...
[Taux de spoil : 20 %] Rick, Carl et Michonne sont dansun bateau une voiture. La route est déserte. Un type sort de nulle part, des bois je crois - on s'en fout. On s'en fout parce qu'il les hèlera et qu'eux ne ralentiront même pas. Quelques kilomètres plus loin, il parviendra à les rattraper alors que leur véhicule s'est embourbé. Sans un regard, ils redémarreront. Le type sera réduit à un tas de chair purulente lorsqu'il repasseront à cet endroit sur le chemin du retour. Cela ne les émouvra pas plus que cela, mais ils n'oublieront pas de s'arrêter pour récupérer son sac à dos.
Ces trois courtes scènes extraites de l'épisode "Clear" (3x12) ne doivent guère excéder les cinq minutes mises bout à bout ; elles suffisent pourtant à dire, mieux que des dizaines d'articles et des heures de conversation, le chemin parcouru en l'espace de trois saisons - tant par les héros The Walking Dead que par la série elle-même.
Toute la démarche de The Walking Dead, ses atouts comme ses - de plus en plus rares - faiblesses peut sans doute tenir dans la manière dont sa troisième saison traite le personnage du Gouverneur. L'être terrifiant de la BD, dont la nature monstrueuse est évidente dès la première case, a été remplacée par un individu plus charmeur, plus ambivalent, plus complexe, qui préfère la manipulation subtile au règne de la terreur. Certains fans se sont étranglés en voyant cela : une preuve parmi d'autre que la version télé sera décidément toujours petit bras par rapport à son homonyme papier. On peut les comprendre, mais c'est confondre une erreur (critiquable) et un parti pris (discutable) ; le problème n'est nullement que le Gouverneur apparaisse plus humain voire attachant, car le Gouverneur tel qu'on le connaissait jusqu'ici était sans doute un personnage beaucoup trop grossier et caricatural pour être transposé littéralement. Même un chef-d’œuvre comme The Walking Dead (et particulièrement cette époque de Walking Dead) ne peut s'élever au-delà des limites techniques du genre auquel il appartient, et ce qui est parfaitement acceptable pour un lecteur de comics ne serait pas du tout reçu de la même manière pour un spectateur de télé. Le problème de ce traitement, dans l'absolu assez inspiré, c'est plutôt que les scénaristes n'en font rien : dès le première épisode où il apparaît, sa nature sociopathe éclate au grand jour, ce qui fait que les ambiguïtés auront été préservées pour finalement bien peu de choses.
Toute la saison trois de The Walking Dead, disais-je, tient donc là-dedans. Les nombreuses libertés prises avec l’œuvre originale sont souvent justifiées et aisément défendables, mais elles n'aboutissent pas toujours à des résultats passionnants, souvent faute de pouvoir s'enfoncer dans l'horreur avec la même liberté et la même radicalité que lorsque c'est Charlie Adlard qui dessine - ce que dans le fond on ne peut pas vraiment reprocher à cette version télé (ce n'est après tout que de la... télé). La période Woodbury, supposée se terminer en apocalypse, aura pu paraître parfois un peu tendre, avec des méchants bien mignons, des zombies auxquels on coupe les quenottes durant les spectaculaires combat à mort, et un ignoble méchant qui, plus inquiétant que terrifiant, préfère brutaliser la jolie poupée à tête de victime plutôt que de torturer et violer l'héroïne supposément indestructible. Woodbury, dans l’œuvre originale, consiste en six tomes suffocants dans lesquels les valeurs sont renversées en permanence. Plus les héros se croient en sécurité, plus ils tombent comme des mouches. Réfugiés dans une prison devenue synonyme d'espoir, il trouvent une forme de paix mais ne réalisent que tardivement que l'enfermement est en train de les détruire psychologiquement (pulsions diverses, suicides en série... toutes choses absolument absentes de l'adaptation1).
Et pourtant : c'est bien. Très bien, même. A défaut de réellement s'élever à la hauteur de son modèle, ce qui est de toute façon devenu impossible après d'aussi longues hésitations, The Walking Dead a trouvé sa voix... ou plutôt l'a perdue, puisque l'une de ses principales initiatives de cette saison aura été de redonner leur place aux silences (voir le formidable épisode inaugural, probablement l'une des choses les plus enthousiasmantes de la dernière rentrée). Conscients de l'importance de la dimension psychologique dans leur récit, les scénaristes ont parachevé les derniers réglages entamés en saison deux : ils ont enfin cesser de poser leurs personnages dans un coin et de les laisser se bouffer le nez comme s'ils étaient dans une cour d'école. Rick Grimes est redevenu lui-même (c'est-à-dire un type franchement malsain n'ayant du proverbial cowboy que le chapeau... et encore, même plus), tandis que ses petits camarades de jeