thématiques bien plus vastes que l'autre série ou même la B.D., elle touche beaucoup plus juste et parfois beaucoup plus fort – la mise en danger des personnages y est d'ailleurs bien plus subtile et stressante. Tout est encore loin d'être parfait mais à la différence d'un Better Call Saul, autre spin off d'AMC aux débuts plus qu'hésitants, Fear the Walking Dead a déjà réussi à justifier son existence. Et à convaincre qu'elle vaut autrement mieux que son titre tout pourri.


The GIRLFRIEND EXPERIENCE Peut-être est-ce la réalisation, élégante mais glaciale. Peut-être est-ce la comédienne principale, son charisme contre son regard froid, impénétrable. Ou peut-être est-ce juste la pagaille de clichés qui fait ici office d'intrigue, allez savoir ? Une chose est certaine, j'ai énormément de mal à pénétrer cette série qui me met très mal à l'aise sans trop que je sache pourquoi, tant son discours est conservateur sous une apparente odeur de soufre. Le film de Soderbergh était assez lourd et maladroit, indigne de son talent et ne devait son pouvoir d'attraction qu'au magnétisme de Sasha Grey ; au moins avait-il le mérite de déployer un semblant de discours, certes très naïf, sur son sujet et son époque. The Girlfriend Experience, la série, ne raconte somme toute pas grand-chose, si ce n'est l'histoire d'une jeune fille (pas si) ordinaire (Christine) qui devient pute (pardon ! Escort ! Ça n'a rien à voir, voyons) sans trop savoir pourquoi, un peu par curiosité, vaguement par besoin – pas mal par ennui et désœuvrement. On ne peut pas enlever au show un ton, une atmosphère, quelque chose en faisant un objet de réflexion (voire de fascination. Chez d'autres). Sa noirceur sans issue, l'incroyable dureté de son univers et un talent évident pour les cliffhangers ne peuvent laisser indifférent. Mais on n'échappe malheureusement pas non plus aux poncifs de la fiction sur la prostitution, à commencer par celui de la fille de joie qui accomplit sans même y penser sa mission de service public, amusant ici uniquement parce que l'intéressée est bien loin de la pute au grand cœur ("Je n'aime pas être avec les gens sans une raison précise", déclare-t-elle avec un aplomb stupéfiant à sa propre sœur). On aimerait applaudir ce personnage féminin parfaitement indépendant et décomplexé mais il est difficile de ne pas se dire qu'on aurait aimé le voir dans une autre histoire, faire autre chose que ce qu'ils appellent familièrement le plus vieux métier du monde et qui l'est surtout, il faut bien le noter, dans les fictions.


PERSON OF INTEREST (saison 5)"We are being watc..." ah non, pas cette semaine ; personne ne nous regarde puisque la Machine est en rade, sur-compressée dans sa petite valise, à l'agonie. Incroyable de réaliser comme cette entité totalement abstraite, uniquement figurée par l'habillage et le montage, est malgré tout parvenue à devenir dans l'esprit du spectateur un personnage à part entière, pour lequel on s'inquiète et que l'on parvient même à trouver touchant. Le fait que la survie d'un simple ordinateur soit l'unique enjeu de cette reprise aurait pu paraître lourd, pénible et un peu gratuit (il ne s'agit après tout que de remettre l'intrigue d'équerre après les différents rebondissements de la saison précédente). Il en résulte au contraire un épisode nerveux, dynamique et globalement très réussi – même s'il ne donne absolument aucune piste quant à la suite de cet ultime chapitre. Peu importe : les scénaristes affichent une telle maîtrise de leurs arcs narratifs depuis des années que l'on est juste enthousiaste à l'idée de cette conclusion qui s'annonce. On ne doute pas une seconde que celle-ci sera inattendue, apaisante sur la forme et profondément pessimiste dans le propos, ni que les douze prochains épisodes seront chargés en tension et anxiogènes au possible En plus, il y en a un (le 5x10 mais, surtout, le centième) qui portera le titre d'un de mes morceaux préférés de Nine Inch Nails. Que demande le Golbeur ?

Mieux vaut tard que jamais

Les TÉMOINS Je ne sais par quel miracle j'ai réussi l'an dernier à louper la nouvelle création de Hervé Hadmar et Marc Herpoux (oui, eux. Et eux. Et eux encore). J'imagine pourtant qu'une série policière avec Thierry Lhermitte, c'est le genre de truc qui ne doit pas passer inaperçu sur France 2. Mais il est vrai que je ne regarde quasiment que les informations et La Chaîne Parlementaire, ce qui limitait beaucoup les chances de tomber sur une bande annonce des Témoins. Notez que l'aurais-je fait que je ne me serais sans doute pas plus aperçu qu'il s'agissait d'une série de ces auteurs bien connus de nos services, tant leur patte pourtant très reconnaissable semble avoir été gommée (ripolinée ?) de ce qui se présente certes comme un polar aux confins de l'étrange – mais en beaucoup plus terre à terre que leurs précédentes propositions. Soyons honnêtes, en dehors de quelques fulgurances, un plan très graphique par-ici ou une scène hantée par-là, on se demande un peu où sont passés les auteurs les plus esthétisants de la télé française. L'ensemble, une fois la mystérieuse originalité du pitch éventée (un tueur qui ne tue pas mais exhume des corps qu'il expose dans des maisons témoins), est même assez pénible à suivre tant la pauvre Marie Dompnier semble isolée au milieu d'un casting où tout le monde s'est passé le mot pour jouer le plus faux possible – la star Lhermitte en tête. Il est vrai aussi que les comédiens ne sont pas aidés par des dialogues parfois d'une lourdeur criminelle (quelle que soit l'urgence de la situation, le personnage de Lhermitte trouvera toujours le moyen de placer un petit monologue complaisant, serait-ce volontaire que cela n'en serait pas moins d'un risible consommé). C'est là qu'on se rappelle que l'une des grandes particularités des précédentes séries de Hadmar et Herpoux étaient d'être très peu bavardes, voire carrément mutique en ce qui concerne Signature. Ceci explique peut-être cela...


The Good Wife - Y'a des baffes qui se perdent

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[Taux de spoil : 85 %] The Good Wife va nous manquer. C'est une évidence. Son intelligence, sa vivacité, sa capacité à mélanger tous les registres vont nous manquer – sans doute pour longtemps. C'est une grande série populaire qui s'achève, peut-être la plus grande des dernières années, l'une des seules sans doute à avoir permis aux grands... aux vieux Networks américains de garder la tête haute depuis l'explosion du câble et des providers. Elle a pu indifférer certains, mais à la différence de presque tout ce qu'ont pu produire les quatre (plus si) grands sur les sept dernières saisons, elle n'a toujours inspiré que le respect. Son refus du simplisme autant que de l'arrogance en ont fait un genre de modèle absolu de ce que la télé peut produire de mieux dans une époque faite de course à l'échalote, d'annulations ultra-brutales, de remake sordides et de vains reboots.

The Good Wife va nous manquer parce qu'elle était un OVNI dans nos plannings de visionnages hebdomadaires, ni série d'auteur ni série mainstream au sens où l'on entend habituellement ; procédurale, mais parcourue d'intrigues captivantes et capable de hisser le show à cahiers des charges jusqu'à des sommets rarement – voire jamais – atteints par la concurrence. Elle est presque parvenue à triompher de cette époque elle-même, où le zapping est devenu perpétuel et ou la tentation de brûler le soir ce qu'on adorait le matin, une presque norme.

The Good Wife va nous manquer tout simplement parce qu'il est toujours triste de laisser partir une série que l'on a suivie chaque semaine durant tant d'années, a fortiori quand tout porte à croire qu'il y en aura de moins en moins sous cette forme. Très en prise avec l'actualité, elle semblait pourtant souvent, dans sa construction comme dans son esthétique, appartenir à une autre époque – The Good Wife, c'était vingt-deux/vingt-trois épisodes étalés sur neuf mois avec des respirations, des stand alone, des cassures et tous les défauts qui vont avec et que beaucoup ne savent plus pardonner à l'heure des séries limitées et autres saisons courtes.

The Good Wife va nous manquer et dans le même temps, on ne peut pas dire que cette dernière saison boiteuse, sans idées et avec bien peu de passion, nous ait donné envie de la retenir. Depuis la mort de Will, qui clôturait de manière violente, inattendue et bouleversante la meilleure période du show, celui-ci est comme sorti de son orbite. C'était assurément l'idée, du moins au départ, que de symboliquement priver cet univers de celui qui en était le point de fixation, le centre névralgique sans être jamais vraiment le personnage principal. Will, on ne s'en est aperçu qu'après coup, cimentait tout le reste du casting (amour de la vie d'Alicia, partenaire de Diane, modèle de Cary, rival de Peter, ami de Kalinda... etc.), et sa disparition a profondément bouleversé l'équilibre fragile unissant les autres personnages. Perdus, déphasés, ils se sont alors éparpillés dans d'innombrables intrigues d'intérêt inégal et ne se rejoignant que trop rarement ; toujours inspirées mais de manière moins régulière, les saisons 6 et 7 ont l'une et l'autre commencé fort pour s'enliser en leurs milieux dans des histoires pénibles et/ou bêtement redondantes, avec quelques éclats ici ou là – mais toujours bien loin de l'excellence passée. Encore la sixième présentait-elle des perspectives intéressantes et quelques très bons épisodes (même si incomparables aux "Hitting the Fan", "The Next Day", "Red Team, Blue Team" et autre "VIP Treatment" d'antan). Comme un symbole de sa nouvelle difficulté à trouver sur quel pied danser, on aura tout entendu quant à l'avenir de la série (la saison 7 sera la dernière, ou pas, ou peut-être juste la dernière avec Julianna Margulies) avant que ce qu'on savait tous au fond de nous depuis longtemps ne soit officialisé, nous arrachant des larmichettes tout en même temps qu'un soupir de soulagement : cette saison branlante serait bien la dernière. Et Peter ne serait pas Président des Etats-Unis (ouf !)


En demi-teinte et c'est peu de le dire, cette dernière danse se sera contenté la plupart du temps d'essayer de boucler la boucle d'une manière assez peu satisfaisante, multipliant les pas chassés, tentant de faire revenir de manière souvent artificielle tous les personnages secondaires (sauf bien sûr ceux qui ont été effacés de la mémoire collective, rare habitude vraiment irritante de The Good Wife1), et n'a fait qu'accentuer cette tendance dans la deuxième partie de la saison – très différente, pour ne pas dire dissonante, avec la première, plus originale et réussie. Les six ou sept derniers épisodes, pour leur part, ont été assez pénibles, malgré le charisme de Jeffrey Dean Morgan ou l'enthousiasme d'un Alan Cumming à la vigueur retrouvée.

Ramener le couple Florrick à son point de départ a sans doute fait plaisir à une partie des fans (enfin je l'espère). Cela n'en était pas moins une idée assez inepte, tant tout et son contraire avait déjà été dit et fait à ce propos, et tant The Good Wife avait dépassé son pitch initial depuis longtemps. Qu'ils divorcent, il fallait bien que cela arrive. Admettons. Que Peter se retrouve une nouvelle fois dans les griffes de la justice, qu'Alicia doive une nouvelle fois jouer les bonnes épouses... tout cela était un peu hors de propos à ce stade – surtout si c'était pour manger un temps d'antenne si considérable. Depuis la pause hivernale et la rupture très nette avec les intrigues de l'automne, le soupçon de corruption pesant sur Peter et la nouvelle histoire d'amour d'Alicia étaient devenus les seuls – faibles – fils conducteur de la série ; le reste (tout le reste) ainsi que les autres (tous les autres) ne semblaient subitement plus si importants. En témoigne la manière expéditive dont a été amenée la démission Cary – illustration parfaite de l'expression accomplir quelque chose sans conviction. Tout fut du même tonneau, pas vraiment dans le registre de la figure imposée (un peu quand même), mais assez clairement dans celui de la paresse narrative – il est tout de même dommage que la série ait attendu sa toute dernière ligne droite pour choisir de céder à la facilité. Trouver l'amour dans les bras d'un homme lui correspondant mieux que son mari était-elle vraiment la rédemption que nous attendions pour Alicia ? Il y a certes aussi pour elle une forme d'accomplissement professionnel (bien entamée dans le final, ceci dit) ; là aussi cependant, à l'image de la facilité avec laquelle David Lee accepte une idée (un partenariat 100 % féminin) contre laquelle il a pourtant lutté durant des dizaines d'épisodes, tout semble exécuté à la hussarde, en laissant l'impression que les personnages eux-mêmes n'y croient absolument pas. Lee n'aura d'ailleurs même pas l'honneur d'apparaître dans un final sur-Alicia centré, ce qui pour une série aussi chorale embarrasse un chouïa.


Il y a une forme de trahison, là-dedans, et ce n'est même pas la seule que nous offre cette conclusion. Pour tout vrai fan de la série, il y a en effet de quoi se sentir sinon insulté, du moins un peu peiné de constater que dans la dernière ligne droite, Robert et Michelle King auront manifesté plus d'intérêt pour Peter (seul personnage à n'avoir pas évolué d'un iota depuis le premier épisode) que pour Cary ou Diane (voire Grace) – des personnages qui auront bien plus porté la série durant ces sept saisons (et, j'en suis convaincu, marqué le spectateur). Les voir enfin retrouver une digne place au cœur de la série était d'ailleurs la seule justification narrative acceptable au retour au bercail d'Alicia – on aura enfin eu le plaisir de revoir tous les personnages au même endroit, mais pour n'en faire pas grand-chose et au détriment d'autres (Lucca était une super trouvaille de casting qui a fini par jouer les pots de fleurs en arrière plan). Dans le fond, la logique dictait de laisser Alicia achever son émancipation dans son cabinet indépendant, celui qu'elle avait fondé, sans l'approbation de Will, l'aide de Cary ou la présence pesante de Peter. C'était ici qu'on l'attendait, qu'on voulait la voir, et rien n'a mieux fonctionné cette saison que l'équipe qu'elle formait avec Lucca et Jason. De ce parti-pris, certes discutable, pouvait découler une conclusion satisfaisante. Celui-ci rompu, tout ce que l'on pouvait craindre est arrivé, dans l'ordre exact où l'on pouvait le prévoir. Et si l'on était très content de revoir Josh Charles, passer 80 % du final sur les hésitations amoureuses de l'héroïne n'était franchement pas une conclusion digne de la série ni à la hauteur de son propos2.


The Good Wife (saison 7), créée par Michelle & Robert King (CBS, 2015-16)



1.Selon nos sources, les enquêteurs seraient toujours à la recherche de Robin, Finn et Cary N°2.
2. Par politesse, je n'évoquerai même pas l'image finale : la série s'achève donc sur Alicia qui prend une tarte dans la gueule au point d'en faire vaciller sa perruque. Sérieusement ? Elle est censée nous dire quoi, cette image ?... Alicia n'est pas Tony Soprano ou Walter White, pour autant qu'on le sache. Elle a commis des erreurs, elle a des défauts, mais pas au point que sa série s'achève sur une scène où elle serait punie (et violentée, de surcroît)...

Tue-Loup - La Révolution silencieuse

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Au début des années soixante, le syndicaliste (et futur Secrétaire d’état) Michel Debatisse évoque le mal-être paysan, largement ignoré des médias, en le qualifiant de "Révolution silencieuse". L'expression fera école, intitulera son premier livre1, avant qu'il ne la détourne lui-même pour qualifier les politiques qu'il mettra en place de concert avec Michel Debré afin de moderniser l'agriculture française. Ou comment tourner et retourner toutes les possibilités sémantiques d'un des termes les plus galvaudés de la langue française, déjà à l'époque, pour lui rendre tout son sens.

Il m'a fallu quelques instants pour réaliser à quel point il était ironique que ce soit le premier titre à me venir à l'esprit pour illustrer ce texte. On a assez souvent rouspété, ici, sur la tendance toujours trop répandue à réduire Tue-Loup à un groupe de rock Made in le Trou du Cul de la France. Comme il est approprié, pourtant. Dans le cas ce groupe, qui a tracé les trois quarts de ses deux décennies d'existence en dehors des spotlights autant que des sentiers battus ; dans le cas de cet album de rupture esthétique, aussi, où la révolution se fait tout en douceur, sans fracas, mais de manière inéluctable et perceptible rien qu'au chant. C'est la première chose qui frappe, peut-être en partie parce que sur ses dernières sorties, la voix de Xavier Plumas semblait retourner à cette terre dont il nous disait qu'elle sortait. On écoute les deux premiers morceaux et l'on se surprend à se dire, ça vaut ce que ça vaut, qu'il n'a sans doute jamais aussi bien chanté. Posé ses mots, modulé ses sons. Interprété, tout simplement. Cela sonne un peu bête, écrit ainsi – une révolution silencieuse ne pouvait sans doute s'amorcer que par un constat en apparence anodin.


9était beaucoup de choses, mais ce n'était pas un album surprenant. Quiconque connaissait et appréciait le groupe pouvait aisément y trouver ses marques, ce qui explique sans doute en partie son relatif succès en regard de ses prédécesseurs : c'était l'album parfait pour permettre à l'auditeur le plus branché chanson française de recoller avec un groupe qui nous en aura fait voir de toutes les couleurs saturées à partir des années 2000. Je l'avais écrit à l'époque de sa sortie : 9, c'était Tue-Loup comme pas mal de critiques (et une partie non-négligeable du public) restés bloqués sur La Belle Inutile auraient toujours voulu qu'il soit. Des guitares électriques mais pas trop abrasives, une voix bien en avant, une production plus sobre que brute, des chansons carrées aux entournures dont les images poétiques demeuraient pour la plupart presque intelligibles. Un excellent album, entendons-nous bien, dont une moitié des titres au moins tutoyait les sommets. Mais un album dont les ambitions étaient somme toute parfaitement résumées par son titre et sa structure : un neuvième album intitulé 9 et renfermant neuf chansons. Nulle révolution ici, pas plus tonitruante que silencieuse – et de quoi laisser par instants, malgré de fabuleux moments, un petit goût d'inachevé aux amateurs d'un Tue-Loup plus aventureux.

Si l'effet de contraste est moins brutal qu'au temps des révolutions tapageuses de Penya, Rachel au Rocher ou Le Goût du bonbon, l'humeur se voulant ici résolument calme et mélodique, Ramo s'inscrit dans une démarche similaire – donc diamétralement opposée à celle de 9. C'est Tue-Loup comme on ne l'a jamais entendu – c'est même, par bien des aspects, l'album le plus singulier que le groupe ait publié à ce jour. Un ouvrage évanescent, très porté sur les atmosphères, où tout coule de source et où "voguent les esprits" au long de morceaux à la fausse immédiateté. Dès les premiers instants, ont est assailli par des ambiances, des couleurs que l'on ne s'attendait pas à trouver là – ou plus, dans le cas de "Glace", ouverture Talk Talkesque autour de laquelle on a l'impression que le groupe a tourné durant des années avant d'enfin l'oser. C'est peu dire d'ailleurs que l'on pensera souvent à Spirit of Eden durant les onze titres suivants.

"Je brise la glace", peut-être, mais le ton n'en est pas pour autant donné. Pas encore. Ramo n'est pas un disque qui s'apprivoise facilement, en dépit de ce que ses relents inhabituellement pop peuvent laisser supposer. En tant qu'album de Tue-Loup, dont le style demeure très reconnaissable tout en étant profondément brouillé, comme en tant que lui-même – ses mélodies souvent vaporeuses ("La Haute  Épine") voire hypnotiques ("Hirondelle"), ses harmonies subtiles, sa torpeur apparente subitement déchirée par des refrains particulièrement... oui, catchy. La tentation se fera sans doute forte, durant les premières écoutes, de se raccrocher aux quelques balises gentiment laissées derrière lui par un groupe dont l'écriture semble avoir presque autant muté que la voix de son frontman. Brillamment arrangés et parfaitement fondus dans l'ensemble, "Empreinte", "In Vivo" ou dans une moindre mesure "Bouquet contre la peur" sont les morceaux qui accrochent le plus au premier contact, tout simplement parce que ce sont ceux où la touche du groupe est la plus immédiatement reconnaissable – les rares qui auraient vraisemblablement pu, habillés différemment, voir le jour sur un de leurs précédents albums. Ce ne sont pourtant (évidemment ?) pas eux qui fascinent le plus sur la durée.

Il est toujours un peu compliqué de déblatérer sur l'évolution d'un style, peut-être même encore plus difficile que de travailler le sien. Pour dire les choses simplement : Tue-Loup a pu, par le passé, opérer des mues bien plus radicales que celle-ci ; le passage de La Belle Inutile à Penyaétait sans doute, par bien des aspects, autrement plus aride que l'enchaînement 9 / Ramo. Pourtant, même dans ses ouvrages les plus audacieux, Tue-Loup ne s'était jamais aventuré si loin de ses bases. Il ne s'agit pas simplement de registre musical (même si un peu, aussi), mais également d'humeur, de feeling, de groove. Des choses comme "Glace", "Ton frère" ou même les refrains soyeux du "Tigre voyageur" ou "Carpe Diem" auraient été absolument inenvisageables par le passé – encore moins sur le rugueux 9, œuvre terrienne s'il en est quand Ramo, étrangement soul par instants, affiche ostensiblement sa préférence pour le ciel et la mer (l’irrésistible parfum du Portugal, où il a été enregistré, peut-être). Comme si une légère brise marine était venue dissiper la brume de Penya, meilleur et seul des précédents opus du groupe dont on pourrait être tenté de rapprocher celui-ci, dont il composerait la version aérienne et lumineuse. Avec une séduction moins douloureuse, un univers moins torturé, mais une même sensualité et une égale volonté de ne sonner que comme soi-même, en mieux.



Ramo, de Tue-Loup (Dessous de scène/L'Autre distribution, 2016)



1. Calmann-Levy, 1963, et qui reste par certains aspects plus que d'actualité.

The 100 - La Douleur, ça fait trop mal.

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[Taux de spoil : 58,9 %] Rétrospectivement, la jolie scène dans le premier épisode de la saison, où les héros de The 100 se mettaient à chanter au volant de leur jeep, était un peu plus qu'une respiration nécessaire – moment de paix et de légèreté au cours duquel, l'espace d'une infime minute de grâce, Bellamy, Raven et les autres redevenaient des adolescents. C'était aussi le proverbial calme avant la tempête. Un rai de lumière (le dernier ?) entre deux – trois – assauts de ténèbres s'apprêtant à les déchirer de part en part. Pourtant tout est là, dans cette petite scène apparemment dérivative. L'absence de Clarke, oubliée pour quelques secondes – à moins que ce ne soit justement le poids de sa présence invisible qui se dissipe, enfin. La mine de papier mâché de Jasper. Jusqu'à Octavia cavalant à côté de la voiture, encore et toujours à la marge – déjà seule.

On n'y avait pas forcément prêté attention tant la précédente saison était brillamment écrite, mais au-delà de ses thématiques, de ses deux ou trois épisodes à couper le souffle, de ses choix de scénario souvent très courageux... elle se démarquait de la première par la manière dont elle opérait un resserrement des protagonistes entre eux. Avec l'arrivée des adultes, les adolescents querelleurs et divisés de la première saison se retrouvaient à faire front, instinctivement et sans jamais réellement l'affirmer en ces termes. Il s'agissait de se soutenir, de se sauver même, entre personnes qui étaient là avant. Dans les treize premiers épisodes de la série, ils ont vécu une guerre, civile puis contre un ennemi commun, en sont sortis plus durs mais aussi, miraculeusement ou inévitablement, grandis. Durant tout le chapitre consacré à Mt. Wheather, alors même qu'ils sont éparpillés au quatre coins de l'intrigue, les protagonistes originels sont plus soudés et amis que jamais, et cet état ne pouvait ni ne devait durer. La scène simple et touchante dans la bagnole est en quelque sorte l’apothéose et le chant du cygne de cette belle unité. Il y a beaucoup d'excellentes choses dans cette troisième saison de ce qui est désormais, c'est incontestable, la meilleur série de SF à l'antenne. Il y en a de moins bonnes également, plus que l'an dernier. Mais j'avais envie de commencer par cela parce qu'à force de cliffhangers insoutenables et de mythologie fascinante (tout ce qui concerne les Terriens, en gros), on en oublierait presque parfois que The 100 est avant tout une série sur le passage à l'âge adulte, qui ne tiendrait pas longtemps sans le charisme de ses personnages et la qualité d'un casting de jeunes dont on se souvient pourtant qu'au départ, on avait plus envie de les cogner que de les suivre.


De moins bonnes choses, donc, il y en eut un peu en début de saison, notamment dans l'installation de l'arc consacré à la prise de pouvoir Pike – même si ce n'est peut-être pas ainsi qu'il convient de le formuler. Beaucoup se sont focalisés sur le revirement de Bellamy, fustigé ici, là, presque partout. J'ai été un peu surpris qu'ils soient surpris : il me semblait bien que les derniers mois nous avaient démontré à quel point la colère, le deuil et la peur peuvent faire basculer quelqu'un dans les prises de positions les plus irrationnelles, si ce n'est contre sa nature (et peu importe : si Bellamy a été héroïque durant une saison et demi, n'oublions pas non plus qu'il compose un despote aux petits pieds pas franchement recommandable au début de la série1 ). Il est certain en revanche que dans la mise en place de cette intrigue, The 100 a touché à ses limites, formelles, budgétaires, et sans doute un peu scénaristiques également. Ne disposant pas de vingt-quatre épisodes pour avancer à un rythme plus crédible, elle pousse très vite les caractères dans les extrêmes, alors que tout comme la trahison de Bellamy, les motivations de Pike et de ceux qui le soutiennent, qui ont survécu des mois seuls dans la nature, sont tout à fait compréhensibles sur le papier. De même, le show n'ayant pas à sa portée le budget d'un Game of Thrones, le soulèvement annoncé donne l'impression que dix gars bien remontés suffisent à totalement faire basculer une communauté – ce qui est peut-être plausible dans l'absolu mais rend un peu cheap à l'écran. Et pourtant, mais à la longue on commence à se dire que c'est une des forces de la série, ce pan de l'intrigue recèle quelques moments haletants au possible, déchirants, excitants. The 100 est en train de pousser au rang d'art majeur le fait d'écrire sous la contrainte, d'utiliser des faiblesses apparentes pour mieux les convertir en force.

C'est évidemment encore plus vrai de l'intrigue consacrée à la Cité des lumières, un peu pénible en début de saison (lorsque l'on a le sentiment que Jaha et Murphy ont décidé de déménager dans une autre série ressemblant à un mélange pas toujours très heureux de Battlestar et The Matrix), puis prometteuse lorsque l'on comprend de quoi il retourne, puis excitante lorsqu'elle intègre peu à peu Raven et Jasper pour mieux les approfondir et non pas juste pour leur filer un truc à faire... et enfin carrément trop classe lorsqu'en milieu de saison les scénaristes réalisent un formidable numéro d'équilibristes en reliant simultanément – et très naturellement – toutes les intrigues, faisant de celle-ci la colonne vertébrale non seulement de la saison, mais de la série dans son ensemble. Alors qu'on commençait à avoir un peu peur que The 100 ne se perde trop dans la revendication goguenarde de ses influences (ce qu'elle faisait dès le départ avec brio... mais aussi avec parcimonie), voici qu'elle dévoile sans crier gare l'un de ses pans de mythologie les plus inattendus et captivants. Chapeau, les mecs.


Et chapeau, surtout, pour ne jamais perdre de vue le sens de votre histoire. Au-delà de ses qualités, innombrables, ou de ses défauts, parfois assez criants, ce qui fait de The 100 une série si différente des autres est la manière dont elle place sans cesse ses personnages face à leurs responsabilités2. Il est extrêmement rare, en particulier dans des séries fantastico-SF à cliffhangers, que les actes des protagonistes aient des conséquences plus durables et profondes que de simplement faire avancer l'intrigue. Dès les premiers instants de la saison, on comprend que les évènements de Mt. Weather ne seront pas effacés de la mémoire collective, ni jetés au second plan. Ils sont présents dans tous les esprits et, plus qu'un rebondissement très sombre expédié en fin de saison deux, ils conditionnent les évènements à venir – ne serait-ce que parce que toute personne y ayant joué un rôle même minime en porte les séquelles psychologiques3. Ce choix narratif n'est pas nouveau dans la série : il en allait de même pour la grande bataille qui concluait le premier chapitre. Mais il trouve ici un véritable accomplissement, présentant des personnages à la fois très fidèles à eux-mêmes et malgré tout en perpétuelle mutation. L'exemple le plus parlant est sans doute paradoxalement le moins frappant : il s'agit de la blessure de Raven. Dans n'importe quelle autre série, une fois la jeune femme rétablie, cet évènement aurait été totalement occulté. Dans The 100, non seulement la douleur ne disparaît jamais, non seulement elle devient constitutive du personnage... mais encore se transforme-t-elle presque en intrigue à part entière. On ne sera donc pas surpris de constater une fois encore qu'à la différence d'un Game of Thrones, d'un Walking Dead et toutes ces autres séries s'étant faites une profession de foi d'assassiner leurs héros de la manière la plus dégueulasse et brutale possible, les morts de personnages dans The 100 soient réellementémouvantes. Pas uniquement choquantes ou surprenantes. On a peur pour eux lorsqu'on le voit venir (c'est souvent le cas), et on est réellement triste lorsqu'ils meurent, presque inconsolable lorsque l'on se dit qu'aucune trouvaille de casting ne pourra jamais les remplacer. En somme, on ressent exactement la même chose que les survivants contraints de faire leur deuil, lequel prend réellement du temps, lorsqu'il est possible. On n'ira peut-être pas jusqu'à dire que The 100 redonne du sens à la mort et à la souffrance de personnages télévisés – c'est un peu tentant, tout de même. Très, très peu de shows contemporains peuvent se targuer de provoquer cela chez le spectateur. Il va sans dire que cela excuse presque tout.


The 100 (saison 3), créée par Jason Rothenberg, d'après les romans de Kass Morgan (The CW, 2016)



1. Notons que précisément, le fait que tant de gens semblent l'avoir oublié en dit beaucoup sur la force de l'écriture, et plus spécialement de la caractérisation, dans cette série.
2. Accessoirement et même si je doute que le public de The 100 soit encore majoritairement composé d'adolescents, que ça fait du bien de voir une série classée – à tort ou à raison – en teen-drama, de surcroît sur la CW, qui incite son auditoire le plus jeune à s'interroger sur la notion de responsabilité plutôt que sur celle d'âme sœur, absolument absente de la série (rien que cela concourt à en faire un véritable OVNI).
3. C'est pourquoi il me paraît assez injuste de se braquer contre l'évolution d'un Bellamy - même si je conviens que lui inventer une copine juste pour la buter un épisode plus tard n'était pas l'idée du siècle. Bon, de là à confondre The 100 avec Arrow, il y a encore un certain nombre de femmes à mettre dans le frigo.

Le 10 Years After des 10 Years After #2

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Entre nous, qu'y a-t-il de plus horripilant que les classements des 100 meilleurs quoi que ce soit de n'importe quel registre sur n'importe quelle période ? Probablement rien. Il est donc tout à fait logique qu'à l'occasion des dix ans du Golb, celui-ci vous propose les 105 meilleurs albums des 105 meilleurs artistes durant ce laps de temps. Parce que Le Golb, on l'oublie souvent à force qu'il soit génial, c'est aussi l'un des sites les plus horripilants et contradictoires du Web culturel


95. The Tangible Effect of Love– The Loved Drones (ambassade frekasvilloise sur la Lune, 2012)

Le krautrock est certainement l'un des gens les plus périlleux qui soient, a fortiori lorsque l'on n'est pas allemand et que l'on ne vit plus dans les années soixante-dix. Un rien suffit à tomber du côté obscur du rock progressif, endroit dont très peu sont revenus – et rarement entier. Pas le genre de détail susceptible de faire reculer ces grands malades (pardon : belges) de Freaksville, qui après avoir accompagné tout ce que le label comptait d'artistes ont décidé de se payer quelques vacances bien méritées... dans l'espace. Et pourquoi pas, ma p'tite dame ? En guise de carte-postale, ils envoyèrent un album psyché, prog, baroque, pop, cinématique et tout ce que vous voudrez, espèce d'improbable (mais formidable) synthèse de tous les sous-courants que leur label fait revivre depuis des années. Faust s'y conjugue avec la new wave, Emmanuelle Parrenin enregistre des duos imaginaires avec Goblin et Pulsar vire disco. Ce pourrait être n'importe quoi – ça l'est un peu, en un sens – mais c'est surtout réjouissant, The Tangible Effect of Love offrant une espèce de quintessence de tous les registres auxquels on pourrait potentiellement accoler le mot planant.

À écouter en priorité : "Romantic Giallo"& "Red City"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Good Luck, Universe (2016)
Face B : (The Woman Who Took) A Flying Leap over the Fence, d'oG Musique (2012)

94. In Rainbows– Radiohead (pure pop – ou le contraire, 2007)

Cela semblera sans doute curieux aux jeunes de 2016, mais Radiohead, ce groupe que leurs bobos de parents adorent mais dont ils ne connaissent personnellement que "Creep", fut de très loin le plus populaire ET le plus crédible des années 90-2000. Alors quand en 2007 il se mit en tête, une fois libéré de son label, de publier son nouvel album en name your price sur son site, plus personne ne s'est senti. Il faut se rappeler, jeune de 2016, que la pratique était à l'époque inédite, à tout le moins pour un groupe d'une telle notoriété. Alors tout le monde en a parlé. Longtemps. Très longtemps. Six mois avant, on en parlait déjà. Six mois après, on en parlait encore. Tous les blogueurs musicaux de l'époque l'ont chroniqué (moi aussi), et Dieu sait qu'il y en avait alors. Le truc con c'est que du coup, tout le monde a oublié d'écouter l'album. Il faut dire aussi que les meilleurs morceaux étaient tous sur le deuxième disque, sorti plus tard en physique (une pratique restée pour le coup totalement inédite depuis). C'est d'autant plus dommage que cet album était probablement le plus accessible et mélodique du groupe depuis ses glorieux début, et très vraisemblablement son meilleur depuis le phénoménal Kid A (un album dont je reparlerai dans la sélection des meilleurs albums de tous les temps, prévue pour les 100 ans du Golb. Mais dont j'avais déjà parlé ici, si tu veux un avant goût). Viscéralement pop, ce qui était loin d'être une évidence alors, pétri de refrains cristallins, In Rainbows marquait – mais nous l'ignorions encore – la fin d'une époque. Celle des grands groupes que personne n'osait critiquer. Celle des disquaires. Celle des débats interminables sur la musique digitale. Celle de Radiohead, tout simplement, devenu depuis, précurseur un jour précurseur toujours, l'objet d'un bashing incessant de la part de branleurs encore plus snobs que ses fans. Ce qui n'est pas rien, crois-moi.

Àécouter en priorité : "Last Flowers to the Hospital"& "Bodysnatchers"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : The Eraser, premier et brillant album solo de Thom Yorke (2006)
Face B : Third, de Portsihead (2008), autres vétérans des nineties les plus inrockuptibles


93. June Gloom– Big Deal (Siamese Pop, 2013)

Il peut arriver de se perdre dans un album qui ne le mérite pas vraiment. On sait que ce n'est pas raisonnable de se le repasser autant de fois. Ni même de l'aimer à ce point. On n'osera pas forcément le recommander à ses lecteurs – encore moins en parler à ses amis. Mais rien n'y fait : on n'arrive pas à résister. Parce qu'ils nous évoquent trop de choses, nous collent trop de frissons au-delà de leurs qualités intrinsèques. Les deux disques des gentils Big Deal sont de ceux-là. Après avoir chanté que son chéri était "Cool Like Kurt", la frontgirl y découvre toute émue que les Smashing Pumpkins étaient encore plus cool, et le duo se met à produire son Siamese Dream personnel – l'innocence en plus et, logiquement, les glandes en moi. Tout doux et tout chou, mais bien barbouillé de disto quand même, June Gloom, dont même le titre et la pochette semblent être évadés du journal intime de Billy Corgan circa'92, aurait pu sortir à la grande époque. Peut-être alors n'aurait-il pas tant marqué le Golbeur (certainement pas, même). Avec un décalage de vingt ans, pourtant, il fonctionne à merveille – un peu comme les deux opus des Pains Of Being Pure At Heart, mais encore mieux. Sans doute parce que le tout est plus assumé ou, au contraire, plus insouciant. Comme si dans une époque plus qu'aucune autre marquée par le revival, tout cela n'avait finalement pas une grande importance. Ils ont sans doute raison.

Àécouter en priorité : "In Your Car"& "Teradactol"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Lights out (2011)
Face B : Zeitgeist, des Smashing Pumpkins (2007)

92. Zeroes QC– Suuns (lovely noise, 2010)

Je n'ai pas publié d'album lorsque j'avais vingt-cinq ans. Je n'ai d'ailleurs pas vraiment essayé (et je pense que le monde ne s'en porte pas plus mal). Mais l'aurais-je fait (et si j'avais connu Bandcamp, le monde ne s'en serait peut-être jamais remis) que je pense qu'il aurait à peu près ressemblé au premier opus des Suuns, ce groupe dont je ne sais toujours pas grand-chose des années après, dont les parutions suivantes m'ont au demeurant plutôt déçu mais qui, à ce moment M, a réussi à consacrer tout ce que j'aimais à leur âge en poignée de titres. Noise mais pétri de grandes chansons, psychédélique mais terrien, teinté d'accents synthétiques mais résolument rock'n'roll, post-punk mais lumineux... tout ce que j'aurais voulu y mettre y était déjà. Même un morceau portant le nom d'un Pape ! Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte d'à quel point j'aurais été à la pointe de la hype si j'avais publié ce disque à l'époque de mes vingt-cinq ans – c'est assez fou, quand on y pense. Bon, au final je n'ai pas fait de carrière musicale – j'ai ouvert un blog, et c'est sans doute mieux pour vous comme pour moi. Et même pour les Suuns, qui ont tout de même un nom vachement plus cool que le groupe de mes vingt-cinq ans.

À écouter en priorité : "Armed for Peace"& "Gaze"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Suuns + Jerusalem In My Heart (2015), split album avec – devinez qui ?...
Face B : Drums Not Dead, des Liars (2006)

91. Robin Adams' Train Crash Choir– Robin Adams (le vrai son pop-rock, 2011)

Chouchouté dans ces pages dès son premier album (le très joli Down in a Reverie), Robin Adams est cependant réellement devenu un habitué du Golb le jour où il parvint à briser la malédiction du folkeux électrifiant sa guitare et s'essayant à la pop. Certes pas au point de rivaliser les plus grands noms des seventies, mais avec suffisamment de talent – et des mélodies killeuses – pour exploser la concurrence décénale dans ce registre. Simple, inspiré et référencé juste ce qu'il faut, le tout ne crache pas sur les bons riffs et a de bonnes idées même dans ses temps les plus faibles. Il paraît que là où ils croupissent de honte depuis 2003, les Dandy Warhols enragent encore de n'avoir écrit ni "Double Vision", ni "Don't Get Me Down".

À écouter en priorité : "Don't Get Me Down"& "Passin' Through"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Be Gone (2011)
Face B : Wooden Wand & The World War IV, de Wooden Wand... and The World War IV (2013)


90. Dept. of Disappearence– Jason Lytle (grandpapa, 2012)

Cruel, Jason Lytle a attaqué la Golbodécade en splittant le meilleur groupe pop du monde de l'univers de tout le début du vingt-et-unième, presque sans crier gare et en lâchant quasiment à contre-cœur une dernière pépite (le très mésestimé Just Like the Fambly Cat). Fort heureusement pour nous tous, il s'est rapidement rendu compte de son erreur, et s'est aussitôt mis à enregistrer des albums, solo ou en groupe, ressemblant furieusement à du Grandaddy sans Grandaddy (qu'il finira logiquement par reformer le temps d'une tournée restée à ce jour sans suite). Pouvait-il en être autrement tant il était l'âme de ce groupe ? Il est très probable que même sa signature sur ses chèques ressemble à s'y méprendre aux notes de pochettes de Sophtware Slump. Si Dept. of Disappaerance ne peut décemment pas être vu comme le disque de la réconciliation (la bouderie n'avait de toute façon pas duré bien longtemps), il est en revanche le sommet de l’œuvre de Lytle durant cette période, seul de ses albums à régulièrement s'élever au prodigieux niveau de ceux de son groupe – soit donc à enterrer l'auditeur sous des ballades intergalactiques susceptibles de faire fondre tout un système solaire. Imparfait mais remarquable, passé presque inaperçu au moment de sa sortie, il balaie le terrain pour le prochain disque des grands-parents, annoncé pour 2013... euh, quoi ? Pardon, 2016. Depuis 2013.

À écouter en priorité : "Matterhorn"& "Your Final Setting Sun"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Yours Truly, the Commuter (2009)
Face B :I Heart California, d'Admiral Radley (2010), ou quand Lytle essaie de faire un nouveau groupe... rigoureusement identique au précédent.

89. Cassadaga– Bright Eyes (Highway 61 Revisité, 2007)

Encensé partout au moment de sa sortie, puis bizarrement écarté de toutes listes embed, Cassadaga est un disque que l'on n'écoute pas souvent mais que l'on redécouvre à chaque fois avec un vrai plaisir. Trop âgé désormais pour être encore vu comme un prodige, trop actif depuis trop longtemps pour encore mériter le titre d'espoir, Connor Oberst s'y amuse à prendre à demi-mots ceux qui lui ont collé un statut pénible de Dylan de la génération X (à laquelle il n'appartient même pas) en lui offrant ce dont elle n'osait rêver : un vrai, bel album de la maturité, louchant sur Nashville Skyline et achevant d'enterrer la scène alt-country à grand coup de chansons au classicisme étincelant. S'il n'était déjà pas le plus punk de sa bande, ce n'est assurément pas cette œuvre encensée par les Télérama et consorts qui aura renversé la vapeur tant tout y est d'une sophistication et d'une élégance bien loin de ses débuts lo-fi. Tant mieux ? Tant pis ? On l'ignore, mais il est certain qu'à l'âge où la plupart de ses idoles mouraient dans d'atroces souffrance, il se contenta de graver un grand disque de vieux con surdoué comme aucun dinosaure de la folk n'aura su en réaliser durant le même laps de temps.

À écouter en priorité : "Four Winds"& "Classic Cars"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Conor Oberst (2008), dans lequel il poursuit sa mue dylanienne de bien jolie manière.
Face B : The Whole Love, de Wilco (2011), autre groupe alt-country décidant d'enterrer le passé avec une certaine grâce.

88. Aleph at Hallucinatory Mountain– Current 93 (folk post-ap, 2009)

Avec les années, l'art de David Tibet aurait pu finir par s'éteindre – par lasser, à force de creuser sempiternellement les mêmes sillons, ou par ennuyer, à force de toujours vouloir monter d'un cran dans la radicalité. C'est pourtant tout le contraire qui s'est produit. Depuis le chef-d'œuvre All the Pretty Little Horses au milieu des années quatre-vingt-dix, Tibet est en entré dans une phase d’hyper-prolificité qui aura culminé durant cette Golbodécade, enchaînant les albums fascinants à un rythme effréné, multipliant les collaborations et étirant à l'infini ses toiles apocalyptiques. Véritable sommet d'une discographie qui n'aura quasiment offert que cela depuis dix ans, Aleph... se démarque moins par son contenu ou ses pulsions drone que par l'intensité incroyable qui s'en dégage, vous chopant par le colback pour vous traîner quasiment à votre corps défendant jusqu'à la dernière plage. On pourra sans doute ne pas goûter l'expérience, à l'image du camarade Arbobo qui à l'époque résuma ici-même ce disque en ces mots "on dirait par moments Acid Mother Temple qui joue avec un rabbin". Vous savez quoi ? C'est tout à fait exact et c'est bien ce qui plaît là-dedans.

À écouter en priorité : "Ivocation of Almost"& "UrShadow"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : HoneySuckle Æons (2011)
Face B : Advaitic Songs– Om (2012)


87. New Brigade– Iceage (noisy-punk, 2011)

L'habitué du Golb l'aura remarqué, ce classement manquait jusqu'ici un peu de punk, pas mal de branleurs et beaucoup de Danois. Trois vides que le premier album d'Iceage vient ici combler à grand renfort de coups de poings dans la gueule et de coups de pieds dans le cul (l'inverse n'étant jamais exclu). Pas de temps pour enluminures, encore moins pour les mélodies sucrées : le jeune combo danois se contente ici d’envoyer la purée dans tous les sens, sans trop réfléchir, ce qui lui jouera quelques tour sur son disque suivant (qui confondra débraillé et carrément mal habillé) mais fonctionne à la perfection dans le cadre d'un premier opus de punk totalement décomplexé. Depuis, les jeunes ont pris du galon, reçu plein de bonnes critiques et se sont mis à faire du Nick Cave post-Birthday Party. C'est peu dire qu'on les préférait en mode Boys Next Door, ce qui ne confère que plus de valeur à cet album aux faux airs de one-shot. Dans tous les sens du terme "shot", hein.

À écouter en priorité : "White Rune"& "Collapse"
Aussi conseillé sur cette période (mais il n'a rien à voir) : Plowing into the Field of Love (2014)
Face B : Supay, de Drive With A Dead Girl (2009)

86. July– Marissa Nadler (folk évanescente, 2014)

Marissa Nadler ne pouvait pas ne pas figurer dans cette sélection tant, par certains aspects, elle symbolise à elle seule cette Golbodécade. Outre que nous avons quasiment le même âge, qu'elle a commencé sa carrière discographique pile quand je commençais à écrire sur le Net, et qu'elle fut l'une des premières artistes interviewées dans ces pages, elle est aussi l'archétype de la songwriteuse dont on se demande encore comment on aurait bien pu en entendre parler s'il n'y avait pas eu les blogs – à l'époque nombreux, prospères et tous plus mal designés les uns que les autres. Les chansons de Marissa Nadler, c'est un peu pareil : un peu brouillonnes, un peu trop longues, accordant plus d'importance à l'atmosphère qu'à la mélodie... elles ont petit à petit, au fil de cette décennie, appris à discipliner leur onirisme au fur et à mesure que chacun d'entre nous maîtrisait un peu mieux le code HTML. En 2014, beaucoup de bons blogs avaient déjà disparus, ainsi que beaucoup de mauvaises folkeuses encensées par ceux-ci. Marissa, elle, était toujours là, armée de chansons plus cristallines et majestueuses que jamais. Et moi, je savais enfin composer mes propres Widgets. La suite relevait de l'évidence.

À écouter en priorité : "Drive"& "Firecrackers"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Songs III : Birds on the Water (2007)
Face B : The Harrow & The Harvest, de Gillian Welch (2011)



Dans l'épisode précédent : Deerhunter, Bucky, Brett Anderson, The Pains Of Being Pure At Heart, Phantom Buffalo, The Builders & The Butchers, DZ Deathrays, Rancid, Ultra Orange & Emmanuelle, Iron & Wine.

There Is a Place in Hell for Me and My Friends

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Pour les 10 ans du Golb, mon copain Zaph a commandé poliment quelques chroniques "à l'ancienne". Étant entendu que je ne peux rien refuser à celui qui fut le premier lecteur de ce site, je vous propose de vous dévoiler quelques extraits de Guldorama, recueil de chroniques rédigé durant l'été 2012. Il est bien évidemment dédié à Zaph, comme ceux qui suivront.

Parmi la cohorte d'endroits dont la seule existence me provoque frissons et mauvais rêves, il en est un qui surclasse tous les autres, et que j'évite le plus souvent possible – hélas pas assez souvent, mais je ne suis qu'un homme, soit donc un être fait d'errements et de faiblesses. Plus déprimant que Le Havre un jour de pluie. Plus désolé que Dunkerque un soir de semaine. Plus sale que mon appartement. Plus vain qu'un centre équestre. Plus gênant que des toilettes mixtes. Plus angoissant qu'un zoo. Plus stressant qu'une pièce réunissant plus de trois membres de ma famille simultanément. Plus solitaire et désespéré qu'un dimanche soir (ou n'importe quel soir, ou n'importe quel jour) à La Défense. Et, hélas, bien plus souvent nécessaire pour un célibataire urbain et désargenté. Ceux-là auront d'ailleurs compris depuis cinq phrases au moins à quoi je fais allusion : je veux bien sûr parler des laveries. Plus exactement de La Laverie, car, chacun aura eu l'occasion de le remarquer, on ne va jamais dans une laverie. Même s'il y en a plein – particulièrement dans mon quartier. On va toujours à La Laverie, car il n'y en a dans le fond qu'une seule, de même qu'il n'y a qu'un Enfer. La différence majeure, c'est que l'Enfer se compose principalement des autres, quand La Laverie se suffit à elle-même. Et que l'homme la fréquente principalement le dimanche, comme l'église.


Comme tant d'âmes égarées, je vais à La Laverie le dimanche. Peut-être parce que c'est le seul jour de la semaine où je suis à peu près sûr que je n'aurai rien de mieux à faire. On a beau travailler le dimanche, et se reposer le vendredi, rien ne fera jamais ressembler un vendredi à un dimanche. Le dimanche a une odeur et plus encore un(e) (absence de) son tout à fait personnels, qui le rendent immédiatement reconnaissable, même sans dessoûler durant une semaine entière. Plus jeune, durant mon enfance au milieu de nulle part, je rêvais à la ville, et s'il y avait bien une chose dont j'étais absolument sûr, c'est que le dimanche ne pouvait pas y être aussi lent, mou, insupportable et finalement inutile... qu'il pouvait l'être à Frocville. Après le bac, je suis parti vivre à Rouen, et j'ai commencé à déchanter. J'avais tout de même besoin d'acheter mes cigarettes du dimanche la veille, au cas où : il n'y avait qu'un tabac ouvert le dimanche pour toute une ville, et il se trouvait si loin de chez moi que je devais emprunter la voiture pour m'y rendre. Je devais aussi bien sûr faire mes courses le samedi, songer tant qu'à faire à acheter du pain, et faire une croix sur toute activité non champêtre. Bref, les dimanches rouennais ressemblaient beaucoup aux dimanches frocvillois. Le temps n'a rien changé à l'affaire, et ville après ville, l'atroce vérité a fini par s'imposer : quand on est dimanche, on est dimanche. Les dimanches lyonnais ressemblaient énormément aux dimanches rouennais, les dimanches lillois aux dimanches lyonnais, les dimanches asniériois aux dimanches lillois, les dimanches parisiens à tous les autres. S'il est une nuance de taille, c'est peut-être précisément le rituel – que dis-je ? La Messe Noire – de La Laverie.

J'y vais donc le dimanche. Pas chaque dimanche, car La Laverie, de même que l'Enfer ou tout autre lieu diabolique, coûte cher à qui ne prend pas soin d'y réfléchir à deux fois. Cela se traduit principalement par des euros, mais je ne serais pas surpris d'apprendre que certains y laissent leur âme en sus.

Parmi tous les endroits que compte une grande ville, il n'en est sans doute aucun qui exsude autant la solitude, l'ennui, le mal être urbain. Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. Vous avez de très grandes chances d'être pauvre, au chômage ou étudiant, ce qui de nos jours revient peu ou prou au même. Il est probable que vous soyez célibataire, divorcé, seul d'une manière ou d'une autre. Vous n'en êtes pas très heureux ; en tout cas lorsqu'il s'agit de se rendre à La Laverie, vous avez invariablement l'air triste. Vous essayez de limiter les dégâts – et les frais – pourtant, hélas rien n'y fait : vous avez beau ne pas prendre beaucoup de linge, vous finissez toujours par en avoir pour dix euros. Sans doute vous demandez-vous ce qu'il faut ramener pour n'en avoir que pour cinq. Deux slips et trois chaussettes ? Rassurez-vous, je vous comprends et me pose la même question. Nous en sommes tous là. De même que nous nous demandons tous pourquoi... mais pourquoi... mais PUTAIN DE BORDEL DE CUL DE DIEU DE MERDE POURQUOI les sèches-linge ne sèchent jamais complètement. Alors que nous connaissons tous des gens qui ont des sèches-linge chez eux, apparemment bien moins professionnels, mais qui sèchent très bien. Avant que vous ne posiez la question : oui, bien sûr, j'ai moi aussi songé à l'hypothèse du complot.

Je vais donc à La Laverie le dimanche, et c'est sans doute la chose la plus stupide qui soit car, si La Laverie en soi est ennuyeuse, La Laverie le dimanche est, pour ainsi dire, mortelle. Il y a plus de monde, plus de bruit, et moins de choses à faire en attendant que le linge soit propre. Certains courageux n'hésitent pas à tenter le Diable : ils mettant leur machine en marche et filent, Dieu seul sait où, vaquer à leurs occupations dominicales. J'admire cet insouciance qui me fait défaut. Comme tous ceux qui n'ont rien, j'ai très peur qu'on me le retire. On sera libre d'y voir une paranoïa aiguë ou la marque du consumérisme contemporain : c'est qu'il doit être puissant, pour que j'aie ainsi peur que l'on dérobe mes chaussettes trouées et mes t-shirts passés.

Alors je mets tout dans la machine, et je reste dans le secteur. Parfois, je fais quelques mètres pour aller acheter des cigarettes. Ou bien j'en fume une devant La Laverie, discutant avec un inconnu comme d'autres essaieraient de trouver des choses à dire à Cerbère. La plupart du temps, je reste à l'intérieur. Et j'attends. Longtemps. Très longtemps. Parce que la machine, qui annonce invariablement trente minutes, met toujours beaucoup, beaucoup, beaucoup plus de temps que cela. Je ne saurais dire combien. Tout ce que je peux affirmer, c'est que le temps défile différemment à La Laverie. Il est plus lent. Plus pesant, aussi. Chaque minute en vaut bien trois. Un peu comme en Enfer, sauf que tout de même, on ne s'y fait pas violer ni écarteler durant ce laps de temps. On se contente de se dire que cela ne finira jamais. Ce qui est vrai et faux à la fois : cela finit toujours au bout d'un (interminable) moment, mais le linge sale s'entasse vite et un jour ou l'autre, d'une manière ou d'une autre, on finit toujours par revenir à La Laverie. Officiellement pour trente minutes, plus séchage. Officieusement pour une après-midi.

Bien entendu et comme beaucoup d'autres avant moi, j'ai un temps songé à entrer en résistance. À prendre les armes ou, à défaut, la lessive à main. Mais c'est bien le propre du Diable que de savoir nous séduire. Car soyons lucides, même si cela ne nous honore pas : qui peut sérieusement avoir envie de faire la lessive à la main, puis de l'étendre, puis d'attendre des heures entières que cela sèche ? Personne. Et comme le Diable réside dans les détails, il trouvera toujours un petit quelque chose (une tache qui ne part pas, une trace de séchage) pour me convaincre que non seulement La Laverie c'est mieux, mais que j'ai besoin d'aller à La Laverie. Juste une fois. Comme ça. Sauf que ce n'est jamais qu'une fois et qu'au bout d'un moment, bien que je le déplore, l'idée que La Laverie m'est nécessaire s'est insinuée dans mon esprit de la même manière que d'autres, toutes aussi néfastes, comme l'importance de réduire les déficits et la supériorité de la démocratie sur tout autre système de gouvernement.

Aussi, je finis toujours par retourner à La Laverie, la mort dans l'âme et l'espoir entre les jambes. J'y croise des âmes errantes, des âmes soupirantes, des âmes qui souvent paraissent sans vie. Des gens globalement moches, sales et mal fagotés – comme si c'était aussi un peu eux qu'ils espéraient venir nettoyer, cet après-midi. Cela n'arrive évidemment jamais : on n'en sort que sali, de La Laverie. Parce que c'est une forme de soumission, et aussi principalement parce que personne n'y fait jamais le ménage. D'ailleurs personne n'en est responsable, personne ne surveille et personne ne symbolise l'Institution ou l'Autorité. En ce sens, La Laverie est la version terrestre la plus aboutie de l'Enfer. Le Diable n'a même pas besoin de se déplacer. Nous sommes tous ses esclaves et nous n'avons nullement besoin de ses ordres pour lui obéir. Nous nous contentons d'avancer sans but, de répéter les gestes qu'il a inscrits dans nos habitudes, sans même nous poser de questions. Parfois, il se manifeste seulement par l'entremise d'une petite voix intérieure, que nous croyons être la nôtre. Courage, ce n'est qu'un moment à passer. Ce n'est pas si grave. Allons, ce n'est qu'une période dans ta vie. Un jour ou l'autre, tu auras ta propre machine à laver. Nous la croyons, cette voix. Alors nous restons un peu plus. Faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Est-ce que nous pensons vraiment qu'un jour, cela ira mieux ? Un jour, justement, j'ai rencontré un homme qui venait à La Laverie chaque dimanche depuis plus d'une décennie. Il ne me l'a pas dit. Je l'ai simplement lu sur son visage. L'espace d'une seconde, j'y ai vu quelque chose ressemblant au mien. J'ai eu peur. L'espace d'une seconde seulement, mais mon sang s'est glacé. Quand j'ai repris mes esprits, je ne saurais dire combien de temps plus tard, j'ai foncé vers la machine pour en retirer mon linge et – à Dieu ne veuille ! – reprendre le chemin de la maison.

Lorsque je me suis aperçu qu'on ne pouvait ouvrir la machine une fois celle-ci lancée, j'ai compris.

[GOLBEUR EN SÉRIES RE-O] Semaines 16 – 18

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BANSHEE (saison 4) La série la plus gore et barge de ces dernières années nous quitte donc sur la pointe des pieds, au terme d'une saison un poil trop différente des précédentes pour ne pas laisser un goût un peu étrange en bouche. Certes, on retrouve l'écriture très spécifique de Tropper, que ce soit dans ses romans ou dans Banshee elle-même ; cette volonté de reprendre les codes d'un genre et de les outrer jusqu'à la caricature, de faire de l'excellent avec ce qui pourrait ou devrait être merdique. Ici, il nous fait le coup de l'ellipse temporelle ET celui de la saison finale qui s'ouvre sur la mort d'un personnage qu'on va élucider à coups de flashbacks. Tout ce pan de l'intrigue est très réussi... en fait, presque tout est très réussi dans les deux premiers épisodes, et l'on est presque admiratif de la volonté pour le moins couillue de Tropper de ne pas donner trop vite ou trop lourdement ce que l'on attendait (la confrontation entre Hood et Proctor... qui n'aura finalement jamais lieu). Jusqu'à la fin, ou disons jusqu'à ses vingt dernières minutes, Banshee est dans le récit, dans l'action, ce qui demeure plutôt rare pour une série en train de se conclure. L'ensemble était inégal ? Mais Banshee a toujours été assez inégale, que ce soit en terme de distribution, de scénario et surtout de dialogues. Si elle contient assez peu de scènes d'anthologie (moins qu'à l'accoutumée, en tout cas), ce dernier chapitre a le mérite incontestable de ne pas enfermer le show dans un système ; en durant plus d'une ou deux saisons, Banshee plus encore que d'autres séries moins bordeline prenait le risque de devenir sa propre caricature. Pour cette raison, tout le monde s'est plutôt félicité de la décision de Tropper de ne pas inutilement jouer les prolongations et de programmer une saison finale. Ironiquement, il esquive l'écueil jusqu'à la toute fin, lorsque quasiment toutes les intrigues sont bouclées et qu'il ne reste plus qu'à traiter l'aspect psychologique, registre dans lequel ce n'est pas lui faire injure (car cela n'a jamais été le propos de Banshee) que de dire qu'il n'a pas toujours brillé. Il y avait sans doute mieux à faire qu'un duel Hood/Burton anti-climatique au possible, un Proctor dont on ne sait rien de la destinée ou un Hood qui se casse en mode lonesome cowboy sans trop qu'on comprenne en quoi il est temps pour lui de le faire. On n'ira pas clouer au pilori la série pour autant, qui a su se montrer suffisamment surprenante et originale durant quatre saisons pour qu'on l'excuse de patauger un peu sur la fin. D'autant que, ultime ironie, le tout s'achève de manière relativement optimiste sans qu'un seul de nos héros y laisse sa peau. Ce qui pour une série aussi violente et meurtrière Bansheeétait une délicieuse surprise.


BATES MOTEL (saison 4) Réussir à proposer une fin de saison inattendue en provoquant un évènement totalement attendu, ce depuis quasiment le pilote... c'est presque un art, non ? Si si. C'est un art, et il est bien dommage que cette quatrième saison laisse un sentiment si bizarre, extrêmement bien écrite par instants (si toutes les intrigues amoureuses étaient aussi délicates et touchantes que entre Norma et le shérif, les Drawas mettraient la clé sous la porte), pleine de scènes fortes ou tout simplement jolies (la toute dernière, notamment) tout en étant par moments un peu... chiante. Enfin, on ne va pas aller se plaindre puisque les scénaristes ont répondu ni plus ni moins à tous les reproches qu'on leur faisait ici même il y a un an. La saison prochaine (qui devrait être la dernière) promet de sacrés moments de noirceurs.

DAMIEN Pour une série qui commence si mal, Damien s'en sort finalement plutôt bien. En proportion. A partir de son (bon) sixième épisode ("Temptress"), qui soulevait la possibilité que Damien soit victime d'une banale manipulation, la série a pas mal gagné en densité. Et si l'épisode en question était finalement gâché par sa chute (oh ! un rêve !), il ouvrait cependant la porte à une seconde partie de saison aux menaces un poil plus concrètes et moins grotesques. Après tout, fils caché du Diable ou bien d'Yves Montant, Damien Thorne n'est au final qu'un brave gars pris en otage des fanatismes des uns et des autres. Cet aspect aura été plutôt bien défendu par le scénario (et par Bradley James, dont le côté faussement fade s'est avéré plutôt adapté au rôle), qui semblait vouloir s'orienter vers une évolution à la Bates Motel, avec un héros cette fois-ci damné au sens premier du terme, mais tout autant livré à ses pulsions... et destiné lui aussi, malgré la sympathie qu'il inspire au spectateur, à devenir un monstre. Imparfait, donc, mais tout à fait divertissant en l'état et moins con qu'on l'avait pensé au départ. Il fallait le dire puisque, la série étant annulée, nous n'auront plus l'occasion d'en reparler.

The FLASH (saison 2) De la couleur, de la vitesse, de l'énergie et des trouvailles visuelles cools... ce final plutôt réussi a permis de bien mesurer ce qui nous a manqué durant toute la saison. Vous avez le droit de vous esclaffer et de me répondre en chœur "un scénario !". C'est un peu vrai. Je vais donc reprendre la première personne : moi, il m'a tout simplement manqué du fun. Du dynamisme. Tout ce qui faisait de la première saison la plus chouette nouveauté de l'an passé et tout ce qui faisait, surtout, que j'oubliais volontiers les lourdeurs de certains dialogues et/ou certaines incohérences. Cette année, quoiqu'il ait fait, Barry "Flash" Allen a été un héros extrêmement passif, subissant aussi bien les évènements que les mauvaises idées de scénario. Pas un hasard si le meilleur épisode (et de loin) aura été "Enter Zoom" (2x06), dans lequel le pauvre Barry est vaincu et humilié par son antagoniste – nous ne le savions pas encore, mais c'était tout simplement le trailer de la saison. Zoom était un personnage inquiétant, en apparence invincible, donc prometteur ? Que dalle : outre que le rôle aura été confié au plus mauvais acteur de l'équipe, les scénaristes se sont rapidement perdus en route, à tenter lourdement d’emberlificoter des mystères (transparents) autour de son identité, puis de celle de son prisonnier (que tout le monde avait devinée depuis cinq épisodes minimum), pour finir par s'égarer dans les méandres de sa relation inutile avec la toute aussi inutile (quoique décorative) Caitlyn. Le duel sans cesse interrompu et/ou repoussé a fini par devenir l'affrontement de speedsters le plus lent et soporifique de l'histoire des super-pouvoirs, et l'on n'a jamais compris comment Zoom a pu squatter le show durant si longtemps en étant paradoxalement si faible et en ayant des motivations si nébuleuses ; l'épisode ri-di-cu-le où il pique la vitesse Barry n'aura jamais été digéré : Flash est à ce stade plus fort que lui, il l'a sous la main, Wally vient d'être rendu à ses amis... la saison aurait dû se terminer à ce moment là plutôt que s'éterniser durant encore quatre ou cinq putains d'épisodes. Mais non, il fallait encore attendre et confronter Barry au fantôme de la Speed Force (hein ?), puisque nous avions déjà eu auparavant Barry la lose, Barry s'entraîne, Barry visite Earth-2, Barry remonte le temps, Barry... arrêtons la liste ici, toute la saison n'a parue être qu'un immense épisode filler, retardant sans cesse la confrontation (très cool, mais aussi très courte) entre Flash et Zoom. Sur l'ensemble, la chute de niveau par rapport à l'an passé est stupéfiante, au point que si la saison 3 n'envoie pas du pâté au poivre vert très vite, il n'est même pas sûr que je la regarde jusqu'au bout (et vu les audiences sensiblement déclinantes, je ne serai pas le seul...)


GAME OF THRONES (saison 6) Bon. Il faut qu'on en parle. C'était important de laisser passer quelques semaines histoire de voir de quoi il retournait vraiment. L'évènement était assez singulier pour mériter d'être pris avec toute la froide distance nécessaire. Cette saison est... bien. Et même : chouette. Voire occasionnellement cool. Libérés de George, et sans doute un peu aussi d'eux-mêmes, Weiss et Benioff semblent s'amuser comme des petits fous à casser leur jouets. Non seulement on ne retrouve quasiment aucun des gimmicks habituels de la série (quasi aucun plan cul, de plus en plus de conversations à trois personnages – voire plus), mais encore s'autorise-t-elle de-ci de-là une chose assez extraordinaire à son niveau : des passages de comédie. Certes très fugaces, mais réels et participant de la fluidité générale d'épisodes qui n'ont jamais parus aussi légers, simples, efficaces. C'est tout de même assez jouissif de voir le morose Kit Harington télécharger un nouveau pack d'émoticônes pour son personnage, ou de se laisser porter par des rebondissements moins énormes que par le passé, souvent prévisibles, mais beaucoup plus vifs et efficaces, également. Tout est pareil et pourtant, depuis cinq semaines, Game of Thrones semble être devenue une autre série, comme si elle s'assumait enfin comme le divertissement overzetop qu'elle a toujours été, entre deux critiques pompeuses et trois thèses sur l'importance du tressage de cheveux dans la banlieue ouest de Meereen. Pourvu que ça dure !

The GRINDER Est-il nécessaire, voire simplement raisonnable, d'aller au bout d'une série qui vient tout juste d'être annulé ? Le débat est vieux comme la télévision et se pose à moi (et sans doute aussi à vous) de manière un peu plus criante chaque saison, a fortiori en 2016 où je suis inhabituellement en retard sur mes plannings de visionnage. D'habitude, j'ai au moins le déplaisir de voir un show annulé une fois que j'ai terminé de le regarder. Là, je contemple la masse d'épisodes de The Grinder qu'il me reste à lancer et je ne peux m'empêcher de me demander si ç'a vraiment un sens, ce qui n'est tout de même pas très sympa pour tous ceux qui ont bossé dessus. Il faut dire qu'ils n'ont pas fait grand-chose pour métier un tel effort de ma part, car si The Grinder a eu des débuts plutôt sympathiques, son côté ultra-répétitif et son choix assez étonnant de ne reposer que sur un unique ressort comique (le héros bloqué en mode actor's studio) l'ont vite usée. Finalement, le plus fascinant dans The Grinder aura sans doute été sa propension à ne strictement rien faire de son excellente distribution. Pensez donc que les mecs avaient sous la main le gentil gosse des Wonder Years (qui a grandi mais ce n'est pas excuse), l'immense William "Greg Sumner" Devane, la serveuse chouquette d'It's Always Sunny, le toujours ahuri Steve Litle, l'éternellement piquante Natalie Morales plus – car ce n'est pas fini – des guests du calibre de Timothy Olyphant (!) ou Môssieur Jason Alexander (!!!!). Bref, quasiment le meilleur casting de la télé US cette saison, tout ça pour quoi ? Servir la soupe à Rob Lowe. Un vrai mystère, ce truc.


LEGENDS OF TOMORROW Plutôt que la série, j'aimerais une fois n'est pas coutume saluer mon propre courage – et Dieu sait qu'il m'en a fallu pour rester jusqu'au bout de cette saison pénible, visuellement morne et scénaristiquement proche de l'encéphalogramme plat. On connaît certains fans absolus de héros de quatrième rang de chez DC Comics qui n'ont pas tenu jusque là. Alors pour me récompenser, Greg Berlanti a décidé – c'est vraiment gentil de sa part – de m'offrir deux épisodes finaux de bonne facture (pas de grande, n'exagérez pas non plus). Le coup de théâtre de l'épisode 15 était bien amené, c'est-à-dire, à l'échelle de la série, pas trop stupide ni prévisible, et l'on regrettera que cette bonne idée (la timeline a besoin de la présence – et des exactions passée et à venir – de Savage) n'ait pas vraiment été exploitée pour être sacrifiée sur l'autel un final pétri de mauvaises scènes d'action et de vannes tombant à plat. Vous me direz, c'était en soi un fort bon résumé de la saison dans son ensemble.

MARSEILLE Tout ce que ce pays compte de critiques a tellement défoncé cette pauvre série que par un effet de balancier tout à fait compréhensible, j'ai presque envie de la défendre. L'esprit de contradiction a cependant ses limites : c'est à la limite du regardable. Rien à dire, les professionnels de la profession ont fait leur boulot. On se permettra juste de noter perfidement (on est quand même sur Le Golb) qu'ils ne mettent bizarrement pas le même entrain lorsqu'il s'agit de désosser les séries produites par (au hasard) Canal + plutôt que par l'odieux envahisseur Netflix. Marseille est affreuse, mais elle n'est pas dans l'absolu plus intolérable que la récente Section Zéro. Qui comme toute série de Canal qui se respecte a néanmoins trouvé sans difficulté une vingtaine de journalistes pour saluer des qualités proprement inexistantes. No comment.

Mieux vaut tard que jamais

JONATHAN STRANGE & MR. NORRELL Si les meilleures adaptations sont celles qui savent trahir pour transcender (adage connu et même rebattu), les plus jouissives à développer doivent être comme celle-ci. Prendre un roman globalement raté mais au potentiel réel pour essayer d'en extirper quelque chose, une essence, une substantifique moelle – n'importe quoi que l'on puisse modeler à sa guise. Le livre de Susanna Clarke ne manquait pas de bonnes idées, mais celle-ci étaient noyées dans d'interminables digressions et un mélange des genres pas toujours très heureux. Habilement concentré en une mini-série de sept épisodes et bénéficiant de tout le savoir faire d'un duo Peter Harness/Toby Haynes ayant fait ses armes chez Wallander et surtout Doctor Who, il prend sa pleine mesure et devient le récit captivant d'une confrontation entre deux égos et autant de visions du monde, sur fond de querelle des anciens contre les modernes et de fantastique angoissant au possible. C'est remarquable. Il est quasiment impossible de décrocher une fois commencé, et si les épisodes sont très denses (une heure chacun), c'est à peine si l'on voit le temps passer – autant vous dire que ce n'est vraiment ce à quoi les lecteurs de ce roman prodigieusement lent pouvaient s'attendre en apprenant son adaptation.


Pardon Karim

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Pardon, oui. Je n'ai pas que des choses gentilles à te dire et je n'ai pas que des compliments à te faire, mais je voulais commencer par m'excuser, au nom de tous ceux – visiblement peu nombreux – qui aiment vraiment le football dans ce pays. Le jeu, son intensité, sa dramaturgie. Pas ce qu'il représente dans les pages pipoles, les discours de politiques et les traités de sociologie, qui ne se sont bizarrement jamais autant ressemblé ces derniers mois. Je te demande pardon, oui, au nom de ces gens qui n'utilisent jamais des expressions grotesques comme la tunique frappée du coq, qui ne chantent jamais la Marseillaise, ces gens qui ne considèrent pas que les joueurs sont leurs joueurs, et qui ne leur demandent pas de mouiller le maillot pour la patrie, juste de gagner – et par gagner j'entends bien : gagner, par tous les moyens, et pourquoi pas un contrôle de la main ? Voilà tiens, je te demande pardon de la part de ces gens qui savent que Titi Henry n'a pas marqué un but de la main, de même qu'Eto'o n'a jamais joué arrière droit sous Mourinho. Les gens qui comprennent ce qu'ils regardent, en somme, ou tout simplement qui le regardent, justement, plutôt que de mal régurgiter à la machine à café ce qu'ils ont entendu la veille dans l’Équipe du soir. Tu n'imagines pas comme nous sommes peu nombreux. Et moi, je n'imaginais pas qu'avec tout ce qui s'est passé depuis un an, les attentats, les grèves et autres joyeusetés ce serait toi, Karim, qui me ferait faire le plus de tri dans mes contacts Facebook. J'en ai certains, la plupart en fait, je ne les vois parler de foot que pour les polémiques et donc, ces temps-ci, te cracher à la gueule. Jamais je ne les vois parler de jeu. Quand j'essaie d'amorcer une conversation à ce sujet, c'est un vrai saut dans le vide, ils n'ont rien à dire, croient connaître beaucoup de choses mais, fondamentalement, ne savent rien. Ce sont les mêmes qui te clouaient au pilori durant tes fameuses mille minutes sans marquer, viscéralement incapables de voir que tes matches n'étaient pas si mauvais, voire bons ; viscéralement incapables d'analyser tes déplacements sur le terrain, tes appels, tous ces trucs que toi, qu'ils considèrent néanmoins comme un type arriéré doté du QI d'un bulot, tu sais instinctivement depuis que tu as huit ans. Je peux comprendre que tu aies un peu envie de leur rentrer dans le lard, de temps en temps. D'autant que tu as vraiment tout fait pour qu'ils t'aiment. Tu en as donné, des gages d'amour au maillot. Tu nous a même qualifié pour deux compétitions consécutives quasiment à toi tout seul. Mais non, que dalle. Tout sera toujours retenu contre toi, quoi qu'il arrive.

J'en viens à ta dernière sortie. La première chose que je dois te dire, c'est que ce n'était pas le moment. L'Euro commence bientôt, l’Équipe de France ressemble à un champ de ruine, sans même parler des crispations identitaires qui secouent le pays depuis des mois (des années)... non, ce n'était vraiment pas du tout le moment, même si je peux comprendre qu'après être resté digne et quasi muet durant des mois, tu aies pu céder à l'envie de régler tes comptes, même gentiment (car ton interview, ceux qui l'ont lue le savent, n'a rien de bien méchant1).


Ce n'était pas le moment et en même temps, je te l'accorde, ça ne l'aurait sans doute jamais été. Si tu l'ignorais encore hier, tu ne peux plus en douter désormais : la vox populi n'attend pas de toi des explications ou des excuses, encore moins que tu défourailles de manière aussi touchante que confuse. La vox populi veut juste que tu fermes ta gueule. Ce n'est pas juste ? Malheureusement, la vox populi n'est pas juste. Tu es déjà arabe, musulman, riche d'un salaire qu'elle considère que tu ne mérites pas. On ne va pas en plus te donner le droit à la parole, ou pire : à l'erreur. Et surtout, ce n'est quand même pas toi, la racaille à l'entourage douteux et aux innombrables casseroles, qui va venir regarder le bon Français bien droit dans les yeux pour lui dire ses quatre vérités. Faut pas déconner non plus. Rentre dans ton pays (l'Espagne, mais le bon Français pense l'Algérie), prends ton oseille puisqu'on ne peut pas t'en empêcher, et ne nous emmerde plus avec tes histoires. Condamné ou pas condamné, blanchi ou pas blanchi, qu'est-ce qu'on s'en branle ? On ne veut plus te voir porter notre maillot, jamais. Entre nous Karim, tu croyais quoi ? Tu as vu comme ces péquenots ont traité le plus grand buteur de leur histoire pour un banal fait de jeu ? Comment as-tu pu croire une seconde qu'ils te passeraient quoi que ce soit ? C'est là que tu as tort, du moins en partie : aurais-tu été nommé Dupont que les péquenots qui ne connaissent rien au football et se nourrissent avant tout de polémiques stériles ne t'auraient pas plus loupé. Tu as quand même été impliqué dans une sale affaire, que tu le veuilles ou non, touchant directement un coéquipier. Peut-être étais-tu de bonne foi. Peut-être même Valbubu a-t-il essayé de t'enfoncer. Peut-être as-tu des circonstances atténuantes mais au final, ce n'est quand même pas une surprise que le Français moyen ne veuille pas voir ta gueule – il ne voulait déjà pas trop la voir avant.

Pourtant je le disais plus haut, tu n'as tort qu'en partie. Je le sais bien, tu le sais peut-être aussi, et je crois que nous sommes tout de même – heureusement pour ce pays – quelques uns à en avoir conscience. Le problème de ta sortie dans Marca n'est pas de raconter n'importe quoi, mais d'entremêler d'indiscutables vérités qui n'étaient pas nécessairement connectées les unes aux autres. Est-ce que Deschamps a cédé à la pression pour ne pas te prendre ? C'est une évidence, il l'a quasiment dit, il a essayé de compter sur toi le plus longtemps possible et Le Graët, qu'on critique beaucoup mais qui est sacrément remonté dans mon estime depuis le début de cette affaire, ne s'en est jamais caché non plus. Est-ce que le fait que tu sois arabe a été une circonstance aggravante auprès de l'opinion ? Bien entendu, comment pourrait-il en être autrement vu l'état de notre pays ? Il faut vraiment ne pas avoir beaucoup lu de commentaires sur Internet, ne pas avoir fréquenté beaucoup de bars PMU et ne pas avoir beaucoup pris le métro depuis huit mois pour être convaincu que le racisme n'a absolument rien à voir avec la manière dont tu as été traité. Personnellement, au plus fort de ces polémiques, j'avais une telle nausée que j'arrivais à peine à ouvrir un navigateur Internet. Pour autant, est-ce que Deschamps a par conséquent cédé à "une partie raciste de l'opinion" ? Cela va peut-être te sembler bizarre, mais la réponse est vraisemblablement non, dans la mesure où il n'y a pas non plus que les racistes qui ne voulaient plus de toi, je suis désolé de te l'apprendre. Il y avait aussi tous les grands moralistes du football (qui certes, sont presque tous des mecs blancs issus de la classe moyenne supérieure), qui s'ils ont beau être la lie du supportariat dans ce pays ne sont tout de même pas tous des électeurs du FN en puissance.

Quand je lis l'ensemble de cet entretien, tant qu'à faire dans le texte car je n'ai aucune confiance en les médias français pour ne pas déformer tes propos, je comprends parfaitement où tu veux en venir, pourquoi tu dis ce que tu dis, et je t'excuse sans problème la maladresse et le manque de nuance. Je vois bien que tu mélanges différents trucs sans réellement te rendre compte de ce que cela va provoquer, peut-être parce que vivre toute l'année dans un pays où l'extrême droite est quasiment inexistante t'a fait sous-estimer l'état de nerfs dans lequel se trouve réellement la France (tu le sais, tu en parles, mais savoir et voir sont deux choses différentes). Je vais être honnête avec toi : si j'aurais préféré que l'on t'accorde le bénéfice du doute dans l'affaire dite de la sex-tape, parce que je t'ai toujours trouvé sympathique et n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi nous étions si peu nombreux dans ce cas, je ne me suis pas non plus senti scandalisé quand j'ai appris ta non-sélection. Comme plein de monde, j'étais surtout content que ça se termine, de la seule manière possible sans doute. J'accepte sans problème l'idée qu'il n'y ait eu aucune intention malveillante de ta part vis-à-vis de ton ex-pote, mais je ne suis pas convaincu que tu sois aussi irréprochable que tu le dis. Pourtant, depuis le début, je n'ai jamais réussi à m'empêcher de te défendre (tu vois, je suis encore en train de le faire, alors que comme je le disais plus haut, ce n'était vraiment pas le moment de faire une telle sortie médiatique). Parce que oui, j'ai toujours pensé qu'il y avait une part de racisme sous-jacent dans le traitement médiatique dégueulasse dont tu as été la cible, et pas seulement depuis que l'affaire a été révélée au grand public. Voilà des années que j'observe l'étrange construction médiatique qui s'opère autour de toi, avec un mélange de stupéfaction et de curiosité, ou comment transformer un type sympa, ne faisant jamais chier personne, n'ayant (du moins jusqu'à ce récent bordel) jamais eu le moindre problème avec aucun coach/dirigeant/coéquipier... en une espèce d'incarnation de tout ce qui déconne dans ce pays, avec des fréquentations douteuses et une mentalité de caïd (certains disent ghetto plutôt que caïd, pour donner l'impression qu'ils sont moins incultes que les autres – ils savent de quoi ils parlent, ils ont même déjà acheté un disque de Booba). Aurait-on fait pareil avec un joueur s'appelant, je ne sais pas moi, Thomas Sinaeve ? Je pense sincèrement que la réponse est évidente.

Aussi quand j'en vois réagir à ton interview en parlant de victimisation, j'ai juste la gerbe. C'est tellement facile, de parler de victimisation, lorsque l'on appartient aux dominants et que l'on ne s'est jamais soi-même heurté au racisme. Quand on n'a jamais ressenti la haine de la différence dans ses tripes ou dans sa chair, c'est tellement commode de brandir ce genre de concept vide de sens. Le footballeur rebeu issu de banlieue est une cible facile pour ce type de dangereux glissement de la pensée : il a tous les apparats du dominant, tout en restant culturellement et fondamentalement un dominé. Du pain béni pour le mépris de classe – car c'est en grande partie de cela qu'il s'agit, bien plus que d'un racisme dur, cru, objectif. Ce n'est pas uniquement l'Arabe ou le Mulsulman, qui prend dans l'histoire. C'est l'ex-jeune de banlieue, avec toutes ces mauvaises fréquentations avec lesquelles il devrait rompre (il y a une telle violence sociale dans cet impératif de rupture avec les origines, quand on y pense...). C'est le gosse à qui, à dix-huit ans, Luis Fernandez a fait dire que la France c'était "pour le sportif" et qui est poursuivi depuis sans relâche par cette citation tronquée et décontextualisée (en réalité, tu as juste dit que l'Algérie était importante pour toi, et c'est Fernandez qui a enchaîné en te demandant sans point d'interrogation – un concept qu'il maîtrise mieux que le reste de la grammaire – si la France c'était pour le sportif, toi tu as juste baragouiné un truc incompréhensible, comme n'importe quel ado l'aurait fait à ta place). C'est fou quand on y pense : les gens ont de la mémoire pour ça, par contre, ils ont déjà totalement occulté la couverture scandaleuse de Libé, celle où tu sembles évadé de Scarface, à propos d'une affaire où tu n'as jamais été inquiété par la justice ; la polémique sur le crachat et la Marseillaise (et toutes les polémiques dont tu as été la cible depuis dix ans à propos de cet hymne), portée à bout de bras par des gens qui, effectivement, ne sont pas du tout connus pour leur racisme ; Valls ou le bien nommé Braillard recadrés par Hollande parce qu'ils n'avaient rien de mieux à faire (on s'ennuie vite, quand on est ministre) que de se répandre en interviews pour expliquer que tu n'avais pas ta place en Équipe de France. Depuis huit mois, coupable ou non cela n'intéresse fondamentalement personne, tu as été l'objet d'un procès médiatique permanent et interminable mais tout le monde semble tomber des nues lorsque tu en parles, comme si tout cela n'avait jamais existé, comme si les millions de commentaires sur Internet, tweets et autres statuts Facebook te traitant de racaille de banlieue salissant le maillot n'avaient jamais existé. Comme si, en fait, il n'y avait tout simplement pas de racisme en France et certainement pas dans ton cas – ce n'est pas comme si dans l'exact laps de temps où tu te faisais lyncher on avait vu toute la classe politico-médiatique affirmer son soutien à ce truand de Platini, n'est-ce pas ? Certains de ces gens sont sans doute de bonne foi, ils ne peuvent pas tous être aussi cons qu'ils en ont l'air. Ou bien peut-être que si, mais ce n'est pas grave puisqu'eux, contrairement à toi, en ont le droit. Personne ne viendra jamais leur demander de comptes.

Alors voilà. Je ne vais pas pleurer sur ta non-sélection – de toute façon nous n'en sommes plus là, à moins que tu n'aies des talents cachés en tant que DC ou récupérateur. Mais j'ai déjà commencé à pleurer, oui, sur un pays à ce point gangréné par sa propre beauferie qu'il préfère s'étrangler avec elle plutôt que se remettre en question, et en vient à considérer que ce sont tes propos, à toi, qui sont "dangereux"– non ce qui les a générés.


1. A une question (assez orientée) sur les déclarations d'Eric Cantona et la pression populaire : "Je ne pense pas [que Dédé soit raciste], mais il a cédé à une partie de la France qui est raciste. Cela dit, je ne sais pas si c'est une décision qui vient de Deschamps, je m'entends bien avec lui et avec le président. Comme avec tout le monde, d'ailleurs." WOPUTAIN LA VIOLENCE DU TRUC !!!!!!


The Girl on the Train - Le Doute est le pire des maux

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Le premier roman de Paula Hawkins est un thriller au suspens insoutenable, impossible à reposer, qu'on lit d'une traite-sans-respirer-et-s'il-le-faut-sans-les-mains. Inutile que je vous en informe : sauf à n'avoir vraiment pas trop suivi l'actualité littéraire des dernières années, ou à ne jamais faire vos courses au supermarché, vous ne pouvez pas ne pas être au courant. Et si comme moi vous vous méfiez toujours un peu du bouche-à-oreille, des livres que votre belle-mère a adoré et des best-sellers de plage, a fortiori lorsqu'il s'agit de polar... sachez que tout ceci est vrai. C'est pourquoi nous n'allons pas revenir dessus. D'autant qu'assez paradoxalement, ce n'est pas tellement par son suspens (même si difficilement soutenable) que The Girl on the Train se distingue. Après tout, rien n'est plus facile que de trouver un cliffhanger que personne ne va voir venir, un coup de théâtre stupéfiant ou un twist ending de folie. Il suffit d'écrire n'importe quoi, le truc le plus invraisemblable et imprévisible possible. Je n'ai jamais compris et ne comprendrai sans doute jamais que l'on encense certaines œuvres (qu'il s'agisse de The Girl on the Train ou de, je ne sais pas moi, Usual Suspects) sur la seule base de l'effet de surprise qu'elles provoquent : rien n'est plus facile pour un auteur que de balader un lecteur.

Dans le cas de The Girl on the Train, cela relèverait presque du mal entendu tant Paula Hawkwins se distingue très vite de la concurrence par son refus de toute facilité. A vrai dire, elle réussit la même la prouesse de s'illustrer dans trois des registres les plus ardus qui soient en littérature : le récit à plusieurs voix, le bricolage spatio-temporel et, surtout, le recours à un unreliable narrator (soit donc un narrateur "non fiable", même s'il n'y a pas de réel équivalent francophone).

Plutôt commun, le premier point n'est sans doute pas le plus difficile à mettre en place ; encore faut-il parvenir à faire exister chaque voix. Il y en a trois en l'occurrence, et si l'écriture au demeurant plutôt fine de Hawkins ne va pas jusqu'à muter pour l'occasion, elle contient dans chaque récit suffisamment de nuances pour donner corps aux trois femmes qui s'expriment tour à tour – et, c'est tout le sel du livre, dans le plus grand désordre. Car The Girl on the Train est composé de récits sous formes de journaux décalés et convergents : tandis que Rachel, remarquable anti-héroïne, essaie de comprendre avec ses propres moyens (assez limités, tant techniquement qu'intellectuellement) ce qui est arrivé à Megan, le récit de celle-ci débute un an plus tôt et avance inexorablement vers ce que Rachel va découvrir (ou pas). La troisième voix, celle d'Anna, et pour sa part plus en retrait, objet de chapitre plus rares et souvent plus courts, qui se contentent souvent de raconter la même chose que ce que Rachel vient de raconter suivant avec une perspective différente. Il faut un certain temps au lecteur pour les trouver plus qu'artificiels et saisir en quoi ils sont essentiels à la construction particulièrement minutieuse de l'ensemble.

Et donc, comme si ces allez-retour et ces ellipses ne suffisaient pas à compliquer la vie de l'auteure, il fallait donc encore que Paula Hawkins coche l'option unreliable narrator. C'est certainement l'aspect le plus délicat de son roman ; c'est aussi le plus réussi, contre presque toute attente tant les écrivains à s'y être cassé les dents sont innombrables (et parfois illustres). C'est que ce type de procédé repose sur un équilibre subtil : il faut le suggérer sans l'asséner (si le lecteur doute trop de ce qu'on lui raconte, la magie se dissipe rapidement), de préférence assez tôt dans le récit pour éviter que cela ressemble à énorme foutage de gueule (le principe est souvent très mal utilisé, particulièrement dans le polar et le fantastique, servant uniquement à créer un rebondissement plutôt qu'une atmosphère). Hawkins est d'une génération qui a parfaitement digéré les enseignements de Bret Easton Ellis (celui de Lunar Park, pas d'American Psycho1), grandi avec Fight Club2 et les films de Kubrick3. Si ses trois narratrices sont bien plus humaines et attachantes que ceux des susmentionnés classiques, on retrouve beaucoup de cela dans The Girl on the Train, dans la manière perceptible juste ce qu'il faut dont l'auteure suggère le déséquilibre. Elle réussit même, c'est suffisamment étonnant pour le préciser, à renverser le concept en partant d'une exposition où la tendance au fantasme de Rachel est nettement prononcée pour, au fil des pages, insinuer qu'elle est peut-être un peu plus fiable que ce que l'on supposait de prime abord. Et c'est tout particulièrement ici que son roman fonctionne à plein régime.

Soyons clairs : The Girl on the Rain n'est pas un thriller conventionnel dans son écriture, sa structure ni sa narration. C'est un roman noir où il ne se passe la plupart du temps pas grand-chose, dont la séduction immédiate doit énormément à la touchante complexité de son personnage principal. Rachel est une femme ordinaire, j'entends par-là une femme n'étant jamais vue ni décrite à travers un prisme masculin, ce qui demeure hélas plutôt rare, même sous des plumes féminines. Elle n'est pas sexy ni glamour, elle n'est pas romanesque, elle passe surtout beaucoup de temps à vomir et à cuver4. Paumée, s'exprimant principalement dans sa tête, elle impose une proximité immédiate avec le lecteur parce que sa vie, pour catastrophique qu'elle soit par instants, ressemble beaucoup à la sienne. Le point de départ du récit lui-même dicte cela : qui n'a jamais observé ses voisins ou les gens qui l'entourent dans le métro, imaginé qui ils étaient et où ils allaient, sans mauvaise intention – juste comme ça, dans un mélange de curiosité, d'oisiveté et de voyeurisme ordinaire. Il est extrêmement facile de se mettre à sa place, et si le lecteur a souvent bien plus de recul qu'elle n'en a sur ses mésaventures, on la suit sans hésiter, on s'inquiète pour elle, on l'insulte même assez souvent lorsqu'elle fait n'importe quoi – mais gentiment, tendrement, comme on s'en veut à nous-mêmes lorsque nous faisons n'importe quoi. Elle n'est pas une narratrice fiable mais d'un autre côté, elle ne prétend nullement le contraire et s'avère rapidement si profondément sympathique que l'on n'arrive jamais complètement à douter de ce qu'elle raconte (l'hypothèse qu'elle soit coupable – qui serait tentante dans n'importe quel autre livre – n'effleure jamais réellement notre esprit). C'est ce qui rend la résolution de l'intrigue brillante même lorsqu'elle ne l'est pas tant que cela : il n'est pas si problématique de voir venir le pourquoi du comment, puisqu'il est somme toute bien naturel, compte tenu de l'état d'esprit de la jeune femme, que l'on saisisse des détails ou que l'on anticipe des faits que son manque de recul l'empêche temporairement d'appréhender. Oui  parce qu'en fait de cliffhanger qui déchire sa race, on devine l'identité du ou de la coupable à peu près cent pages avant la fin – sans que cela enlève quoi que ce soit à l'attrait que le récit exerce. C'est dire si le vendre ainsi n'était pas lui faire honneur.


The Girl on the Train [La Fille du train], de Paula Hawkins (Doubleday, 2015)



1.Il va sans dire que Patrick Bateman est le narrateur le moins fiable de toute l'histoire de la littérature moderne (à égalité avec celui de Lolita), mais sa nature de psychopathe en fait un cas un peu différent, d'autant que plus personne de nos jours ne peut ouvrir le livre sans le savoir.
2. Je parle bien entendu du roman de Chuck Palahniuk, bien plus affuté sur la question du narrateur que sa médiocre (mais paraît-il culte) adaptation.
3.Qui n'usait pas stricto sensu du procédé mais l'adorait suffisamment pour que près de la moitié de ses films aient été adaptés de romans l’utilisant.
4.Il est donc tout à fait logique que Hollywood ait choisi Emily Blunt pour l'incarner dans la prochaine adaptation cinématographique. Oh, wait...

[GOLBEUR EN SÉRIES RE-O] Semaine 19

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ENNEMI PUBLIC Passé un postulat de départ pour le moins gratiné (une flic-ancienne-victime-récemment-suspendue pour avoir tiré sur un suspect qui se retrouve affectée – seule – à la garde du plus dangereux serial-killer-d'enfants que la Belgique ait porté, c'est d'un crédible...), la seconde série issue de l'appel à projets communs entre la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles (après la Trêve, qui ne valait pas franchement le déplacement) tisse une atmosphère assez prenante, et réussit à embarquer le spectateur malgré un terrible manque d'originalité. On aurait pu croire en effet que le fait qu'elle soit produite par une chaîne qui ne produisait jamais de séries auparavant (du moins sous cette forme) puisse lui conférer une certaine fraîcheur, or l'idée était manifestement de faire comme tout le monde, de la même manière que tout le monde. Donc du polar en 52 minutes (youhou !), tant qu'à faire articulé autour d'une disparition/mort d'enfant (Forbrydelsen a décidément traumatisé toute une génération de scénaristes). Reste que quitte à faire comme tout le monde, autant faire aussi bien – à ce petit jeu, Ennemi public se place plutôt dans le haut du panier du polar continental. Casting solide, écriture soignée... l'ensemble s'avère autrement plus vertébré que La Trêve... et pas mal d'autres que l'on ne citera pas de peur de créer un incident diplomatique entre la France et la Belgique. Si elle ne paie pas de mine au départ, l'intrigue est ainsi habilement déroulée et distille ses développements ou rebondissements de manière progressive, témoignant d'une véritable maîtrise de la temporalité du récit – c'est ici sans doute, plus que dans son décor et ses nonantes, qu'Ennemi public se détache assez nettement de ce qui produit habituellement dans la francophonie, et plus spécifiquement dans l'Hexagone. On n'a jamais ce sentiment ailleurs pénible que les scénaristes oublient qu'ils sont dans un feuilleton et disposent de plusieurs épisodes pour développer un caractère, une relation ou une sous-intrigue. Tout se fait d'un pas tranquille, en exploitant du mieux possible les possibilités offertes par le format, et certains aspects (la manière dont Béranger gagne peu à peu sa place parmi les moines, notamment) sont écrits avec beaucoup d'intelligence et de finesse. Le déroulement de l'enquête lui-même, délayé sans être dilué, tient plutôt pas mal la route, avec des révélations et des bifurcations amenées de manière assez naturelles, et un coupable crédible – c'est-à-dire que de nombreux éléments mettent le spectateur sur la voie sans lui donner cette désagréable impression qu'on lui a sorti le truc du chapeau juste pour le prendre à revers. Il y a des défauts, dans Ennemi public, c'est une certitude. On se serait sans doute passé de la backstory lourdingue de l'héroïne et de ses visions un brin kitsch, qui n'apportent finalement pas grand-chose à l'ensemble (si ce n'est pour ménager une seconde saison – autre chose que l'on ne verrait jamais dans la première saison d'un show Made in France : Ennemi public ne propose pas une histoire totalement bouclée). On n'échappe pas à quelques situations stéréotypées et on sent clairement que le budget manque pour réellement mettre en scène une communauté en ébullition. Mais franchement, c'était une bonne surprise.


PENNY DREADFUL (saison 3)Penny Dreadful fait décidement beaucoup penser à True Blood, et pas uniquement parce qu'elle est un gloubiboulga fantastico-cul diffusé l'été. Comme feu la série d'Alan Ball, elle a cette capacité assez fascinante à alterner l'excellence et le ridicule consommé, la virtuosité pure (surtout dans la mise en scène) et la grandiloquence risible (surtout dans les dialogues). Les dernières semaines l'ont souligné de manière plus criante encore qu'à l'accoutumée, puisqu'à un épisode brillant de glauquerie transcendé par le one man show annuel d'Eva Green (3x04, "A Blade of Glass"), a succédé un autre consternant de bêtise et de kitsch, qui se focalisait histoire d'annoncer la couleur sur les deux personnages les plus boiteux du show (Ethan et Sir Malcolm, héros pénibles d'un "This World Is Our Hell" dont on a cru ne jamais voir le bout). Cette année plus encore que les précédentes, on n'a aucune idée de ce qu'on regarde, ni d'où cela va nous amener – a fortiori parce qu'à l'instar de True Blood (encore), Penny Dreadful a une fâcheuse tendance à éparpiller ses héros aux quatre coins de l'intrigue, voire à ne quasiment jamais les mélanger entre eux (notez que tarés comme ils sont, il vaut peut-être mieux en effet qu'ils ne se reproduisent pas). Pourtant, on la suit quand même, captivé par ce talent pour les scènes poético-cauchemardesques qui, Hannibal achevée, n'a désormais plus vraiment d'équivalent ni de concurrence à la télé de 2016. Mais pas sûr qu'on en garde grand-chose au final tant à part quelques scènes chocs et le talent d'Eva Green, bien trop grand pour le show, tout a tendance à disparaître de la mémoire au bout de quelques mois.

PERSON OF INTEREST (saison 5) Ce centième épisode était tout simplement fabuleux – et pas uniquement parce que, comme annoncé il y a quelques semaines, il portait le titre de ma chanson favorite de Nine Inch Nails. Il était fabuleux parce qu'il était un concentré de tout ce qui fait de Person of Interest l'une des meilleures séries de ces dernières années : une dramaturgie brillante, une intensité de chaque instant, des scènes d'action à la fois virtuoses et overzetop juste ce qu'il faut, des cliffhangers à couper le souffle, une atmosphère étouffante au possible et un duo Michael Emerson/Amy Acker à son top de la cime du Zénith du sommet. Reconnaissons-le, la saison 5 n'avait pas encore, à ce stade, tenu toutes ses promesses. Un peu longue à la détente par instants, plombée par les exigences de CBS (qui bien qu'ayant réduit la commande d'épisodes de moitié a continué à imposer des enquêtes de la semaine), elle vient cependant de se racheter avec panache, et accessoirement d'enclencher une dernière ligne droite qui s'annonce déjà d'une extrême noirceur. Le tout en donnant à la concurrence une sacrée leçon d'écriture, car si "The Day the World Went Away" (5x10) ne raconte finalement rien que l'on n'aurait pu anticiper (on se doutait bien qu'un jour, le numéro de Harold sortirait, de même que l'on savait que tous nos héros ne survivraient pas jusqu'à la fin ou que la Machine finirait bien évoluer), il le fait avec un tel sens du rythme et du cliffhanger que l'on n'en est pas moins cramponné à son siège, totalement flippé, comme aux meilleures heures des meilleures saisons. Le genre d'épisode, très rare, auquel on ne peut s'empêcher de repenser encore de nombreux jours avoir l'avoir visionné. "Vous êtes à la solde d'un système tellement corrompu que vous n'avez même pas remarqué qu'il était rongé jusqu'à la moelle. La première fois que j'ai brisé vos règles, un président venait d'autoriser l'envoi d'assassins au Laos, et le chef du FBI d'ordonner à ses hommes – vous – la surveillance illégale de ses rivaux politiques. Vos règles, elles n'ont fait que changer au gré des besoins [...] J'ai vécu selon mes règles durant si longtemps... cru en elles, cru qu'en s'y tenant, on pouvait finir par l'emporter. Mais j'avais tort, n'est-ce pas ? Et à présent, tous ceux que j'aime sont morts. Où le seront incessamment sous peu. Il ne restera plus rien de nous. Je dois accepter de laisser mes amis mourir... de laisser l'espoir mourir... de laisser le monde sous votre coupe, juste parce que je m'en suis tenu à mes règles [...] Je vais vous tuer. Mais je dois encore déterminer jusqu'où je suis prêt à aller, combien de mes règles je suis prêt à enfreindre pour y parvenir." Je vous ai dit que c'était fabuleux ?


SCREAM (saison 2) Succès surprise de l'été 2015, c'est en véritable poids lourd que Scream nous revient cette année... je ne fais bien sûr pas allusion à ses audiences auprès du jeune public décérébré de MTV, mais bien de la manière dont elle s'est adjugée deux très beaux Drawas l'an passé (Pire casting et surtout le très disputé Plus mauvais remakebootval), sans même parler de son titre officieux de Reboot tellement pourrave qu'il en a tué l'auteur de l’œuvre originale. Vous noterez au passage comme, par respect pour ce grand Monsieur de l'horreur qu'était Wes Craven, nous fûmes nombreux alors à réprimer nos blagues nos plus glauques. Cette année, donc, on repart comme en 14 15, et rien ne permet de penser qu'il y aura amélioration, ce qui fait de Scream une candidate à sérieuse à sa propre succession. Le pire, c'est qu'une fois encore, on se dit en la regardant qu'on pourrait potentiellement en faire quelque chose. Certes en virant quasiment tous les comédiens et la moitié du pool de scénaristes ; mais dans l'absolu, une véritable adaptation télé du discours meta et du jeu avec les codes qui faisait la marque de fabrique de Scream (le vrai) aurait tout à fait pu aboutir à quelque chose de très bon. Il arrive même parfois qu’au détour d’un one-liner ou d’un twist on entrevoie (de très loin) la bonne série qui aurait pu naître de ce marasme. Malheureusement, le tout demeure toujours aussi désarmant de premier degré, formaté jusqu'aux brins d'herbes et à ce point dépourvu de cojones que c'en devient presque fascinant. Bref, en 2016 comme en 2015, le show de MTV n'a toujours rien à voir ni Scream, ni avec Craven, ni avec Kevin Williamson ni même avec la petite cousine maquilleuse de Neve Campbell.

à part ça...

... Raylan Givens et le shérif Hood ont forniqué avec les frères Winchester. C'est assez dégueulasse dans l'idée, beaucoup plus fun dans les faits, et le pilote de Preacher tient finalement toutes ses promesses tout en prenant d'entrée ses distances avec les comics de Gareth Ennis. Si ça se trouve, le deuil de Banshee sera peut-être moins long que prévu (du moins pour le côté violence graphique et bastons outrancières).

... j'ai un peu tardé à lancer la nouvelle saison d'Orphan Black, série qui n'a eu de cesse de décevoir depuis ses excellents débuts. Je ne doute pas qu'elle retombe rapidement dans ses pires travers (personnages isolés dans des intrigues imperméables les unes aux autres, cloneries en tout genre, intrigue principale chiante et/ou incompréhensible), mais il fallait saluer l'excellent épisode prequel qui fait office d'ouverture à la saison 4. Le temps de quarante-deux minutes qu'on ne voit pas passer, Orphan Black renoue avec le côté sombre et urbain d'avant la gloire et les augmentations de budgets, Tatiana Maslany n'a plus été aussi émouvante depuis longtemps et l'ensemble, enveloppé d'une intense mélancolie, réussit la prouesse de scotcher à l'écran en ne racontant quasiment rien que le spectateur ne sache déjà. Ça va être dur de revenir aux conneries habituelles dans les prochains épisodes.

Comment le BDSM m'a réconcilié avec Castlevania (à moins que ce ne soit le contraire)

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J'ai longtemps eu une relation compliquée avec Castlevania. Ou plutôt très simple, puisque je n'en avais pas. Plus depuis un temps que les moins de vingt ans, c'est une évidence, ne peuvent pas connaître. Il faut dire que ma rencontre avec la vénérable franchise de Konami ne s'est pas effectuée sous les meilleures auspices, puisqu'elle eut lieu par l'entremise de son premier épisode sur Game Boy, le bien nommé Castlevania : The Adventure. Ah ça, pour une aventure, c'en était une sacrée. Quatre niveaux relevant plus volontiers de la torture que du divertissement, un personnage d'une lenteur à vous faire passer Megaman pour Sonic, des trajectoires de saut aléatoires, le tout mâtiné de ces délicieux ralentissements qui faisaient tout le sel des années quatre-vingts... notez que vu l'omniprésence des cordes dans le level design, on se doutait rapidement que les mecs derrière tout ça ne pratiquaient plus le simple missionnaire depuis un bon moment. Si les meilleurs jeux vidéos peuvent apprendre à un enfant que dans la vie, quand on tombe, on se relève... Castlevania : The Adventure m'a surtout appris que dans la vie, quand on tombe, on est mort. Et aussi quand on marche. Ou juste quand on respire un peu trop longtemps et un peu trop fort.

De toute façon, quand un jeu vous rappelle que vous êtes bidons en cours d'EPS, c'est mal barré.

Une mauvaise rencontre pouvant toujours arriver, surtout quand on entend traquer le Comte Dracula en personne, j'aurais pu y revenir plus tard – ou tout bêtement considérer (comme c'est à peu près acquis de nos jours) que ce Castlevania était un mauvais jeu, ne faisant pas franchement honneur à un nom qui, il est vrai, n'était pas encore devenu en 1989 ce qu'il est en 2016. Durant des années, à intervalles plus ou moins réguliers (quoique souvent très espacés), j'ai réessayé un Castlevania, un peu n'importe lequel mais, quelqu'un quelque part souhaitant visiblement que nous ne nous fréquentions pas, toujours un des plus mauvais (par exemple Vampire's Kiss, second épisode paru sur Super N.E.S., qui donnait lui aussi un tout autre sens à l'expression avoir un balai dans le cul). Tant et si bien que j'ai fini par atteindre l'âge adulte en nourrissant sinon une aversion, du moins un désintérêt profond pour ce qui demeurait – à mon grand étonnement – l'une des séries les plus populaires de l'histoire du jeu vidéo.

Et puis un beau matin, le quelqu'un qui ne voulait pas que je devienne pote avec la famille la plus dysfonctionnelle de tous les temps (les Belmont, leur généalogie tortueuse, leurs ancêtres pas très nets et leur goût pour... les fouets, décidément) a décidé qu'il était temps de changer son fusil martinet d'épaule. Et alors que je ne savais pas trop à quoi jouer, voici que je tirais au sort, dans mes petites listes action/plateformes et RPG... non pas un, mais deux Castlevania. D'un coup. Ce qui vu le nombre de jeux présents sur ces pas si petites listes semblait statistiquement très peu plausible. Un signe ? Toujours est-il que je me suis collé devant Super Castlevania IV, les fesses moites et la cambrure prête à accueillir la fessée... et que, sans mauvais jeu de mots, quelque chose en moi en est ressorti tout changé.


Il est toujours assez particulier de découvrir un jeu avec un œil quasi vierge vingt ans (et même presque vingt-cinq, en l'occurrence) après la bataille ; cela l'est encore plus lorsqu'il s'agit d'un classique, dont on a inévitablement beaucoup entendu parler, et dont on ne sait souvent quoi penser au premier abord. L'un des lieux communs les plus répandus à propos de la franchise Castlevania veut par exemple que ses musiques soient exceptionnelles ; soit, mais ce que l'on oublie généralement de vous dire, c'est qu'elles le sont surtout pour les amateurs du hard-rock symphonique le plus vulgaire et de la j-pop la plus sordide. Ce qui somme toute convient plutôt pas mal à des jeux où, lorsqu'on ne fait pas des trucs bien peu catholiques avec des cordes et des fouets, on passe l'essentiel de son temps à explorer des cachots. Au bout de vingt minutes de jeu m'apparaissait alors l'affreuse vérité : j'étais peut-être tout simplement trop jeune, à l'époque, pour cette série de toute évidence interdite au moins de douze ans. A tout le moins pour ceux de ses volets sortis lorsque je n'avais pas l'âge requis, car le moins qu'on puisse dire est que je ne me suis pas senti écrasé par la difficulté dans le cas de cette aventure : figurez-vous que, depuis le bon vieux temps que les moins de vingt ans blablabla, un des Belmont (Jean-Louis, dont personne ne parle jamais) a eu l'excellente idée d'apprendre à sa descendance à utiliser son fouet dans plusieurs directions, à se retourner en cas d'attaque par derrière et même – chose absolument impensable à quiconque a connu les précédents épisodes – à monter les escaliers. Autant vous dire que ces simples petites modifications de gameplay changent la vie, permettant au héros de Castlevania quatrième du nom d'accomplir de véritables prouesses comme par exemple être plus rapide qu'un boss, tuer deux ennemis d'un coup ou utiliser de l'eau bén... ah non, ça par contre, j'entends bien que des pervers comme les Belmont ne pouvaient pas ne pas être un peu prêtres sur les bords, mais l'eau bénite, sans déconner ? Mais à quoi ça sert de répandre trois gouttes par terre quand vous êtes assaillis de toute part ? L'eau bénite, il faut le savoir, est présente dans tous les Castlevania. C'est un peu la fleur de feu de Mario, sauf que là où on est toujours très content de tomber sur une fleur de feu, on a plutôt tendance à tirer la gueule lorsque, dans la cohue, on a ramassé l'eau bénite (chaque item nouvellement acquis remplaçant automatiquement le précédent). Je peux vous dire que vous ne faites pas le malin quand vous vous retrouvez à devoir gravir un escalier infesté de chauve-souris armé d'un pauvre petit flacon de flotte, que vous n'avez même pas la possibilité de jeter en l'air. En fait, il n'est pas impossible que l'eau bénite soit l'ennemi le plus dangereux et le plus difficile à contourner de toute la franchise. Mais je digresse.

Viser un ennemi, ce petit plaisir tout simple.

Nous disions donc qu'à moins que je ne sois devenu un joueur prodigieux entre mes dix et mes trente ans, ce qui semble on ne peut moins probable (j'ai même plus vraisemblablement régressé), Super Castlevania IVétait un jeu bien plus facile que ses prédécesseurs, ce qui on l'admettra était sans doute la seule chose de tout l'univers de ces jeux à pouvoir être qualifiée de pas compliquée. Le lecteur attentif m'opposera que je suis quand même un peu gonflé de dire ça, alors qu'il n'est pas un seul article de cette rubrique où je n'aie loué le fait que tel ou tel jeu offre un "véritable challenge". C'est que voyez-vous, autant je ne crache pas sur une petite fessée de temps en temps... et autant, à la rigueur, je peux apprécier qu'on me pince les tétons... autant le bondage, tout de même, c'est un peu extrême pour un être notoirement fragile comme moi. Des jeux tellement durs qu'on galère pour les terminer même en utilisant le mode sauvegarde de l'émulateur... mouais, non – faut peut-être pas non plus pousser mémé dans les orties (mais je ne doute pas qu'il y ait des mémés qui aiment ça, aussi). Super Castlevania IV est sans doute symptomatique d'une démarche plus globale de la part de Nintendo, qu'on pourrait résumer sommairement par la phrase vendons le plus de consoles possibles, à des joueurs les plus jeunes possibles. Une ligne éditoriale, la seule peut-être, à laquelle la firme s'est tenue depuis – encore fallait-il voir d'où elle partait. Car si Super Castlevania IV n'est pas un jeu difficile, ce n'est pas non plus le jeu le plus facile de tous les temps – loin de là. Et si les pratiques sexuelles des programmeurs se sont globalement assagies depuis l'époque de la N.E.S., probablement parce qu'ils sont trop occupés à faire joujou avec le gros Mode 7 de la nouvelle console, n'allez pas croire qu'ils se privent pour autant de vous pendre à des crocs de bouchers ou de vous faire passer le supplice de la roue – au sens presque littéral du terme. D'ailleurs, le fouet de Jean-Patrick Belmont n'a jamais autant ressemblé à une chaîne que dans cet épisode.

Chez les poètes de Konami, on aime jouer sur le double sens des mots. Ici, "tournante".

Tout émoustillé par cette initiation au SM soft, et me sentant désormais prêt à visiter un vrai donjon, j'ai logiquement enchaîné sur l'autre jeu que j'avais tiré au sort, non sans craindre le pire niveau musique au vu de son titre : Symphony of the Night. Autant vous dire que je n'ai pas été déçu, ni par la musique (excellente à sa manière... enfin, disons que je n'ai jamais eu autant de mauvais morceaux aussi longtemps dans la tête), ni par le donjon, d'une immensité quasi tétanisante durant les premières parties. C'est que nous sommes désormais en 1997 : plus de dix ans après leur premières orgies : les Marquis de Konami se sont un peu lassé de torturer toujours les mêmes gens de la même manière. Extrêmes à la ville comme à la cave, ils ont ainsi imaginé une réinvention pour le moins radicale, changeant les trois quarts des principes solidement établis (pardon, entravés) au cours des précédents épisodes, et renonçant même... au fouet, puisque la principale arme du jeu est une épée tout ce qu'il y a de conventionnel. Conscients, et c'est tout à leur honneur, qu'une franchise n'évoluant pas avec la technologie était une franchise morte, ils ont entièrement ré-imaginé leur univers, provoquant une véritable scission parmi les habitués de leurs petites sauteries – ce que l'on comprendra fort bien : déjà, pour moi, le choc fut violent, alors que la période SNES remontait à quelques heures plus tôt. J'imagine donc sans peine la gueule des fans de la première heure, découvrant que le jeu d'action ultime, celui qui vous apprenait toutes les façons possibles et imaginables de mourir comme un con, était devenu un action-RPG sinueux dans lequel il y avait plein de points de sauvegarde et aucun Game over. Et ceux-ci de se coller leurs pinces à tétons sur le nez pour qualifier le tout d'un air dédaigneux : "metroidvania". Pensez donc que le héros n'est même plus un Random Belmont mais Alucard, fils de Dracula et méchant d'un des précédents épisodes.


L'appellation est presque devenue officielle, ce qui n'est franchement pas très sympa pour Symphony of the Night, puisque Metroid, rappelons-le, est une autre franchise particulièrement difficile pour des raisons autrement moins rigolotes que oh merde, le bonhomme vient de louper une marche. Dans le frigide Metroid, la principale difficulté réside dans le fait de ne pas s'endormir, ce qui arrive assez souvent puisque son héroïne y traverse des étendues immenses et totalement vides en ne sachant jamais trop quoi faire de sa peau (mais en pouvant ne pas le faire dans plein de positions marrantes, car contrairement aux nigauds de la famille Belmont, Samus Aran dispose de toute une palette de mouvements très développés). Symphony of the Night ne ressemble à Metroid que pour le côté gigantiste, la liberté de mouvement presque totale et l'unité de temps/lieu/action (car chez Konami, on n'aime pas que Sade : on a aussi lu Sophocle). Pour le reste, on s'y ennuie beaucoup moins, tellement moins que l'on se dit par instants qu'il est rejouable à l'infini tant il recèle de secrets et de mystères, tant voir la carte se dessiner progressivement est jouissif et tant s'y perde, corps et âme, procure un plaisir sans nom. On pourrait passer des heures à errer dans les couloirs de ce château, dans ses salles aux thèmes musicaux splendides chaque fois parfaitement adaptés... on pourrait et l'on va, d'ailleurs, car si la complexité du jeu n'a fait que se déplacer, celui-ci ne se contente pas d'être très long. A la torture physique, les développeurs ont décidé d'ajouter un gros zest de supplice psychologique, offrant quelques unes des énigmes les plus tordues de l'histoire du jeu vidéo et obligeant à scruter le moindre détail, parcourir le moindre recoin, ce qui n'est pas toujours facile lorsqu'il s'agit de couloirs exigus peuplés d'ennemis pas franchement commodes (a fortiori lorsque – on ne va tout de même pas intégralement changer une équipe qui a tellement gagné – on a récupéré par inadvertance cette putain d'eau bénite). Bien heureusement, notre héros dispose de points d'expérience, peut upgrader ses armes, acquérir de nouvelles capacités, voire trouver de quoi recharger son énergie plusieurs fois dans le même écran (une véritable folie à l'échelle de la série). C'est toute la force d'un jeu qui, plutôt passé inaperçu à sa sortie, fait depuis figure de classique (à juste titre) : il réussit à trouver un parfait équilibre entre tradition et modernité, bouleverse les mécanismes de jeu en profondeur tout en conservant la plupart des éléments spécifiques à la série (tous les aspects esthétiques, une bonne partie des ennemis, la plupart des gimmicks et items, et bien sûr le goût pour les pics de difficulté sadiques et les bosses dix fois plus forts que vous – un dernier aspect décuplé par le fait que vous les croisez désormais totalement par hasard, et pas toujours au moment le plus indiqué de votre quête).

(sans oublier qu'ils ont souvent deux, trois voire quatre têtes, tant qu'à faire)

Le choix d'avoir développé le jeu en 2D à une époque où la concurrence commence déjà à ne plus jurer que par le polygonal est en ce sens assez révélateur de la démarche. En 1997 comme en 1860 ou en 2016, un donjon SM reste un donjon SM ; on filme désormais les orgies à l'iPhone plutôt qu'au caméscope, mais il n'est pas réellement besoin de bouleverser l'architecture de base de l'endroit pour éprouver du plaisir – le côté vintage peut même ajouter à l'excitation. S'il ne devait sans doute pas tellement payer de mine à l'époque, proposant une version (beaucoup) plus léchée et détaillée des environnements que la série avait développés jusqu'alors, il a autrement mieux vieilli que la quasi totalité des jeux parus sur PlayStation en 1997, même les plus beaux, qui ne ressemblent qu'à des gros tas de cubes en comparaison du raffinement dont font preuve les graphismes de Symphony of the Night. Preuve d'un véritable attachement à une certaine idée du jeu d'action/aventures, Konami reviendra d'ailleurs rapidement de sa première (et très mauvaise) incursion dans le domaine de la 3D, et il faudra attendre 2005, soit donc presque dix ans après tout le monde, pour que la famille Belmont accepte une fois pour toute d'embrasser le vingt-et-unième siècle. Tout un symbole : au terme de l'aventure, longue et riche en rebondissements, Symphony of the Night vous laisse même la possibilité d'accomplir une seconde quête, à la manière des premiers Zelda. Certes, c'est aussi le moment où il devient moins passionnant (comme du reste les premiers Zelda), les développements scénaristiques, jusqu'ici très bien dosés et jamais trop envahissants, se réduisant alors comme peau de chagrin pour céder la place à une difficulté exacerbée.

Comme dans presque tous les épisodes de la série, vous rencontrerez la Mort (dans tous les sens du terme), qui est genre la BFF de Dracula. Si ce n'est plus.

Dans cette partie sobrement intitulée Le Château inversé mais où, non, ils ne nous ligotent pas la tête en bas, les concepteurs se sont enfin séparés des petits joueurs (cette seconde moitié du jeu ne se débloque qu'au prix de la résolution d'énigmes encore plus perverses que les autres, comme pour tester la dévotion des soumis) et peuvent enfin laisser libres court à leurs fantasmes, livrant une version carrément hardcore des précédents niveaux, avec des ennemis autrement plus costauds, des salles rendues beaucoup plus difficiles d'accès (forcément, elles sont à l'envers), toujours plus d'eau bénite et des bosses toujours aussi aléatoires dont le plus faible – le seul qu'on ne puisse pas contourner – aura de quoi laisser des cicatrices aux fesses du gamer le plus chevronné. Une bonne vieille seconde quête, donc, qui se démarque cependant par plusieurs aspects de ce qui se faisait jusqu'alors (toujours cet équilibre) : il ne s'agit pas uniquement de refaire la première partie dans une version bridée, mais bien de débloquer la fin du jeu, (très bien) cachée à la vue de tous ; si le scénario continue, avec ses rebondissements et ses péripéties, on peut parfaitement ne jamais en être informé, l'une des nombreuses conditions sine qua pour y accéder étant d'avoir découvert toutes les pièces du château sans exception. Dans le cas contraire, le jeu fera tout pour vous faire croire que voilà, ça y est : vous avez terminé et pouvez passer à autre chose. L'idée est d'une perversité si géniale qu'elle ne pouvait germer que dans l’esprit de développeurs d'un Castlevania – jamais chez Mario on n'aurait eu l'idée saugrenue de ne pas vous indiquer qu'il existait non pas un monde bonus, mais carrément un jeu entier. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de se dire que ce Château inversé n'est pas bien gratifiant en regard des efforts fournis pour l'atteindre (il est absolument impossible de le faire de manière accidentelle), comme si les auteurs avaient trouvé le premier jeu tellement abouti qu'ils n'avaient plus eu la force que de rallonger un peu la sauce, histoire de contenter des fans de la première heure qui l'auront peut-être trouvé un tantinet trop facile. La mission est en cela parfaitement réussie, même si c'est bien involontairement : ce dernier détail achève d'ancrer Symphony of the Night dans cet étrange interstice entre les quatrièmes et cinquièmes générations de consoles ; un jeu bien trop vaste et abouti pour paraître sur Super Nintendo, mais fondamentalement trop old school pour être comparé aux autres jeux d'aventures sur PlayStation. Cela fait énormément pour son charme et sa singularité, comparable à celles de premiers jeux qui hésitaient eux-mêmes entre la plateforme et l'action pure. Après tout, il fallait bien qu'il soit affaire d'écartèlement à un moment ou un autre.


Castlevania : The Adventure - Game Boy (Plateformes. Konami, 1989)

 
Super Castlevania IV - Super Nintendo (Action/plateformes. Konami, 1991)

 
Castlevania : Symphony of the Night (Action-RPG. Konami, 1997)

The Jayhawks - La Revanche cajolante

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S'il est une reformation, une seule parmi les cent-cinquante mille des dernières années, que l'on a accueilli avec enthousiasme et sans la moindre arrière pensée... c'est bien celle des Jayhawks. Des gens qui ont toujours été adorés dans ces pages, ensemble ou séparément, et qu'on n'a adoré que plus pour avoir, avec leur brillant Mockingbird Time, fait mentir tous les adages et toutes les malédictions des reunion albums. Pour la seule fois durant cette décennie où tous les groupes de notre jeunesse semblaient en avoir après nos maigres économies, on attendait même la suite, peut-être pas avec impatience (les Jayhawks n'ont jamais été très prolifiques), mais en tout cas de pied ferme.

Autant vous dire que du côté du Golb, c'est tout un monde qui s'est effondré lorsque Mark Olson a re-quitté le groupe à peine un an et demi après son retour, et commencé – chose absolument invraisemblable de la part d'un type les plus discrets et attachants de la scène folk US – à mitrailler à longueur d'interventions publiques. Les amateurs du groupe se rappelleront que la précédente séparation, au milieu des années quatre-vingt-dix, s'était faite sur la pointe des pieds, sans cri et presque sans larmes (du moins aux yeux du reste du monde). Voir subitement Olson expliquer que ce remarquable Mockingbird Time avait été écrit un flingue de dettes judiciaires sur la tempe, et principalement utilisé pour payer la cure de désintoxe d'un Louris qui (selon son ex-partenaire) n'en aurait quasiment rien écrit1 a quelque chose d'absolument inattendu et même d'assez violent, tout comme d'ailleurs le cynisme avec lequel Louris s'est empressé de continuer à tourner sans Olson et même de rééditer les albums du groupe parus sous sa seule houlette.

Inutile de dire que pour toutes ces raisons, on attendait à peu près rien de ce retour des Jayhawks en 2016. A vrai dire, on ne savait même plus comment les qualifier, car si l'on n'a jamais fait partie de ceux considérant que le groupe sans Olson n'était pas les Jayhawks... on s'est bel et bien réjoui du retour des vrais Jayhawks en 2011. Et pas qu'un peu. La vérité, c'est que les Jayhawks Mark I (et III) étaient un groupe bicéphale et que leur version uniquement pilotée par Louris entre 1997 et les retrouvailles constituait presque un projet à part, à la teneur et à la couleur sensiblement différentes, souvent plus pop, voire moderne – en tout cas moins emprunt de cette nostalgie acide émanant de la plupart des ouvrages signés Mark Olson.


C'est donc avec une certaine surprise que l'on découvre Paging Mr. Proust, dont le titre au moins semble vouloir annuler la précédente remarque. Car si le premier split avait marqué une rupture esthétique réelle, offrant avec Sound of Lies (1997) un album très différent de Tomorrow the Green Grass (1995), ce neuvième opus (ou quatrième, selon que l'on divise ou non les deux discographies) s'inscrit pour sa part dans l'immédiate continuité de Mockingbird Time. L'espace du premier titre, sublime "Quiet Corners & Empty Spaces", on se frotte même les oreilles en se demandant si Olson est réellement parti, tant tout est fait pour donner l'impression que la révolution n'a pas eu lieu. Ce n'est pas une critique, bien au contraire. C'en est même assez stupéfiant tant l'atmosphère est délicate, posée, racée comme... du Jayhawks avec Olson. L'ensemble est certes un brin plus électrique, soit donc pugnace, soit donc moins contemplatif... mais on ne peut pas dire que Paging Mr. Proust sonne comme l'album d'un groupe ayant passé les quatre dernières années à se mettre sur la gueule ("Leaving the Monsters Behind" et son refrain à base d'"I don't want to fight" renvoyant plus certainement aux habituels démons de Louris – qui n'a jamais été un modèle d'équilibre ni de sobriété – qu'aux récents évènements internes2). En cela, ils n'étaient pas pour rien les descendants plus ou moins direct des Byrds, Band, Crosby, Stills, Nash & Young – entre autres vétérans sixto-seventies notoirement connus pour leurs fractures internes mais qui, au moment de graver les morceaux, parvenaient de manière incompréhensible à aller chercher chaleur, lumière et paix intérieure.

Solidement produit par Peter Buck, l'ensemble se boit comme du petit lait, tout particulièrement lorsqu'il tape dans le bon vieux folk-rock à la Neil Young, ou plus généralement lorsque Louris ne cherche pas l'originalité (la volonté de se démarquer d'Olson a toujours été à la fois l'intérêt et la faiblesse de son incarnation des Jayhawks). "The Devil Is in Her Eyes" est le genre de morceau parfait qui aurait pu figurer sur n'importe quel disque du groupe, quelle que soit la période, et c'est bien pourquoi il marque instantanément l'auditeur. Tout y est classique, old school, sans prétention. Commentaire qui vaut pour la plupart des meilleurs passages de cet album tout en finesse ("Pretty Roses in Your Hair", "Isabel's Daughter"), moins chatoyant ou m'as-tu-vu qu'un Smile (2000) ou un Rainy Day Music (2003). On n'ira certes pas jusqu'à affirmer que le départ d'Olson est indolore, ne serait-ce que parce que sa voix manque inévitablement. Louris ne peut de toute façon pas totalement résister à la tentation du refrain bien catchy de-ci de-là, mais il faut reconnaître qu'à la différence de certains de ses vrais/faux hits passés, un "Comeback Kids" ne manque pas de piquant. On ne pourra de toute façon pas lui enlever d'avoir toujours été le garant de la facette la plus rêche du groupe, si ce n'est dans le son, du moins dans l'attitude. C'est qu'à force, on en oublierait presque que brouille ou non, Louris n'en est pas moins légitime qu'un autre pour continuer à officier sous le patronage des Jayhawks ; que si le groupe a bien été fondé par Olson (ainsi que par le discret bassiste Marc Perlman), il n'aurait assurément pas eu la même la même postérité sans son co-leader. Aussi curieux que cela puisse paraître, il aura fallu attendre ce quatrième album sous cette incarnation pour en arriver à se faire cette réflexion. Peut-être Louris a-t-il trop voulu affirmer son songwriting par le passé, quitte à oublier ce qui faisait la majesté du groupe auparavant – un peu comme un joueur de foot qui se serait subitement cru plus grand que son club. En épousant le passé et en synthétisant plutôt qu'en tranchant dans le vif, il vient de gagner plus de crédit que, peut-être, il n'en a jamais eu.



Paging Mr. Proust, des Jayhawks (Thirty Tigers, 2016)



1.Ce dont on se permettra de douter poliment, Mockingbird Time étant clairement frappé de la patte très reconnaissable de Louris
2. Louris qui n'a d'ailleurs jamais vraiment commenté les propos de son ex, se contentant de reconnaître qu'il était particulièrement difficile à vivre à cette période... et de virer la plupart des titres d'Olson des setlists live, conformément aux récriminations de ce dernier.

Anti-Drawas

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A compter d'aujourd'hui et jusqu'au 2 juillet prochain, le CDB organise sa consultation populaire annuelle sur le meilleur du mieux de la saison télé 2015-16.

L'occasion rêvée de (re)découvrir ce site d'autant plus splendide qu'il en (petite) partie administré par les soins de votre serviteur ; l'habitué du Golb n'y sera pas dépaysé tant il y croisera des têtes connues. Oui, car le Classement des blogueurs est assez mal nommé, et réunit assurément plus de classements que de blogueurs.

Si vous souhaitez faire entendre votre voix et désigner le successeur de The Americans (lauréat de l'édition 2014-15), c'est par-ici que ça se passe.

Bien entendu, vous pouvez aussi en profiter pour contribuer aux autres rubriques : l'endroit est ouvert à tous.

[GOLBEUR EN SÉRIES RE-O] Semaines 20 & 21

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Dernier épisode du Golbeur en séries avant que la rubrique ne revête sa tenue estivale, cette édition est à l'image de cette zone indéfinissable intercalée entre la fin de la saison régulière et le début de la programmation d'été : deux pilotes, une reprise, du rattrape de fin de saison et une section Mieux vaut tard que jamais presque aussi longue que la section principale. En espérant que ce ne soit pas trop inégal, d'autant que j'ai été très pris par le temps ces derniers jours.

BRAINDEADLa joue d'Alicia est encore rouge que les King sont déjà de retour sur CBS, pour une série avec... hein ? Quoi ? Des insectes extra-terrestres venus coloniser la Terre en sirotant le cerveau des grands de ce monde ? Inutile de préciser que le premier réflexe est de se dire qu'ils n'auraient pas pu choisir sujet plus éloigné de The Good Wife, réflexe au final assez erroné car, justement, BrainDead ressemble beaucoup à la série préférée des lecteurs du Golb et autres électeurs du CDB. Même rythme, même humour, même musique, même goût pour la politique fiction... BrainDead est pour l'heure un mélange assez bizarre d'aspirations on ne peut plus contradictoires, à la fois série politico-financière et SF pop-corn, baignant dans un humour oscillant entre subtilité (les dialogues) et grossièreté (les situations), et allant même jusqu'à afficher une tentation gore certes limitée au niveau de CBS (c'est-à-dire pas bien loin)... mais tout de même assez rafraîchissante sur la chaîne la plus pépère du monde. L'appréciation en tant que spectateur est d'ailleurs tout aussi contrastée que le contenu : difficile de considérer ce pilote comme une réussite, ni même comme des débuts prometteurs, et pour autant l'ensemble, divertissant, donne assez envie de voir la suite.


FAIS PAS CI FAIS PAS ÇA (saison 8) La meilleure comédie française de ces dernières années (vous avez jusqu'à la fin de l'article pour en trouver une qui soit moitié aussi drôle) s'achèvera en 2017, et on a peu de mal, au vu de ces six épisodes néanmoins interminables, à le regretter. Huit saisons, pour une série, a fortiori comique, c'est extrêmement long. La fierté bien placée de France 2 commence à sacrément tirer à la langue et ce cru 2016, comme les deux précédents, témoigne d'une baisse de régime et d'un manque d'idées qu'on trouverait très préoccupants si la libération n'était pas déjà en ligne de mire. Encore la saison 7 avait-elle pour elle le touchant arc consacré à l'homosexualité de Charlotte (et Médusor, aussi. Quand même). Celle-ci est en roue libre, totalement décousue, plombée par une écriture aux ficelles de plus en plus énormes (combien de fois nous ont-ils fait le coup du drame annoncé en ouverture qui s'avère au final une fausse alerte ou un malentendu ? Cinq fois ? Dix ?), sans même parler de placements produits désormais si nombreux qu'on en viendrait presque à confondre Renaud Lepic avec Cristiano Ronaldo. Les comédiens tiennent encore la baraque, mais ils ne sont pas aidés par une écriture de plus en plus paresseuse les confinant dans des rôles très étriqués, puisque les quatre personnages adultes n'ont foncièrement pas évolué d'un iota depuis le premier épisode de la série. Autrefois machine à vannes plutôt très bien huilée, Fais pas ci fais pas ça est devenu l'un des spectacles les plus prévisibles qui soient, chaque réplique ou mimique de Fabienne ou de Denis pouvant être anticipée dix minutes à l'avance. Triste.

HAPPY VALLEY (saison 2) Comme je suis un garçon cohérent, je n'ai pas évoqué la première saison de Happy Valley (qui était une excellente surprise), mais je prends cette fois un instant pour évoquer la seconde, bien moins réussie. Normal. Pour résumer sommairement, Happy Valleyétait en 2014 un petit polar britannique ne ressemblant pas du tout aux habituels petits polars britanniques (qu'on aime beaucoup ici, mais dont il faut bien reconnaître qu'ils sont tous un peu pareils), avec une héroïne ultra-charismatique, torturée, dure, bouleversante... à qui il n'arrive en gros que des merdes, mais qui s'en sort parce qu'elle n'hésite à mettre ses tripes sur la table. Le tout ne payait pas trop de mine durant sa première heure pour en fait monter en puissance au fil des épisodes et s'avérer, un peu à la surprise générale, particulièrement sombre, stressant et violent, avec quelques scènes profondément anxiogènes. La seconde saison, qui avait en gros le choix entre amorcer une nouvelle intrigue ou proposer une suite, a l'idée compréhensible mais assez discutable de cocher les deux cases. On ne change pas une équipe qui gagne et Happy Valley conserve l'essentiel de ce qui faisait sa spécificité (Sarah Lancashire n'étant pas la moindre de ces qualités, elle crève l'écran à chaque plan), qu'il s'agisse de son univers gris ou de son discours profondément féministe (au-delà de l'aspect policier, Happy Valley est une série sur la violence faite aux femmes, dont elle aborde en deux saisons presque toutes les incarnations possibles)... tout en s'égarant malheureusement un peu trop dans des intrigues maîtrisées mais d'intérêt inégal – à dire vrai, on s'en fout un peu de cette histoire de tueur en série, tout comme on ne se passionne pas particulièrement pour les mésaventures du personnage de Kevin Doyle, deux arcs qui prennent énormément de place dans chaque épisode. Happy Valley 2 n'est jamais aussi réussie et intense que lorsqu'elle aborde son intrigue principale, cette haine viscérale entre Catherine et Tommy Lee Royce, laquelle malheureusement n'est traitée ici que par l'entremise d'un proxy à l'utilité narrative contestable (la disciple quasi hypnotisée par son gourou casse un peu le réalisme auquel aspire le reste du show). Si l'on se félicite dans un premier temps que les auteurs n'aient pas cédé à la facilité consistant à remettre Royce en liberté, le fait que cela interdise de fait toute scène entre Lancashire et James Norton finit par être plus préjudiciable qu'autre chose...


ROADIES Le monde s'est arrêté de tourner lorsque Bobby Sixkiller est apparu. Figurez-vous que justement, je me demandais pas plus tard que la semaine dernière pourquoi il était le seul personnage culte de séries pourries des nineties qu'on ne voyait pas cachetonner à longueur d'années. J'avoue m'être même demandé s'il n'était pas mort dans l'indifférence générale. Heureusement, Showtime  a volé à mon secours. Et sinon, la série ? Ça commence par une citation de Tom Petty et devinez quoi ? C'est chiant et fade comme un double LP acoustique de Tom Petty. Alors c'est vrai, on ne sait pas trop ce que font vraiment les roadies, pour reprendre la citation en question. On espère simplement pour eux qu'ils le font avec un peu moins de mollesse que ceux de la série, qui sont d'une lenteur telle que même leurs vannes semblent être envoyées au ralenti.

UnREAL (saison 2) Les premières minutes de la saison font un peu peur. Les deux héroïnes en mode BFF, Sex, drugs and rock'n'roll, Rachel qui triomphe en plein orgasme (un plan qui sonne faux et excessif, même venant d'un personnage aussi perturbé)... on se demande un instant si, à vouloir aller toujours plus loin/plus fort/plus vite, UnReal ne risque pas d'atteindre l'extrême limite – donc de finir comme Entourage, ou pire : Californication. Heureusement, la fin de ce premier épisode et l'excellent suivant suffisent à remettre les pendules à l'heure : UnReal n'a rien perdu de son mordant, de sa dureté et de sa capacité à provoquer le malaise chez le spectateur. En saison 1, Rachel Goldberg était un personnage touchant capable de vous glacer le sang en l'espace d'une seconde. Ayant franchi un ultime cap l'an dernier, elle est désormais devenue le contraire : un personnage inquiétant dont on ne se rappelle que par éclats qu'elle est aussi une jeune femme touchante. En cela, cette suite semble s'inscrire naturellement de la fin de la précédente saison, dont la conclusion joyeusement amorale imposait de ne plus trouver autant d'excuses à cette héroïne se détestant pour se trouver géniale dans son job. La haine de soi de ce personnage walterwhitien au possible apparaît désormais pour ce qu'elle est : de l'auto-apitoiement, un égocentrisme forcené baigné d'une triple couche d'hypocrisie. Admirablement campée par Shiri Appleby (on ne dira jamais assez à quel point elle est GÉNIALE dans cette série), Rachel est d'un cynisme exacerbé et révoltant à tout propos, sauf le sien. Elle n'est émouvante que lorsqu'on la blesse, et encore ne peut-on s'empêcher de se dire, une fois sur deux, qu'elle l'a bien mérité.


Mieux vaut tard que jamais

NORTHERN EXPOSURE (saison 6) Il est toujours un peu compliqué d'évoquer dans cette rubrique une vieillerie que j'ai commencée il y a un moment (presque deux ans, en l'occurrence, puisqu'au fur et à mesure que j'avançais dans les saisons celles-ci devenaient de plus en plus difficiles à trouver). Résumons donc : Northern Exposure, dont le showrunner des dernières saisons n'était autre que David Chase en personne, fut l'un des plus gros hits du début des années 90, cumulant audiences intersidérales, nominations à tout ce que les USA comptent de prix et critiques dithyrambiques. Pour vous dire, elle est même passée en France (sous le titre Bienvenue en Alaska). Devenue aujourd'hui le témoignage d'une époque bien loin de la nôtre où la télévision pouvait expérimenter sans se prendre la tête ni mettre du cul toutes les trois scènes, cette comédie absurde et humaniste pourrait être résumée prosaïquement à un genre de Twin Peaks sans les mystères... autrement dit, une série sur une petite ville isolée dont les habitants sont plus barges et loufoques les uns que les autres. Les ressemblances entre les deux séries ont été soulignées dès le départ, d’autant plus frappantes et étonnantes qu’elles ont commencé quasi simultanément (printemps 1990 pour le show de Lynch et Frost ; juillet de la même pour celui-ci) ; Northern Exposure en jouera d'ailleurs le temps d’un épisode hommage (1x05, "The Russian Flu"), premier vraiment barré d’une série qui va rapidement les multiplier. Car si l’intrigue principale est plutôt terre-à-terre (un jeune médecin juif new-yorkais a l’obligation contractuelle, pour rembourser son emprunt étudiant, d’aller exercer trois ans dans une petite ville du fin fond de l’Alaska), la série se démarque rapidement par son humour et son goût pour le surréalisme, les choses les plus invraisemblables et overzetop y devenant peu à peu la norme. Avec un postulat léger et articulé autour du thème de la vie en communauté et de l'acceptation des différences, les deux premières saisons, très courtes, comptent sûrement parmi ce que la télé a produit de plus drôle dans les années 90. La suite est d’une efficacité plus fluctuante, un peu victime de son succès, entre un passage relativement douloureux de huit à vingt-cinq épisodes par an (!) et les relation explosives entre Rob Morrow et les producteurs, qui culmineront dans des dernières saisons où les scénaristes prendront un plaisir assez pervers à ridiculiser et/ou humilier son personnage de toutes les manières possibles. La saison 6 ? Bof, on s'en fout de la saison 6, elle n'est pas terrible.


PLEASE LIKE ME (saisons 1 & 2) En cette période particulièrement propice aux rattrapages, il était plus que temps de me pencher sur une série présente sur mes tablettes depuis près d'un an – et dont il n'a pas fallu plus d'une scène pour me faire dire que c'était amplement mérité. Série ultime sur la lose sentimentale, merveille d'humour acide et dépressif, Please Like Me a sur le papier tout de la dramédie post-Louie bien prétentieuse... sauf qu'elle ne ressemble à rien de connu, aussi bien dans l'atmosphère que dans le style d'humour, et s'avère brillante à quasiment chaque épisode. Auteur, producteur et principal interprète, Josh Thomas joue dans les intervalles : de même que la moitié de ses héros sont gays sans que Please Like Me s'inscrive jamais vraiment dans la tradition des séries queer (allez, peut-être un tout petit peu dans les premiers épisodes), ses intrigues sont extrêmement tristes tout en ne plombant jamais le moral, puisqu'elles ne sont pas traitées avec ironie façon Louis CK, mais avec une authentique et salvatrice légèreté. Ce qui, vu les thématiques abordées, relève de la véritable prouesse : outre les déboires amoureux de Josh (jeune homme au visage de "50 Year old baby" qui accepte son homosexualité dans le premier épisode avant de commencer à tomber amoureux d'à peu près tous les mecs qui croiseront sa route) et Tom (son meilleur pote aussi gentil que veule, totalement incapable de se séparer de sa tarée de copine), Please Like Me passe énormément de temps à traiter de la dépression nerveuse de la mère de Josh, ainsi que des troubles mentaux en général, avec une extrême délicatesse. Même lorsqu'elle s'attaque à épisode plus "expérimental" comme "Scroggin" (2x07), la série reste dans la subtilité et la fausse potacherie plutôt que de loucher vers le pompeux (je ne veux pas m'agiter au-dessus d'un cadavre encore bouillant, mais on n'ose imaginer ce qu'un Louis CK aurait fait d'un pitch comme "Josh and Rose go on a camping trip together in Tasmania in the wake of Ginger's suicide, despite their relationship having some difficulties". Probablement pas un épisode d'une douceur, d'une pudeur et d'une drôlerie aussi implacables, c'est une certitude). Bref : c'est formidable et ce qui l'est encore plus, c'est qu'il me reste encore une saison à rattraper. En espérant qu'ils n'y renoncent pas au seul thème musical que je n'ai jamais sauté cette année.



Person of Interest - 15 raisons pour lesquelles vous allez passer l'été à rattraper votre retard

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Ce soir, ce qui était peut-être la meilleure série de SF en activité va nous quitter dans une indifférence un peu générale, diffusée au pas de charge par une CBS donnant tout à la fois l'impression de vouloir l’honorer (elle a droit à un dernier chapitre "hors saison"évènementiel) et s'en débarrasser le plus rapidement possible (jusqu'à trois épisodes par semaine, ça n'arrive pas tous les jours et sincèrement, c'est trop). Une contradiction apparente qui reflète plutôt bien, en un sens, l'opinion générale sur un show parmi les plus mésestimés de ces dernières années, dont l'originalité et la profondeur n'ont pas toujours été reconnues à leur juste valeur, lui-même étant suffisamment contradictoire pour qu'on ne sache jamais trop comment l'introduire ni le présenter. Person of Interestétait une très bonne série en général, mais elle n'est pas exempte d'épisodes très médiocres. Person of Interest a réussi à tisser une intrigue passionnante et des atmosphère tendues à souhaits au sein du cahier des charges XXL d'un Network comme CBS, mais elle ne l'a jamais fait exploser et en aura conservé jusqu'au bout tous les stigmates. Person of Interest est une série brillante, intelligente et subtile... et dans le même temps assommante de didactisme, où l'on vous explique tout, tout le temps, deux ou trois fois s'il le faut. Toutes raisons pour lesquelles, si Person of Interest n'est pas la seule série au long cours à s'arrêter en cette fin de printemps 2016, elle sera paradoxalement à la fois celle que la critique pleurera le moins et celle qui, l'an prochain, nous manquera le plus.

Person of Interest est une série difficile à introduire, disais-je, ce qui ne m'a empêché de m'y essayer il y a quelques temps. C'est pourquoi aujourd'hui, plutôt qu'une longue présentation, un dossier de vingt pages sur les meilleures moments de Bear le chien ou une critique de la saison 5 (inégale), je vous propose tout simplement de lister ensemble les raisons pour lesquelles Person of Interest est la série que vous allez beach watcherTM comme des porcs cet été, histoire de refaire un retard un inqualifiable. Parce que oui, vous allez le faire. Le Golb vous l'ordonne.

Parce que son héroïne n'apparaît jamais à l'écran. Il est important de le préciser d'emblée si vous n'avez jamais vu la série, c'est une raison qui va vous faire continuer au-delà d'une saison 1 pas toujours très heureuse : le personnage principal de Person of Interest n'est pas incarné par le monolithique Jim Caviezel, mais par la caméra de surveillance qui vient de vous filmer à la caisse du supermarché. Invention géniale (dans la série comme dans la narration), la Machine n'apparaît pour ainsi dire jamais mais prend de plus en plus de place au fil des épisodes, d'abord simple narratrice, puis chœur, puis actrice à part entière des évènements. Il faudra quasiment attendre la dernière saison pour la voir s'exprimer autrement qu'au travers du montage, de manière un peu plus directe et articulée, mais à ce stade, elle sera déjà devenue depuis bien longtemps un personnage à part entière dans l'esprit du spectateur, qui ne doute jamais de son existence même s'il peut parfois s'interroger sur la confiance qu'il faut ou non placer en elle. Saluons au passage l'intelligence de scénaristes qui seront parvenus jusqu'au bout à éviter l'écueil d'une personnification de la Machine qui, si elle aurait sans doute rendu les intrigues plus lisibles pour le spectateur moyen, en aurait assurément tué toute l'originalité.


Parce que du coup, Person of Interest a une des esthétique les plus soignées de la télévision actuelle.Évidemment, a-t-on envie d'ajouter, puisque tout, du traditionnel monologue introductif (régulièrement détourné) aux inter-séquences fait partie intégrante de la narration. Non seulement le concept ne s'essouffle pas, mais il gagne encore en densité lorsqu'il s'agira plus tard de confronter différents montages et différentes esthétiques, rendant le danger omniprésent jusque dans les transitions entre les scènes.

Parce qu'elle dépoussière habilement ce bon vieux techno-thriller. Souvenez-vous, c'était il y a mille ans, dans les années quatre-vingts. Les mécaniques étaient rutilantes et la technologie, notre amie pour la vie. Tom Clancy était le mec qui vendait le plus de livres au monde, Robert Ludlum était considéré comme un virtuose, Le Cinquième Cavalier devenait culte, Airwolf s'assumait dans sa VF (Supercopter) et Metal Gear inventait un nouveau genre de jeu d'action. Et puis les années quatre-ving-dix sont arrivées, tout le monde s'est aperçu que tout cela était bien con et réac, et même ce brave James Bond est entré dans le creux de la vague. Person of Interest reprend beaucoup des codes de ce genre devenu ringard, avec pas mal de second degré, ce qui la rend immédiatement sympathique. Surtout si vous avez été un petit garçon dans les eigthies.

Parce que franchement, qui dirait non à un crossover entre 1984, Batman, Terminator, Mission : Impossible et Minority Report ? Si c'est d'abord l'influence de l’œuvre de Dick qui est la plus visible (il s'agit au départ d'empêcher des crimes n'ayant pas encore eu lieu), tout en étant dans le même temps la moins déterminante, celle du Maître détective devient petit à petit prépondérante : Reese, "the man in the suit", est un vigilante agissant dans l'ombre et disposant d'un nombre impressionnant d'ennemi récurrents, dont certains vont malheureusement disparaître lorsque le volet Terminator prendra le dessus et que Greg Plageman et Jonathan Nolan pourront enfin assumer leur histoire d'I.A. Reese en sortira d'ailleurs meurtri, le protagoniste des deux premières saisons se changeant de plus en plus en personnage secondaire au fil du temps, largement surpassé par une Root il est vrai beaucoup plus fun, cool et sexy (encore que Jim Caviezel ne soit pas vilain, paraît-il). En attendant, ces hommages appuyés auront donné les meilleurs moments de premières saisons riches en bottages de fesses et en sauvetages héroïques de veuves et d'orphelins.


Parce que c'est une série politique qui dit beaucoup mais n'affirme rien. Une qualité plutôt étonnante pour un show particulièrement bavard et, comme nous le disions plus haut, didactique. Pourtant, Person of Interest ne peut pas s'empêcher de prendre à bras-le-corps certains des sujets les plus épineux de notre époque, ne serait-ce qu'en raison de son sujet (paranoïaque par essence) et de son esthétique (fascisante presque par définition). S'ils ne sont pas tous d'un égal intérêt, les débats éthiques entre les différents protagonistes y sont omniprésents, et rarement tranchés de manière simpliste. On notera d'ailleurs une évolution subtile mais réelle du propos de la série, beaucoup plus sécuritaire à ses débuts, lorsque Finch explique et réexplique à chaque épisode ou presque que la surveillance généralisée est le meilleur moyen d'éviter un second 11 septembre. Une position qui se nuancera énormément au fil des saisons, notamment au gré des nombreux flashbacks le montrant tentant d'inculquer des valeurs humaines à sa création (des scènes devenues très redondantes avec les années mais qui demeurent toujours bizarrement émouvantes). Finch est un inventeur de génie, le père de Dieu peut-être... mais il demeure un humaniste nourrissant une relation très complexe à son enfant, qu'il aime et qu'il craint dans le même temps. Il est en ce sens un ennemi objectif de Root, de Greer ou de tout potentiel apôtre de la singularité technologique, autre sujet particulièrement politique et complexe qui viendra un peu plus hanter le show à chaque saison. L'un des meilleurs épisodes de la série est d'ailleurs sans aucun doute celui dans lequel on découvre, impressionné et bouleversé, par quel subterfuge il a réussi à empêcher le développement incontournable de cette singularité au sein de son système (je vous laisse la surprise).

Parce qu'elle a un super score. Bon ok, ce sont toujours un peu les mêmes musiques, balancées de surcroît en super HD dolby stereo hyperspace surround, mais le travail de Ramin Djawadi (qui s'occupe également de Game of Thrones), pour pompier qu'il puisse paraître par instants, n'est pas pour rien dans l'atmosphère si particulière de la série.

Parce qu'Amy Acker.


Parce que ses personnages sont vraiment trop cools et sympas. Et pour le coup, il faut remercier CBS, qui a poussé les scénaristes à accorder plus d'importance aux policiers et à faire Lionel Fusco un "gentil". Au fil des épisodes, ce qui n'était initialement qu'un duo à forte teneur en testostérone (99 % pour Reese et 1 % pour Finch) s'est transformé en équipe de choc avec son noyau dur, ses alliés réguliers ou de circonstances, ses antagonismes... tous unis par une belle alchimie. A part peut-être la relation Finch/Shaw (et celles qui ne se nouent jamais, genre Root/Carter), tous les duos ou presque fonctionnent : Reese/Finch, Reese/Root, Root/Finch, Fusco/Root, Fusco/Carter, Root/Shaw, Reese/Shaw, Fusco/Finch, sans oublier Reese/Zoe ou Carter/Elias ou... bref, chaque personnage un tant soit peu important de Person of Interest nourrit une relation particulière avec chacun des autres. Et ils sont tous totalement et absolument sympathiques, sans pour autant être des outres vides. Preuve que c'est possible, même si c'est loin d'être le cas chez la concurrence.

Parce que vous kifez la famille Nolan. Vendue à ses débuts comme la nouvelle production de JJ Abrams-avec-des-vrais-morceaux-de-Lost-dedans, P.O.I. est surtout une série de Jonathan Nolan frère de l'autre et scénariste de tous ses bons films (donc pas d'Inception, ouf), dont c'était la première véritable escapade solo. Assez étonnamment (car Nolan n'a pas personnellement écrit tant d'épisodes que cela, même s'il est toujours resté très impliqué dans le run), il y a beaucoup de The Dark Knight, dans P.O.I, pas mal de Memento également, et énormément de Terminator Salvation (ce qui sur Le Golb, contrairement à presque tout, est un authentique compliment). Accessoirement (enfin pas tant que ça) il y a aussi Tonton Nolan qui joue le super-méchant-mystérieux-mais-non-mais-si-en-fait, et qui fait bien froid dans le dos par moment.

Parce que c'est une drôle série sur la Foi. Greer l'assène dès sa première apparition (en milieu de saison 2, ce qui souligne au passage à quel point l'axe principal des dernières saisons était dès le départ assez clair dans l'esprit des scénaristes) : les intelligences artificielles ne sont pas de vulgaires machines, mais de nouveaux Dieux en tout point supérieurs aux hommes, puisque censément infaillibles. Un discours qui trouve écho dans la dévotion que Root vouera plus tard à la Machine, comme d'ailleurs dans la relation complexe qu'elle noue progressivement avec Harold Finch (qui n'est ni plus ni moins que la Vierge Marie de la série). Si cet aspect accouche parfois de dialogues un peu lourdingues et pompeux, la manière dont cette foi aveugle en la technologie est interrogée à plusieurs reprises donne également quelques scènes très fortes, en particulier chaque fois qu'il s'agit de s'intéresser à l'omnipotence d'une intelligence artificielle qui, dénuée de véritable morale, agit effectivement comme un Dieu accordant plus d'importance aux liens de causalité qu'aux individus.


Parce que c'est remarquablement écrit. C'est évidemment un peu moins impressionnant dans les deux dernières saisons, puisque l'intrigue autour de Samaritan a - c'était prévisible - cannibalisé tout le reste. Mais dans ses saisons 2 et 3, P.O.I. fait montre d'une capacité bluffante à jongler avec des tonnes d'arcs narratifs, très complexes mais toujours limpides pour le spectateur, et se déroulant tous avec une implacable cohérence. D'une manière générale, elle fait partie des rares séries vous donnant le sentiment que ses scénaristes avaient dès le départ une idée très précise de ce qu'ils voulaient raconter. De fait, s'il faut un moment pour que les "vraies" intrigues de P.O.I. se mettent en branlent, c'est surtout parce que CBS voulait la limiter à un show procédural comme elle les aime tant, et ne voulait absolument pas entendre parler d'intelligence artificielle, encore moins de science-fiction ou de cyberpunk. Raté !

Parce que c'est une série bien plus drôle qu'il y paraît. Alors soit, ce sont toujours un peu les mêmes gags, et tous ne sont pas de la première finesse. La plupart du temps, il s'agit de faire ronchonner Fusco ou de jouer sur le décalage entre les personnalités terminatoresques de Reese et Shaw (ainsi que sur leur a-geekisme pathologique) et les situations ubuesques dans lesquelles ils se trouvent plongés. Mais j'avoue que chez moi, ça fait souvent mouche. Je garde un sacré souvenir de l'épisode dans lequel Reese fait un barbecue, et encore récemment, l'indicible détresse sur son visage lorsqu'il est pris pour un strip-teaser m'a fait éclater de rire.

Parce que Michael Emerson est le meilleur acteur de télé du monde de l'univers de tous les temps. Vous en connaissez beaucoup, vous, des gens capables d'avoir incarné durant quatre saisons l'un des personnages de fiction les plus charismatiques et populaires de leur époque, puis d'enchaîner presque aussitôt (P.O.I. a débuté à peine plus d'un an après la fin de Lost) sur un rôle totalement différent et tout aussi charismatique où ils n'évoqueraient jamais le précédent ? Michael Emerson (Harold Finch) l'a fait, et de mémoire de téléspectateur, il est quasiment le seul à pouvoir se targuer d'une telle prouesse.


Parce que la réalité a déjà (presque) dépassé la fiction.Person of Interest n'est pas une série réaliste ; elle n'a jamais cherché à l'être, mais comme toute vraie, bonne œuvre de science-fiction, elle y est quasiment parvenue malgré elle. Si nous sommes encore loin d'être traqués par Samaritan, il ne se passe pas un mois sans que les avancées technologiques nous rapprochent d'une super intelligence artificielle (et on ne peut pas dire qu'avoir maté P.O.I. donne envie d'avancer dans cette direction avec enthousiasme). Quant aux questions de surveillance, il ne vous aura pas échappé que nous nageons en plein dedans depuis quelques années - la NSA a d'ores et déjà fait bien pire que tout ce qu'ont pu imaginer les scénaristes de Person of Interest. You are Being Watched? Tu m'étonnes.

Parce que Bear le chien. Quand même.


Person of Interest (saisons 1 - 5), créée par Jonathan Nolan (CBS, 2011-16)


Le 10 Years After des 10 Years After #3

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Entre nous, qu'y a-t-il de plus horripilant que les classements des 100 meilleurs quoi que ce soit de n'importe quel registre sur n'importe quelle période ? Probablement rien. Il est donc tout à fait logique qu'à l'occasion des dix ans du Golb, celui-ci vous propose les 105 meilleurs albums des 105 meilleurs artistes durant ce laps de temps. Parce que Le Golb, on l'oublie souvent à force qu'il soit génial, c'est aussi l'un des sites les plus horripilants et contradictoires du Web culturel


85. Nursing Home– Let's Wrestle (dinosaures jr, 2011)

Comète britannique à peine arrivée et déjà splitée, Let's Wrestle s'est chargé durant la Golbodécade de tenir le flambeau du vrai rock indé qu'on aime, celui chanté comme une casserole et joué n'importe comment (on n'a pas dit par n'importe qui) du moment que c'est à toute berzingue. Sur son second opus, le groupe ajoute quelques ballades piquantes histoires d'épicer le tout, mais ne se ramollit pas vraiment pour autant. Nursing Home, c'est de l'insouciance, de l'énergie, de la vitalité et d'une manière générale tout ce qu'on n'a pas trouvé une seule fois chez Dino ou Stephen Malkmus durant le même laps de temps. Un vrai racolage de Golb, en quelque sorte, tant chacune des références brandies crânement par le groupe évoque des souvenirs émus et souvent humides. Le split le plus tristounet de l'année passée.

À écouter en priorité : "Rockstar in My Room "& "I'm Useful"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : In the Court of the Wrestling Let's (2009)
Face B : Skellicollection, de Chad VanGaalen (2006), cousin canadien qui, suivant la même logique, sonne beaucoup plus anglais.

84. Rascalize – The Rascals (lad-rock, 2008)

Liverpool Rock City, épisode 1678. Alors encore dans l'ombre de son pote Alex Turner, avec qui il vient de signer le best-seller des Last Shadow Puppets (ce dont quasiment personne ne le sait gré), Miles Kanes profite de l'été 2008 pour débouler toutes guitares dehors avec la nouvelle sensation britrock du moment : The Rascals. Des mecs dont le premier titre du premier album entend déjà rascaliser le monde. La conquête ne va pas franchement se dérouler comme prévu (ils ne rivaliseront pas trois secondes avec les Arctics Monkeys et splitteront dans une indifférence quasi générale quelques mois plus tard), mais cela n’enlève rien à la qualité renversante d'un unique disque qui n'a fait que se bonifier depuis. Dandys bien élevés faisant semblant de jouer une musique de zonards, les gaillards signent douze titres impeccables, tout en muscle et en claustrophobie, aux lyrics cinglants et aux refrains claquants. Depuis, on a eu l'occasion d'admirer la capacité de Kane à trousser des chansons pop soyeuses autant que des trucs tout mous du cul plutôt embarrassants ; ni les unes ni les autres n'auront su effacer le souvenir du meilleur album de rock mineur de la décennie.

À écouter en priorité : "Does Your Husband Know that You're on the Run?"& "I'll Give You Sympathy"
Face B : Les Herbes amères, des Shades (2013)

83. Electric– Richard Thompson (patron folk – dans tous les sens du terme, 2013)

S'il est une expression que l'on aura eu maintes occasions d'utiliser durant cette décennie de Golb, c'est assurément celle servant à qualifier les proverbiaux vieux qui vieillissent bien. Porte-parole officiel de cette catégorie de la population musicale que l'on pourra considérer comme le double inversé de la reformation toute pourrie, Richard Thompson a la particularité de n'avoir quasiment publié aucun album potable entre 2006 et 2016 (celui d'après est tout au plus correct, et les deux d'avant ne sont pas loin d'être les plus mauvais de toute sa carrière). Mais alors quand il a réussi son coup, il n'a pas fait semblant : double, dégueulant de chansons folk-rock à la dimension classique presque instantanée, Electric n'est pas uniquement un bon disque d'un type ayant passé le douloureux cap de la soixantaine, que l'on accueillerait avec surprise de circonstance et tout le respect dû à son rang. C'est un véritable sommet discographique, le genre de disque qui fait se dire que le gars peut enfin s'en aller avec le sentiment du devoir accompli. Ce qu'on ne lui souhaite évidemment pas, il serait tout de même dommage qu'un tel artiste disparaisse tristement en 2016, comme le premier péquenot venu.

À écouter en priorité : "Stuck on the Treadmill"& "So Ben Mi Ch'a Bom Tempo"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : aucun
Face B : Locked Down, de Dr John (2012)


82. The Lucky Ones– Mudhoney (meilleur album des Stooges de la décennie, 2008)

C'est entendu : le grunge était déjà mort depuis un petit moment (pas loin de vingt ans) lorsque Le Golb a ouvert ses portes. Néanmoins, la décennie qui a suivi s'est occupée de tuer le dernier mythe du rock'n'roll. Alice In Chains s'est reformé avec un nouveau chanteur, les Foo Fighters ont achevé leur mue FM, Pearl Jam a sombré dans les limbes du rock à papa, Mark Lanegan est devenu chiant, Courtney Love a fait sa Courtney Love et les Smashing Pumpkins se sont reformés pour mieux confirmer qu'ils étaient un groupe de prog'. Au milieu de ce marasme et alors qu'un simili revival avait commencé à pointer son museau ici ou là, Mudhoney resta seul debout à encore donner occasionnellement l'illusion que la baraque était tenue. Rien d'étonnant venant des seuls véritables punks de l'histoire, qui se payèrent même le luxe de publier quelques uns de leurs meilleurs disques durant cette période où leurs ex-camarades commençaient à compter leurs points retraites. Rageur et vénéneux, The Lucky Ones en est une bonne illustration, qui ne relâche jamais la tension et enquille les hymnes heavy-rock comme au bon vieux de temps de quand nous avions des cheveux. "The past made no sense / The Future looks tense / I'm now!" C'est pas moi qui l'ai dit.

À écouter en priorité : "I'm Now!"& "What's this Thing?"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Under a Billion Suns (2006)
Face B : King Animal, de Soundgarden (2012)

81. Rio Baril– Florent Marchet (pop anxioliticogène, 2007)

Le souvent très fun Florent Marchet associé au toujours très joyeux Arnaud Cathrine, le tout dans un concept-album à l'intrigue sordide dont le meilleur morceau s'intitule "Les Cachets" et pastiche les notices d'anti-dépresseurs... autant dire qu'il n'y avait pas à beaucoup se creuser, avant même d'avoir entendu l'album, pour supposer de quoi il allait retourner. Ce qu'on ne pouvait en revanche affirmer avec certitude, c'était si le résultat allait s'avérer très beau ou très chiant. La réponse est contenue dans la question, cet album ovniesque n'ayant pas eu à trop forcer pour gagner cette place dans une sélection dont il s'affirme à la réécoute comme l'un des ouvrages les plus sombres. Depuis, Florent Marchet a fait tout un tas de trucs, plus joviaux ou plus rieurs, comme pour prouver après deux premiers opus torturés qu'il savait s'amuser comme n'importe qui. Façon de parler tant son humour, incontestable, est constamment emprunt de ce vertige existentiel qui suintait dès le premier morceau de son premier disque (Gargilesse). Et tant, aussi, Rio Baril reste largement supérieur à ses successeurs.

À écouter en priorité : "La Chimie"& "Les Cachets"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Bambi Galaxy (2014)
Face B : Día a Día, de Filip Chrétien (2014), autre chanteur pop frenchie pourvu d'un grand sens de la fête.


80. We Came in Peace– Brimstone Howl (aux armes, etc., 2008)

Quand cet album est sorti, en septembre 2008, j'ai immédiatement flashé dessus tout en m'avérant incapable d'en dire autre chose que "c'est super, achetez-le !" Huit années et des dizaines (centaines) d'écoutes plus tard, le groupe a pas mal déçu mais j'aime toujours autant ses scies garage-punk, sa production au ras du jack et son atmosphère pugnace. En revanche, j'ai le sentiment d'avoir encore moins de choses à en dire aujourd'hui, peut-être parce qu'il évolue dans un registre que j'ai tellement chroniqué depuis dix ans que les mots commencent à me manquer. Qu'importe : "c'est encore plus super, achetez-le une deuxième fois (si on le trouve encore) !"

À écouter en priorité : "Shangri La"& "They Call Me Hopeless Destroyer"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Guts of Steel (2007)
Face B : We Have You Surrounded, des Dirtbombs (2008)

79. I Love You – Matthieu Boogaerts (garage, au sens littéral du terme, 2008)

On savait depuis son premier album (Super, il y a tout pile vingt ans) que Matthieu Boogaerts était né pour révolutionner la lo-fi et nous venger de toutes ces merdes américaines régurgitant Pavement n'importe comment. Restait à se mettre au boulot, et le moins qu'on puisse dire et qu'il aura pris des chemins traverses, puisqu'il aura fallu attendre huit années et cinq disques pour qu'enfin il nous livre le grand album de pop bricolo et barrée dont on le savait capable depuis son premier single. Complètement foufou furieux (une expression qu'on utilisait beaucoup sur Le Golb, en 2008), tout en nerf et basant presque tous les morceaux sur les percussions, I Love You ne mettra pas longtemps à s'imposer comme l'un des meilleurs disques francophones des dernières années, de ceux, rares, qui autorisent leurs auteurs à affirmer qu'ils ne ressemblent à rien ni personnes (auteurs qui généralement sont ceux qui n'auraient pas idée d'aller clamer un truc pareil, mais c'est une autre histoire). Et si je reconnais, en toute honnêteté, que je ne l'avais pas ressorti depuis un petit moment, quelques secondes de "Do You Feel OK?" ont suffi pour me convaincre que ce disque pas si simple et infiniment imaginatif avait largement sa place ici.

À écouter en priorité : "Do You Feel OK?"& "Game over"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Mathieu Boogaerts (2012)
Face B (en terme de garagisme primaire, hein) : Alone II, de Rivers Cuomo (2008)

78. 29– Ryan Adams (folk au piano, 2005)

Durant ces dix années, Ryan Adams est sans conteste l'un des artistes contemporains à avoir été le plus souvent à l'honneur dans ces pages. Paradoxalement, c'est aussi l'un de ceux qui aura été le plus critiqué et moqué, pour la simple et bonne raison qu'à la minute où j'ai décidé d'ouvrir un blog, ce connard a décidé pour sa part de ne plus publier que des albums (très) inégaux. C'est au point que son dernier grand album remonte très exactement au 19 décembre 2005, comme s'il avait particulièrement tenu à ce que je comprenne le message. Mais quel disque, cela dit ! Sombre, hanté, désolé, cet ouvrage intimiste se revendiquant crânement du Loner (tant pour les piano-ballads que pour le toujours délicat exercice du folk-rock à rallonge) est probablement l'album le plus difficile d'accès et le plus torturé d'un mec qui, tout de même, a publié deux EPs intitulés Love Is Hell. À vrai dire, c'est peut-être même tout simplement ce que le Ryan a fait de mieux. C'est en tout cas le seul où il ne se laisse jamais à aller, à aucun moment, à sa passion pour la bande FM et les refrains fastoches.

À écouter en priorité : "Blue Sky Blues"& "Voices"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : aucun. Allez, à la rigueur Cardinology (2008), mais son meilleur a clairement été réalisé avant 2006.
Face B : Among the Leaves, de Sun Kil Moon (2012)


77. Learn to Sing Like a Star – Kristin Hersh (classic (indie) rock, 2007)

"My heart goes out to you / A lover on a night with no moon / I learned to fill out gaunt limbs / Like parrot lady at Lake Michigan." Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ma plus belle rencontre musicale de la décennie, la plus bouleversante et la plus vitale, aura été avec une songwriteuse presque quinquagénaire dont le premier album parut à l'époque où j'étais à l'école primaire. Discrète, aussi prolixe sur son site que peu prolifique dans les bacs, la leadeuse des Throwing Muses a peu publié entre 2006 et 2016, ce qui m'a laissé beaucoup de temps pour me replonger dans sa discographie et élever son splendide live Cats & Mice dans Mes disques à moi (et rien qu'à moi). Sans être le sommet d'une carrière riche et se définissant plus par ses chansons mémorables que par ses LPs incontournables, Learn to Sing Like a Star méritait donc bien de figurer dans cette sélection, ne serait-ce que pour marquer le coup. Produit à l'ancienne (il pourrait sans problème passer pour un disque de 1997 ou 98), pétri de riffs tendus et porté par ce qui est peut-être la plus belle voix du rock indé passé et à venir, il constitue de surcroît une excellente porte d'entrée dans l'univers rageur mais tendre de cette très grande Dame aussi yeux aussi infiniment bleus qu'infiniment tristes.

À écouter en priorité : "Sugarbaby"& "Under the Gun"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Crooked (2010)
Face B : Games over, de Laetitia Sheriff (2008)

76. Sunfried Dream – The Motel Beds (juste à droite en sortant du garage, 2011)

Pourquoi les Motel Beds et pas l'un des deux-mille-six-cent-soixante-dix-huit (bons) groupes de garage qu'on a entendus ces dix dernières années ? La question mérite d'être posée, mais elle n'a pas vraiment de réponse figée. Ou plutôt en a-t-elle une très simple : ces presque inconnus aux airs d’hybridation des Black Keys (en plus sexy) et d'Oasis (en moins beauf) écrivent de meilleures chansons que les autres, tout simplement. Il est d'ailleurs assez symptomatique de leur musique de les trouver si hauts alors qu'à l'époque, la tête dans le guidon de l'actu musicale, je ne leur avais accordé que 4 diodes sur 6. Vu le nombre de fois où j'y suis revenu par la suite, il est évident que Sunfried Dreams valait bien mieux que cela. Il est tout aussi évident cependant que ce n'était pas un album suffisamment original, en tout cas de prime abord, pour que je m'en aperçoive immédiatement. Je me suis rattrapé par la suite, en en glissant des extraits dans moult playlists et en en chantant les louanges à la moindre l'occasion. D'autant que le groupe, qui enchaîne depuis la fin des années 2000 les très bons albums gratuits sur Bandcamp, mérite une reconnaissance bien plus large que le culte discret qu'on lui voue sur Le Golb et quelques autres sites. Vous pouvez d'ailleurs commander son très bon dernier opus ICI.

À écouter en priorité : "Western Son"& "Bat Naps"
Aussi conseillé sur cette période (mais un peu moins, forcément) : Dumb Gold (2012)
Face B : Hippies, de Harlem (2010)


Train Long Suffering

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Second volet de ce que nous appelons désormais, faute de mieux, La Rubrique à Zaph. Des chroniques "tranches de vie" comme on savait en faire il y a dix ans sur ce blog, pour la plupart inédites et rédigées en 2012... soit donc à l'époque de la retraite du Golb.
Le trajet en train ne se passait pas trop mal. Si je ne devais reconnaître qu'un seul avantage à mon traitement de cheval, c'est d'avoir presque totalement supprimé mes attaques de panique dans les transports, pour les remplacer par une simple appréhension. Un sentiment normal de gens normaux. Manque de chance, ça ne m'a pas donné beaucoup plus envie de voyager. Me déplacer dans l'espace demeure toujours aussi pénible et fatigant par avance. J'arrive tout simplement mieux à en accepter la nécessité, comme lorsqu'il faut par exemple s'aventurer un peu plus à l'ouest pour amener un bouquet de fleurs à sa Môman. Oui, je fais ce genre de chose. Je ne l'ai pas toujours fait, mais à présent, j'ai décidé de le re-faire. D'être un bon garçon, ou d'essayer au moins. Elle a été sacrément contente, ma mère. Oh ! Mon chériiiiiiii ! Tu es là !!! On sentait qu'elle avait envie d'ajouter Tu as un cœur mais se rendait bien compte que ce pourrait s'avérer un brin vexant. Alors elle s'est contentée de trépigner d'enthousiasme quelques minutes, approximativement le temps de déposer les fleurs dans le vase. Puis elle s'est remise à me râler après, à me harceler pour savoir si j'avais bien pris mes médicaments et à se plaindre que quand même, c'était vachement dur d'avoir un fils aussi compliqué. Même s'il était gentil et faisait de gentilles surprises à sa gentille Môman. Je ne pouvais pas vraiment lui donner tort.


J'ai mal au crâne et la température caniculaire n'arrange rien (il ne fait beau qu'un jour par mois depuis un an, mais alors quand il fait beau, ce n'est pas pour déconner). Sans parler du train du bondé, tant et si bien que je me retrouve à faire le trajet à califourchon sur mon sac, assis entre deux compartiments. Je m'y attendais, c'est bien pourquoi j'ai décidé de frauder en signe de protestation, ce qui n'a pas manqué de forcer l'admiration de mon voisin de train concentrationnaire. Je lui ai adressé un grand sourire, genre Hé ouais, tu vois : c'est toi le Black, et c'est moi le fraudeur. Devine qui va se faire contrôler en premier ?

Pas de chance : une fois n'est coutume ç'a été moi. Et j'ai eu un mal de chien à faire passer mon engagement auprès des Indignés pour autre chose qu'un oubli malencontreux. En politique, le choix de mots est important.

— Désolé, je n'ai pas eu le temps de prendre de billet.
— Pas de problème, Monsieur. On va vous en donner un.

Celle-là, je ne l'avais pas vu venir. Je pensais qu'ils allaient me donner une contravention, que je ne paierais jamais parce que je suis un Indigné – pour ne pas dire un Punk. Or non : les mecs voulaient juste me donner un billet. Ils ont tapé sur leur petite machine à produire des billets, et mon tendu un genre de ticket de caisse qui devait faire office de (j'avoue m'être demandé après coup pourquoi les billets habituels, les billets normaux pris par les citoyens disciplinés, étaient trois fois plus gros. Oui, je suis un Indigné écolo.) Ma surprise était telle que l'espace d'une trop longue seconde, j'ai totalement oublié que j'organisais l'insurrection à bord du train.

— Voilà, Monsieur. Cela fera cinquante-euros-quatre-vingt-dix-neuf, Monsieur.
— Pardon ?! Mais... vous me mettez une amende, en fait ?

Idiot que je suis. J'aurais bien entendu dû dire : Donnez-moi une amende !

— Non, Monsieur, pas du tout. Mais les tarifs sont majorés, une fois à bord.
— Mais... mais... mais vous ne trouvez pas que cinquante-euros-quatre-vingt-dix-neuf, c'est un tout petit peu cher, pour faire le voyage accroupi sur mon sac ?
— Il y a des places dans le wagon N°2, si vous voulez, Monsieur...
— Oui enfin... on est au wagon combien, là ? 28 ? Je ne me vois pas traverser vingt-six wagons avec mes trois sacs de voyage, excusez-moi...
— C'est comme vous voulez, Monsieur.

Dépité, j'ai fouillé dans mon portefeuille. Ma carte bleue étant bloquée comme tous les mois à cette période, je me suis estimé heureux d'avoir beaucoup d'espèces sur moi, même si j'aurais préféré les garder pour autre chose (exemple : manger, boire, inviter à dîner la fille magnifique et géniale que je vais fatalement rencontrer dès que je n'aurais plus les moyens de l'inviter – parce que c'est comme ça, c'est la vie, enfin c'est la mienne).

— Vous avez un peu de monnaie, au moins ? j'ai demandé, parce qu'allez comprendre pourquoi je voyais le coup où il allait me dire qu'il n'acceptait que la CB ou les chèques.
— Ne vous inquiétez pas, on va oublier les quatre-vingt-dix-neuf centimes.

C'était très urbain de sa part. Le pire c'est qu'en plus, je l'ai vraiment remercié.

Mon voisin de box n'en pouvant plus de rire en assistant à la scène, il a senti qu'il y avait là comme une invitation à entamer une tentative de rapprochement dont je voyais bien qu'elle le démangeait depuis bien des minutes. C'est tout mon drame : j'ai l'air sympa. Mes yeux perpétuellement souriants envoient les mauvais signaux aux gens. Ils se sentent en confiance alors que la plupart du temps, j'ai juste envie qu'on me foute la paix, qu'on me laisse dans mon coin lire mon bouquin ou mon journal. Je n'ai rien contre les gens : je les adore. Cela ne signifie pas nécessairement que j'éprouve plus que de raison le besoin d'interagir avec eux. Je me souviens de vacances, quand j'étais môme, où mon père, qui parlait avec tout le monde tout le temps, qui épousait l'humanité dans sa plus entière totalité quitte à donner l'impression de draguer même les chiens qu'il caressait dans la rue, s'est piqué de sympathiser avec nos voisins de cabanon. Sa mère – ma genre de grand-mère – regardait cela d'un œil amusé, et avait conclu un soir par une phrase qui demeura longtemps énigmatique pour moi qui n'avais qu'onze ou douze ans : Ils sont sympathiques, ces gens. Je suis sûre qu'ils n'attendraient que cela qu'on leur propose de prendre l'apéro. Il m'a fallu tout de même deux décennies pour comprendre que je partageais absolument cette opinion.

— Je m'appelle Rayan.
— Thomas.
— Enchanté ! Tu vas où, Thomas ?
— Eh bien... je rentre à Paris.
— Moi aussi.
— Comme tout le monde, quoi...
— Et tu reviens d'où ?
— De chez ma mère.
— Moi je reviens de Deauville. J'ai passé le week-end avec ma femme et mon gamin, c'était vraiment bien sympa.
— Avec tout ce soleil, j'imagine.
— Oui oui. On s'est bien amusé. J'aime bien ça, qu'on soit en famille et tout ça... enfin malheureusement maintenant je dois repartir travailler. Eux ils sont restés un peu.
— Ils ont raison.
— On a des amis là-bas, qui nous prêtent leur appart. C'est tranquille du coup.
— …
— Je te dérange pas dans ta lecture ?
— Non, non.

Bien sûr que si, en fait, mais je ne saurai jamais si les gens posant ce genre de question s'attendent vraiment à ce qu'on leur réponde Bah oui, en fait tu m'emmerdes même carrément, j'étais peinard assis sur mon sac et en plus l'odeur de ta 8°6 me prends à la gorge.

— Là je vais retrouver ma fille, je sais pas dans quel état va être la maison.
— …
— Nan parce que figure-toi : elle a pas voulu venir. Tu comprends elle voulait rester à Paris voir ses copains et tout... c'est pas facile, l'adolescence !
— Elle a quel âge ?
— Seize ans.
— Tout s'explique.
— T'as des gamins, toi ?
— Non.
— T'as quel âge ?
— Trente-deux.
— Ah. Il va être temps, alors.
— Euh...
— T'es marié ?
— Non.
— Ça viendra.
— Euh... d'accord.
— Mais réfléchis bien avant, pour les gosses. Parce qu'après c'est plus pareil – tu vois ce que je veux dire. Enfin non, tu peux pas voir du coup mais tu...
— Comprends.
— … ouais, voilà... non parce que le mariage bon, ça va. On s'en fait toute une histoire mais ça passe. Par contre quand les gosses arrivent alors là, c'est...
— Plus pareil ?
— EXACTEMENT ! C'est plus pareil. C'est comme si ta vie, elle t'appartient plus. Moi là, tu me vois, franchement je suis plus du tout pareil qu'avant. Mais c'est bien, hein. C'est super d'avoir des enfants. Moi je dis toujours qu'avoir des enfants, c'est comme ça que tu deviens un homme.
— Oh. Bah ça fait plaisir, dis donc...
— Aaaaaah ! Non non, c'est pas que je voulais dire bien sûr, hahaha ! T'es con, toi ! J'veux dire qu'à partir de là maintenant, tu découvres la vraie responsabilité. Là c'est plus pour rigoler. Genre ma fille, Melissa, eh bien je peux te dire que j'étais pas trop rassuré de la laisser toute seule.
— C'est normal...
— … déjà bon : j'aime pas le principe, j'aime pas le principe. Moi j'aime bien quand on est en famille. Je travaille beaucoup et tout ça, ça n'arrive pas si souvent du coup. Je lui ai dit, hein. Je lui ai dit Melissa, t'abuses là. Tu pourrais me faire plaisir quand même, parce que tu sais qui c'est qui travaille pour ton argent de poche et ton Galaxy 3, hein ? Eh ben c'est moi. Pff (un bref silence puis, levant les yeux au Ciel :) Les enfants c'est formidables, mais c'est super ingrat malgré tout. C'est pour ça je te dis : réfléchis bien.

J'ai hésité un seconde à lui répondre que de toute façon, vu ma personnalité pour le moins trouble, considéré mon lourd passif... il y avait toutes les chances pour que je réfléchisse longuement avant, pendant et encore bien après avoir fécondé quelque femme que ce soit. Mais ce n'était pas forcément une super réponse et de toute façon, Rayan a directement embrayé sur un autre sujet :

— T'habites où, toi ?
— À Paris.
— Oui mais où, à Paris ?
— Dans le dix-huitième.
— Oui mais où, dans le dix-huitième ?
— Euh... Rue Stephenson.
— Aaaaaah ! Ah mais dis donc, c'est marrant ça ! Ma sœur a habité là-bas pendant DES ANNÉES !
— Ah... en effet, c'est... marrant...
— Tu connais le marché Marx Dormoy ?
— Euh... non.
— Tu vois Marx Dormoy ?
— Oui...
— Bon alors au-dessus, juste à gauche, t'as une petite ruelle tu vois ?
— (du tout) Oui...
— Tu prends la ruelle, tu prends encore à droite t'as le marché... t'as des trucs vraiment de dingues. Si tu passes au stand de hi-fi, tu dis que tu viens de ma part. C'est mon cousin Lou, il t'fera un prix c'est sûr et certain. Les amis de mes amis...

L'arrêt en gare d’Évreux a fait office de diversion, me laissant tout loisir de réfléchir à cette incroyable ironie du destin qui faisait qu'à peu de choses près (quelques mètres, quelques années, quelques chaînes hi-fi... ne soyons pas bégueules), j'aurais pu devenir le beau-frère de mon nouvel ami Rayan. Quand on y pensait, il y avait tout de même là quelque chose de poétique autant que vertigineux.

Un vieux bonhomme rougeot s'est assis (enfin accroupi) en face de nous, tandis que l'étudiant qui nous écoutait depuis le début en se foutant ouvertement de la gueule de Rayan (ah, les complexes de classe) en a profité pour aller voir au wagon N°2 si nous y étions. Mon ex-beau frère d'une timeline parallèle a continué à s'exciter (ça tape, la 8°6. Surtout par trente-cinq degrés), racontant sa vie sans relâche et presque sans respirer, sans rien oublier de me faire partager de sa conception de l'existence. Et si je ne suis pas forcément toujours ravi de communiquer avec le monde extérieur, j'ai en revanche toujours eu une grande sympathie pour les gens qui vous font partager gratuitement leur conception de l'existence. C'est quelque chose qui peut me bouleverser.

Inévitablement, au bout d'un certain temps de trajet, Rayan a fini par s'intéresser notre voisin tout rouge. Par s'intéresser j'entends bien sûr qu'il l'a alpagué, ce qui m'a fait me sentir un peu coupable. Je venais en effet d'avouer en baissant les yeux que non, je ne connaissais pas Khalil, le vendeur de vêtements streetware de la rue Chapelouve. Je n'avais même pas la moindre idée d'où pouvait bien se trouver cette boutique. Ni cette rue. Je ne sais pas non plus comme ça s'écrit, maintenant que j'y pense.

Déçu par mon manque de maîtrise d'un quartier où, tout de même, j'avais épousé sa sœur dans une autre vie, Ray s'est logiquement rabattu sur le nouveau venu, ce qui n'a pas été pour me rassurer. Il était en effet assez difficile de déterminer si celui-ci était un véritable électeur du FN, ou un simple syndicaliste de SUD déguisé pour une obscure raison. On ne dit pas assez à quel point de loin, l'un et l'autre se ressemblent. Toujours est-il qu'avec lui, la discussion a immédiatement basculé. En quelques instants et sans même l'avoir prémédité, nous en étions à parler du monde qui va mal et la France, encore plus, Rayan approuvant opiniâtrement du chef alors que cinq minutes plus tôt, il m'expliquait que nous n'étions pas si mal dans ce pays désormais de merde. On le dit peu, mais les Blancs se plaignent tout de même beaucoup plus que les Blacks. On reproche beaucoup aux immigrés de ne pas essayer de s'intégrer et ne pas aimer la France, pourtant moi qui vit dans un quartier où il n'y a que cela, j'en connais surtout qui sont assez contents de leur sort. Par contre, qu'est-ce que je connais comme Blancs aigris passant leur temps à pleurer sur leur existence – rejetons difformes de quelque Zemmour ou simples mecs tout rouges dans des TER hoquetant. Pis, ces gens ont la capacité – Rayan en constituait la preuve par l'absurde – de contaminer toute personne se situant dans un périmètre de la taille d'un wagon, vomissant leur dialectique décliniste labellisée Vu à la télé. C'était triste, même si Gars-rouge n'était pas le type le plus désagréable que j'avais croisé cette semaine. Il avait au moins un certain talent pour captiver l'assistance, bien que je n'aie pas été certain que mon compagnon et moi l'étions pour des raisons similaires. Très intéressé, Ray osa même finalement poser la question qui fâche : Mais alors : c'est quoi la solution ? Je dis « qui fâche » car moi, cela m'aurait fâché. Le mec rougeot, lui, ne s'est pas le moins du monde démonté.

— La solution ? J'vais te dire : moi, j'l'a connais, la solution. Mais tout le monde partage pas mon avis. Et j'pense malheureusement qu'si plus de gens pensaient comme moi, on aurait vachement moins de problèmes.

Je m'attendais à ce qu'il se mette à crier Le Pen ! Vite ! Mais non. Il s'est contenté de plonger la main dans son sac pour aller y chercher ce que je supposais être la solution. On s'est regardé avec Rayan, craignant le pire. C'est fou comme l'image d'un type rougeot et énervé plongeant une main dans son sac a quelque chose d'inquiétant, quand on y pense.

La solution, la voilà !

Une bombe ? Un couteau à cran d'arrêt ? Un tract du FN ? Une invitation à une soirée costumée par organisée par SUD Rail ? Point du tout. Gars-rouge nous a tout bêtement tendu sa... Bible. J'ai eu du mal à retenir de rire et, en tant que croyant, je m'en suis un peu voulu après coup. Peut-être que je ne suis pas un vrai croyant, puisque je ne crois pas que les Saintes Écritures recèlent un secret permettant de sauver mon existence. Vrai aussi, que, dernièrement, j'ai été bien malgré moi rattrapé par la science. Rayan, en tout cas, a pris ça le plus sérieusement du monde. Histoire d'apporter un contre-poids à l'élan de prosélytisme de notre voisin, il s'est mis à nous expliquer sa conception de l'Islam – dont on avait pourtant bien compris, au bout de trois 8°6, qu'elle était relativement libérale. Et si la vraie, la seule solution aux guerres de religions était tout simplement le bar-PMU ? Soudain, les adversaires d'hier étaient d'accord – même si l'on voyait bien que le type rougeot trouvait Ray un peu exotique et qu'au fond de lui, il aurait bien aimé en profiter pour l'évangéliser. Poussé par une volonté somme toute normale chez tout blanc-rouge catholique qui se respecte, il casait de fait, depuis quelques instants, plein de grands mots histoire de bien montrer qu'il connaissait son sujet. Communément, tu vois, on appelle ça un pharisien. On ne pouvait d'ailleurs lui enlever sa parfaite définition du terme Pharisien. Mes doutes pesaient plus sur son utilisation un chouïa abusive de l'adverbe Communément. Étant entendu qu'il s’agissait de mon côté tatillon, Gars-rouge ne s'est pas privé pour ignorer mon haussement de sourcils et exposer sa conception de la religion, très libérale également (nous étions tous de grands libéraux, en même temps tout le monde n'a-t-il pas l'air un peu rebelle et libéral accroupi sur son sac de voyage entre deux wagons SNCF ?) :

— Non mais tu sais pourquoi, en fait, il y a plein de religions qui s'tirent la bourre ?

On aura noté qu'à moi, il ne parlait plus depuis un petit moment déjà. J'étais juste le Pharisien de service géographiquement coincé au milieu de leur discussion théologique. La question s'adressait à Rayan, qui a pris le temps de réfléchir une minute, s'accordant sont plus long silence depuis une heure et demi que le train était parti. Trouvant sans doute le délai trop long (on voyait qu'il était monté en cours de route), Gars-rouge a entrepris de répondre lui-même – et pour cause puisque Ryan ne pouvait tout simplement pas connaître La Réponse-avec-un-R :

— J't'explique : en fait, il faut lire ça (tapote sa Bible) pour le comprendre.
— Aaaaah.
— Faut r'monter aux origines. Au départ tu vois, c'est un peu... comment dire ? Alors tu vois, quand tu vas au restaurant : tu peux choisir le m'nu ou bien tu peux prendre à la carte. Et tu sais c'que c'est la différence ?
— Le prix !
— Oui, le prix mais surtout : tu prends pas c'que tu veux. Si tu prends le m'nu, tu prends ce qu'il y a au m'nu, tu vois ? Alors que si tu prends à la carte................... (+ encore plein de points de suspensions mystérieux) …....... là par contre : tu choisis toi-même. Tu fais ton propre m'nu, tu comprends ?
— Bah non. Tu choisis parmi ce qu'on a mis à la carte...

J'avoue : j'ai ri. Au Diable la politesse.

— Oui. Enfin tu comprends c'que j'veux dire.
— Ouais, bien sûr.

Moi par contre, je n'ai rien compris du tout et n'aurai sans doute jamais le loisir de comprendre : notre train est arrivé en gare pile à ce moment-là. De digression en digression, je n'ai jamais su pourquoi la métaphore du restaurant expliquait la multiplicité des religions. Et c'est dommage, car je suis sûr qu'on tenait un truc.

The Sunny Sunday Sunalee Show #1

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Après vingt-et-une semaines de bons et loyaux services, il était plus que temps pour la rubrique Golbeur en séries de prendre des vacances bien méritées. Pour autant, pas question d'abandonner les lecteurs du Golb durant cet été au temps improbable et nouveautés peu émoustillantes : le Golbeur en séries a décidé de vous confier au bon de son petit cousin taquin et bronzé, le Sunny Sunday Sunalee Show (nommé d'après qui vous savez), avec qui il partage de nombreux traits familiers (souvent, même, on les prend pour des frères). Bref : la rubrique change temporairement de nom et un tout petit de structure, sera plus ponctuellement d'ici la rentrée et fera la belle aux rattrapages et aux vieilleries. Je suis d'accord, cela ne méritait pas franchement une si longue intro, mais vous savez comme je suis...

Elle n'était pas si mal, la petite fête des 10 ans du Golb...

C'EST CHAUD ! (mais en fait, pas tant que ça)

OUTCAST Avouez-le, vous vous demandiez pourquoi après quatre semaines je ne vous avais toujours pas parlé de la nouvelle série top-maxi-évènement de Robert Kirkman, inspirée des comics top-maxi-cultes du même Robert Kirkman. J'en déduis donc que vous attendez mon avis pour regarder, sans quoi vous auriez aisément compris mon silence : après quatre épisodes, il ne s'est quasiment rien passé, si ce n'est que Kirkman a déjà battu le record de lenteur des moments les plus mous du cul de Walking Dead. Pire, après une entrée en matière très glauque et oppressante, la tension paraît être retombée et seule la grisaille prédomine désormais. Il y a pourtant de l'idée, convenons-en, dans cette volonté de traiter le sujet de l'exorcisme à travers la solitude d'un homme que ses pouvoirs ont transformé en marginal, rejeté tant par les croyants (qui voient en lui une personne attirant les démons) que par les athées (qui le considèrent comme un type dangereux et violent brutalisant femmes et enfants). Le problème c'est ce que si cela composait un excellent sujet de pilote (et encore ledit pilote ne dépassait-il jamais le niveau de pas mal), faire reposer toute l'intrigue là-dessus paraît plus risqué qu'ambitieux. Bingo : chaque épisode s'est pour le moment avéré un peu plus emmerdant que le précédent, sachant que dès le premier, on bâillait un peu par moments.

PENNY DREADFUL (saison 3) Pitoyable. C'est le seul mot qui vienne à l'esprit pour qualifier un double épisode qui serait déjà bien bidon s'il n'était qu'un season finale, mais qui en l'occurrence s'avère conclure l'ensemble de la série. Il paraît que c'était prévu - rien que de l'écrire, on rit méchamment. Les scénaristes avaient donc prévu (si si, promis) (mais sans le dire à personne avant, hein) de finir par un double épisode dans lequel leur héroïne n'apparaît quasiment pas, qui part dans tous les sens, ne propose aucune résolution satisfaisante aux différents conflits et ne se fatigue même pas à raccorder entre elles les intrigues totalement éclatées de cette saison précise. On y croit trop méga GRAVE. Et pourquoi pas terminer sur une tarte dans la gueule d'Eva Green, tant qu'ils y sont ?

Useless Character Detected

ZOO (saison 2) S'il est toujours difficile d'expliquer pourquoi on n'arrive pas à s'empêcher d'aimer une mauvaise série, il l'est encore plus d'expliquer pourquoi on en vient à cesser de l'aimer. L’œil moyen, lui, verra toujours la même chose - peut-être d'ailleurs devrais-je m'abstenir d'évoquer le sujet, qui n'intéresse a priori personne. Zooétait, l'été dernier, une série vraiment sympathique. Mauvaise, hein. Très mal jouée par tout le monde, rarement bien écrite, mais résolument fun et impossible à prendre au sérieux (pensez donc qu'il s'agit de la seule série de toute l’histoire de la télé américaine où le monde va être sauvé non par le FBI, non par la CIA, non par la NSA… mais par notre DGSE nationale). Le simple fait qu'elle ait été prolongée avait quelque chose de si invraisemblable qu'on n'avait pas envie de lui taper dessus. Sauf qu'entre temps, et c'est dans le fond assez normal dans le cas d'une histoire de mutations génétiques, Zoo s'est métamorphosée en une série profondément, absolument et désespérément débile. Ce qu'elle n'était pas vraiment auparavant (on pourrait même arguer que son point de départ, comme son discours mollement écolo, donnait une vague - très vague - profondeur à son récit). Non seulement on n'a rien à foutre de voir des hommes mutants qui ressemblent à un mélange entre la Chose et les créatures de Wayward Pines (c'est vous dire où se place la référence), on veut juste des animaux qui font des trucs de oufs... mais en plus, tout cela se prend désormais terriblement au sérieux (il est vrai que comme toutes les vannes tombent à plat, ça n'aide pas trop à se détendre). Bref, cette reprise à la longueur indécente (1h20 !) était une véritable catastrophe, où l'on passait beaucoup trop de temps avec des humains au Q.I. atrophié et où l'on ne voyait vraiment pas assez d'animaux faisant de trucs de oufs (en plus, la moitié d'entre eux étaient numérisés, la série a donc perdu le seul truc qui lui donnait un petit cachet). La seule lueur d'espoir, c'est d'avoir entrevu James Wolk redessinant quelques expressions du psychopathe qu'il fut dans Mad Men (et des vautours plombiers, aussi, quand même). Pas assez pour avoir envie de continuer.

C'EST TIÈDE (mais goûtu)

SUPERNATURAL (saison 11) Il y a des séries dont tu te demandes pourquoi tu continues à les regarder alors qu'elle ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles ont pu être. Tu bougonnes. Tu as un peu honte. Tu prends du retard sur la diffusion. Et puis un beau matin, ou peut-être un soir, alors que tu ne t'y attends plus du tout, elles arrivent à te surprendre et te rappellent subitement pourquoi tu es encore là, après tout ce temps, après toutes ces déceptions. Les quatre derniers épisodes de cette onzième saison de Supernatural, c'était ça. Un mini-arc attendu depuis des lustres (celui de Dieu), inégal mais globalement à la hauteur des enjeux, notamment dans l'épisode qui l'amorce ("Don't Call Me Shurley", 11x20), le meilleur qu'ait livré la série depuis très, très longtemps. On pourra toujours reprocher quelques facilités scénaristiques, voire une chute un poil trop abrupte. Mais en vrai, c'était tout ce qu'on attendait, et cette résolution de l'intrigue autour des Ténèbres, anti-climatiques au possible, était plutôt bienvenue - peut-être même poétique (du moins, à l'échelle de Supernatural). Tu ne trouves pas qu'on dirait que c'est la fin de la série, a chuchoté ma femme à mes côtés. Elle avait raison (elle a souvent raison, enfin sauf quand c'est moi). Supernatural aurait pu s'arrêter là, sur cette chute qu'on ne voyait pas trop venir, avec une morale goguenarde sur l'importance d'aimer même les connards de sa famille, qui collait tout à fait à l'esprit des onze saisons venant de s'écouler. Ce ne sera pas le cas. Il y aura une douzième saison. Peut-être plus. Ce ne sera sans doute pas très bien (cette saison 11, en dépit de ses derniers épisodes, était assez médiocre, sans atteindre les abysses de la précédente). Mais là, pas de bol, je viens d'en reprendre au moins pour deux ans avant de songer à abandonner.

Bon. En vrai, ils ne sont pas en train de regarder Dieu, mais la photo m'a paru appropriée.

C'EST FROID(mais d'autant plus croquant)

BANANA Déjà caressée dans un précédent Golbeur en séries, Banana appartient à l'univers transmedia de Cucumber (et Tofu), dont elle consiste(rait) à composer une version plus jeune, dans un format vingt minutes que l'on imagine plus cool. En réalité, et Channel 4 ne s'y est pas trompée en s'interrogeant sur la possibilité de renouveler celle-ci et pas les autres, c'est surtout Cucumber qui compose la version lourdingue et mainstream de Banana. Car si le premier épisode de celle-ci est directement lié à l'intrigue principale de l'autoportrait de Russell T. Davies en vieux gay chiant comme un hétéro après son troisième mariage, elle prend rapidement son envol pour ne presque plus jamais se retourner vers son sa grande sœur. Ou comment une équipe de scénaristes jeunes s'affranchissent des gimmicks de Davies pour tenir la promesse qu'il n'arrivait pas de lui-même à honorer : une série les deux pieds dans son époque, qui parle avant tout d'amour, sous toutes ses formes, au travers de portraits simples, vifs,émusants en diable. Anthologie dont les histoires finissent toujours par se recouper et dont les protagonistes se connaissent sans se connaître, Banana s'offre même de vrais moments de virtuosité, lorsqu'il s'agit par exemple de faire basculer ces tranches de vies en leur milieu pour prendre le spectateur à revers sans jamais perdre en crédibilité. Voir l'épisode 4, à la fois très beau et très dur, où la spirale de violence qui paraît s'enclencher est arrêtée net par un sursaut d'humanité, de tendresse, de douceur. A l'heure actuelle, la question d'une suite n'a semble-t-il pas encore été tranchée, mais en ce qui concerne Le Golb, le choix serait vite fait.

4 MINUTES AU MICRO-ONDES 750W

LAW & ORDER UK Il y a six ans, je me suis attaqué à une longue, palpitante et absolument inutile rétrospective de Law & Order, pour mon unique et pervers plaisir, puisque cela ne déboucha sur aucun article ici. J'ai d'abord revu tout SVU (11 saisons à l'époque), puis me suis farci tout CI (10 saisons, 195 épisodes), puis ai attaqué la série mère (20 saisons, 456 épisodes) en alternant avec les éphémères sisters shows Los Angeles et Trial by Jury. En 2015, la mission fut enfin accomplie : j'avais vu tout Law & Order deux fois. Je pouvais enfin m'attaquer à autre chose (revoir tout Doctor Who depuis 1963 pour la deuxième cette décennie, entamer une intégrale Bonanza ou juste m'imposer des nuits de sommeil de plus de cinq heures). Sauf que j'avais malheureusement développé une sévère addiction à l'univers dickwolfien, ce qui m'a contraint à m'attaquer à sa franchise Chicago, puis l'abandonner (c'est nul, putain !) et me tourner vers le dernier rempart avant d’acheter une intégrale DVD de Perry Mason : Law & Order UK, que j'ai joyeusement attaquée en son milieu, puisque je ne trouvais pas les premières saisons. J'ignorais à l'époque qu'il s'agissait en fait d'un simple remake, et vu le nombre d'épisodes de L&O que je venais d'avaler avec plus ou moins d'attention, on m'excusera de ne pas m'en être aperçu immédiatement. On est loin, heureusement, de l'affreux Paris Enquêtes Criminelles français (que j'ai testé, hein, parce que je suis un vrai fou, comme dirait Pat' Evra. Mais vite abandonné parce que... dois-je donner une explication, d'ailleurs ?) Les Anglais étant des gens de goût, ils choisissent d'adapter la série matrice, et non le médiocre L&O : Criminal Intent (qui n'est lui-même, rappelons-le, qu'un remake à peine déguisé de Columbo). Ensuite, et c’est sûrement la meilleure nouvelle, il n’y a pas Vincent Pérez dedans. Enfin, c’est du boulot chiadé, sobre et efficace à tout niveau, qui fait honneur à la franchise et qui, en terme de réalisaton, de casting, d'écriture... est même assez nettement au-dessus des dernières tentatives de Wolf de ressusciter son univers agonisant (Los Angeles, soyons francs, était une vraie grosse daube n'ayant trouvé un semblant d'âme que dans sa dernière droite, après parachutage de l'excellente Alana de la Garza depuis la série-mère). Ici, l'adaptation est suffisamment soignée pour que l'aspect remake, lorsqu'on le décèle, soit très dilué (les trames générales des épisodes ont beau être globalement les mêmes, tout le reste a été réécrit). Et si j'ai dans un premier temps failli m'évanouir en constant que ces tarés de Britanniques avaient changé le générique de Mike Post, je dois bien avouer que celui de L&O UK, quoique (beaucoup) plus emphatique et pomper, colle parfaitement à son ambiance. Bref, c'est super chouette, malheureusement avec seulement huit fois six épisodes, ça ne risque pas de m'occuper très longtemps (j'ai déjà vu, dans un ordre pour le moins curieux, les saisons 4, 5, 6, 1 et 2). C'est pour quand, ce reboot du vrai L&O, déjà ?

Couleur locale !

Adieu ! veaux, vaches, cochons et diodes !

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Inutile de régler votre mire : dans les jours qui viennent les fameuses... que dis-je ? Les légendaires diodes du Golb vont progressivement disparaître. Un évènement considérable et potentiellement polémique que le gouvernement du Golb entend bien faire discrètement passer tandis que tout le monde s'excitera sur la finale de l'Euro. Ce, bien évidemment, sans le plus petit début de vote ou de consultation populaire.

Seuls les habitués les plus anciens, désormais très vieux et rabougris, se rappellent d'un Golb sans les indispensables diodes bricolées par le tout aussi indispensable Mr. Kiki. Il fut un temps, lointain, où les notes s'écrivaient ici en chiffre, avec des décimales plus ou moins farfelues, principalement parce qu'en ces temps antédiluviens, votre serviteur ne savait à peu près rien faire de son clavier (vous n'êtes pas obligés de le croire, ce n'est peut-être qu'une légende : les Anciens racontent qu'en cette époque reculée et obscurantiste, il n'y avait même pas d'images sur Le Golb !).

Si l'on en croit l’Évangile selon Saint Zippo, les premières diodes seraient apparues aux alentours de l'hiver 2008, peu après ce que le texte sacré nomme avec crainte La Controverse de Monsieur Patate1. Elles vécurent une longue vie, sur fond blanc puis gris, jusqu'à finir usées, inadaptées au look du site depuis de nombreuses années mais trop symboliques pour être changées (et puis regardons les choses : avec plus de 3000 articles, ça faisait un sacré chantier de tout chambouler, il me fallait un temps de réparation psychologique). Jusqu'à ce jour, donc.

Bref : ces derniers mois, les diodes me devenaient de plus en plus insupportables. Outre qu'elles étaient moches et peu lisibles depuis le passage au fond gris en... 2009 (j'ai vraiment mis du temps à m'en séparer), elles commençaient à bouffer un espace de stockage non négligeable sur le site. Par quoi seront-elles remplacées ? Vous le découvrirez rapidement (avec un peu de chance, le module des articles en vrac vous a déjà sorti quelques unes des archives sur lesquelles la nouvelle formule a été testée). Le résultat, qui sera accompagné d'une refonte du barème, ne plaira peut-être pas à certains habitués : il est connu et établi que les gens n'aiment pas le changement. Tout cela finira peut-être en groupe Facebook ou en pétition sur change.org - dans une époque où les gens sont prêts à se battre pour sauver leur ticket de métro, leur vieille voiture qui pue ou leur petite fierté départementale, il faut savoir s'attendre à tout. Mais le gouvernement du Golb ne pliera pas, même si tous les détenteurs de Golb Cards descendent dans la rue (en même temps, il sont à peine dix).

Adieux les diodes, vous allez quand même un peu me manquer.



1.Chapitre 19, verset 32 :"Suite à cette chronique révélant ses problèmes pileux, Le Grand Golbeur s'enthousiasma de se voir représenté par Saint Kiki sous la forme d'un sympathique Monsieur Patate. Il lui confia son rêve secret : remplacer les notes par un petit bonhomme avec plein d'expressions différentes. Saint Kiki ne tarda pas à lui proposer quelques exemples. Les deux prophètes rirent beaucoup mais, malheureusement, ils furent bien les seuls. Se sentant moqué, prétendant contre toute évidence que Le Golb était un lieu de culte sérieux, le peuple menaça de se soulever et une solution de repli fut rapidement adoptée : des diodes, ou quelque chose de cette sorte."

Nice Guys Finish Last

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Le football n'est pas un sport de gentlemen. On l'a assez dit ici (et ailleurs). Il ne l'a jamais été et ne le sera jamais, même ripoliné par les millions, Coca Cola et Electronic Arts. Même commenté par Nelson Monfort dans des stades uniquement peuplés de VIP, il conserverait cette violence sous-jacente, continuerait de glorifier les pires canailles. Il ne sait pas faire autrement. Est-ce que Guardiola et ses grands principes, ses dogmes positivistes, son apologie de l'humilité et du fair-play, ont changé le football malgré des années de domination idéologique tant sur le jeu que sur ceux qui le commentaient ? Que dalle : Guardiola avait bâti son Barça sur Busquets, l'une des plus géniales pourritures dont ait jamais accouchées ce sport. Bien habillés et souriants devant les caméras, sous les spotligthts de la FIFA pour recevoir leurs douze mille distinctions, les joueurs de Pep félicitaient leurs adversaires mais, sur le terrain, ils connaissaient tout aux fondamentaux. Simulations au moindre contact, fautes tactiques, passe à dix lorsqu'ils menaient au score (c'est-à-dire à peu près tout le temps). On dit souvent, et à juste titre, que le football est imperméable au concept de beautiful losers. Mais dans le fond, il est tout aussi imperméable à celui de beautiful winners. Les gentlemen n'ont pas leur place dans un jeu où tout peut se décider sur une seule action involontaire.

Le football n'est pas un sport de gentlemen, donc, et pourtant parfois, on se surprendrait presque à le rêver. Il y a plein de manières de perdre et plein d'adversaires susceptibles de vous rappeler le goût de la défaite, mais certains vous la font passer plus doucement que d'autres. Confusément, on aurait sans doute préféré perdre quelques jours plus tôt contre Özil (l'homme qui écrit des tweets si élégants), contre Khedira (le numéro 6 le plus classe du monde), contre Boateng (le Teuton le plus sympa de l'univers depuis Derrick). On aurait plus volontiers accepté que notre Dédé national (pourtant loin d'être un gentleman, c'est là que ça devient drôle) se prenne une déculottée tactique par le grand Joachim Löw (ou par Conte, ou par Del Bosque et sa bonhommie de grand-père philosophe) plutôt que par ce Fernando Santos plus ou moins sorti de nulle part, qui nous aura irrité durant tout le match. On a beau savoir qu'en vrai, le foot ressemble plus souvent à la filouterie de João Mário qu'à la conduite aristocratique de Payet, dans la défaite, on a bizarrement plus de mal à l'accepter que dans la victoire. J'imagine que c'est humain.

Balayons d'un revers de main les reproches qui en quelques semaines sont devenus presque corolaires de toute évocation de nos désormais Champions d'Europe : non, cette Équipe du Portugal n'était pas une mauvaise équipe. Ce n'était peut-être pas la meilleure de la compétition, encore que ce titre soit éminemment subjectif, et l'on pourra toujours ergoter sur le concept de meilleur troisième (qui en gâta d'autres par le passé, sans ternir leurs victoires aux yeux de l'histoire). Mais ce n'était pas ce football dégueulasse qu'ont essayé de nous vendre les commentateurs du dimanche – les mêmes qui se félicitaient encore trois jours avant de la manière dont les Bleus avaient fait déjouer l'Allemagne (rappelons que l'utilisation barbariste du verbe déjouer dans le contexte d'un match de foot signifie rarement – jamais – que le onze concerné a envoyé du rêve). Le Portugal était (beaucoup) mieux organisé, Santos a assuré un meilleur coaching – la victoire ne souffre aucune contestation. En revanche, et c'est peut-être ce qui rend la défaite si amère, il s'agit d'une équipe profondément antipathique. À l'image de sa star de capitaine, ce gros beauf bling bling et over-narcissique qui, tout meilleur joueur du monde qu'il soit, représente à peu près tout ce que n'importe qui ayant trois sous de sens esthétique déteste dans tout domaine autre que le football. Perdre sur un but d'Eder, ce n'est pas pareil que s'incliner sur une passe lumineuse d'Iniesta. Perdre contre des personnages aussi déplaisants que Nani, Quaresma, João Mário, Cédric ou Pepe (immense joueur au demeurant, qui semble presque chaleureux comparé aux autres), ça laisse un drôle de goût dans la bouche. Nous, on voulait bien perdre contre le Portugal – pas de problème. Mais seulement celui de Rui Costa. De Figo, de Deco, de Pauleta. Même de Fernado Couto ! Mais non : eux, c'étaient les beautiful losers. Du moins l'auraient-ils été si ce concept avaient eu le moindre sens appliqué au football. Depuis cette époque pas si lointaine, le Portugal a retenu la leçon. Ces joueurs-là, dans ce qu'ils dégagent, n'ont rien à voir avec ceux que les Bleus adoraient sadiser depuis plus de trente ans. Avant, les mecs venaient du pays d'Eusébio. Aujourd'hui, ils viennent du pays de Mourinho. Presque tout le match de dimanche tient là-dedans.


Parce qu'il faut le dire à nos amis commentateurs, même si ça fait un peu mal de l'admettre. Quand bien même le concept de beautiful losers serait-il applicable au football que ces Bleus-là n'en seraient pas moins des losers – tout court. Un beautiful loser, du moins l'idée que je m'en fais puisque je n'en ai jamais vu sur un terrain de foot, se fait remonter à la dernière seconde des prolongations et perd aux tirs aux buts. Ou bien réussit un parcours extraordinaire pour être défait sur une injustice criante ou à la suite d'un retournement de situation totalement irrationnel. Rien qui s'approche de cette finale où l’Équipe de France n'a jamais semblé en mesure de l'emporter dans le temps réglementaire. Quand tu tapes le poteau, tu tapes le poteau : ce n'est pas un coup du sort, juste une frappe non-cadrée. Il n'y a rien de beautifulà sortir le meilleur passeur (en terme de qualité) et le meilleur tireur de coups de pieds arrêtés si tôt dans un match aussi tendu, obligeant ainsi ton meilleur buteur (en stats) à les tirer lui-même – et l'empêchant donc par conséquent de les reprendre pour les mettre au fond. Il n'y a rien de beautifulà faire un remplacement poste pour poste à un moment où, dans un match totalement verrouillé, tout impose une réorganisation tactique (ce que les Portugais ont su faire. Eux.), avec pourquoi pas l'entrée de quelqu'un capable de jouer long et de marquer de loin – puisqu'il est si compliqué d'arriver à l'intérieur de la surface. Les gens qui pensent sincèrement que les Bleus étaient "meilleurs" avaient dû un peu trop picoler en attendant le coup d'envoi. Les Portugais avaient tout ce qu'il fallait pour aller au bout, et ce qu'ils n'avaient pas, ils ont été le puiser dans leurs tripes. C'est ironique car avant le début de la compétition, nous étions quelques uns à déplorer que cette Équipe de France, si sympathique sur le papier, manque cruellement de grinta, de vice, de... Diarra, en fait (et encore, on se disait déjà ça quand il était là). Une chose en amenant une autre, ces joueurs tout gentils et tout lisses ont réussi la prouesse de nous le faire oublier, en remontant des scores au courage, en battant l'Allemagne d'une manière remarquablement simeonesque. On ne se rappelait déjà presque plus qu'il s'agissait d'une équipe dont le désormais ex-attaquant vedette se vantait encore, il y a quelques mois, de n'avoir jamais pris de carton rouge dans sa carrière professionnelle, comme si cela devait nous indiquer quelque chose quant à son talent ou sa valeur (João Mário, le meilleur portugais sur le terrain dimanche, est le joueur qui a commis le plus de fautes durant la compétition. Surprenant ? Pas trop, non). Peut-être parce que nous sommes le seul pays de football au monde à croire en cette mythologie des beautifuls losers (merci Sainté), on en oublierait presque que notre période dorée était emmenée par des ugly winners, qui ne crachaient jamais sur une petite simulation ici ou là (les Portugais s'en souviennent d'ailleurs encore avec amertume). Mis à part les Français et les supporters du Milan, il est probable que personne n'ait jamais trouvé Marcel Desailly sympathique. Les Deschamps, Karembeu et même Zidane étaient des joueurs assez "virils", pour reprendre l'expression consacrée, qui savaient coller un taquet sans se faire prendre et n'oubliaient jamais dans le cas contraire d'aller mettre un bon coup de pression sur l'arbitre. Rien de tel dans l'équipe du mignon Kanté ou du gentil Sagna. En France, on est plutôt du genre à féliciter les mecs qui défendent debout – oubliant que ceux qui brandissent les trophées à la fin ont rarement le short immaculé. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que cette équipe si naïve (quoique moins qu'il y a deux ans) soit celle de... Deschamps, le plus bourrin de tous nos grands joueurs, jusque dans sa tronche ou son nom de famille. L'un des moments qui m'aura le plus marqué durant cette finale n'a pas eu lieu sur le terrain, mais au micro : alors qu'un Bleu (Coman ?) venait s'empaler pour la énième fois sur Pepe, Jean-Marc Ferreri se rappelait soudain qu'il avait été un bien meilleur joueur que commentateur et s'écriait, probablement sans même y penser : "Mais non ! Mais il fallait plonger, là !!!" Tout était dit, au pays de gens tellement occupés à s'indigner de la main (culottée) d'Eder qu'un quart d'entre eux a probablement loupé le but une minute plus tard. Cette équipe portugaise est profondément antipathique, oui. Mais c'est peut-être bien pour cela qu'elle a gagné. À quelques raisons mystiques près.


Le football a ceci de particulier par rapport à tous les autres sports qu'il est assez réfractaire à l'idée de "mérite". Je ne vous ressors pas ce bon vieux lieu commun voulant que ce soit la seule discipline où le plus faible peut triompher du plus fort (même si c'est vrai). Le meilleur moyen de repérer quelqu'un qui n'y connaît rien est souvent de simplement tendre l'oreille, en attendant qu'il s'exclame que Machin ou Bidule méritait de gagnait. Ce n'est pas que ce principe soit totalement absent de la dialectique footballistique ; disons plutôt qu'il doit subir une certaine réécriture afin d'être correctement appliqué à celle-ci. Il y a de grandes chances que l'athlète remportant la Médaille d'Or ait été celui qui a le mieux couru, qui s'est le mieux entraîné ou qui avait le plus de talent. À la rigueur, un des deux ou trois pouvant entrer dans cette catégorie. En football, c'est un non-sens. C'est d'ailleurs pour cela qu'on l'aime infiniment plus que tous les autres sports. À cette obscure notion de mérite, il préfèrera toujours la force du symbole. La mythologie, si ce n'est la mystique. Dans le pire des cas, faute de mieux, il jettera son dévolu sur les grandes histoires. Les Portugais qui emportent leur premier titre avec leur génération la plus faible depuis trente ans, en passant meilleurs troisièmes, au terme d'une finale contre leur bête noire durant laquelle leur icône se blesse, et où ils sont sauvés par un type dont personne ne comprenait la sélection il y a encore un mois – le tout entraîné par un gars qui il y a deux ans encore dirigeait la... Grèce... voilà une histoire de football presque quintessencielle. Tous les ingrédients sont réunis pour que les fans portugais en parlent encore dans cinquante ans. Cela ne signifierait rien dans un autre sport mais, dans celui-ci, cela constitue presque, en soi, un mérite à part entière – quand j'entendais hier je ne sais plus quel abruti de l’Équipe 21 déclarer que la victoire du Portugal était une défaite pour le football, je me suis dit que ce type devrait être immédiatement licencié pour faute lourde. Quelle aurait été notre histoire, si la France avait gagné cette finale qui pour beaucoup était jouée d'avance ? Aurions-nous vraiment eu une histoire ? Aurions-nous réellement gardé gravée dans notre mémoire l'image de l'excellent-mais-fade-Lloris brandissant la coupe ? Quelqu'un a-t-il jamais réussi à imaginer ce gentleman de Lloris brandissant une coupe, quelle qu'elle soit ? Peut-être bien que nous aurions dû nous douter de quelque chose.


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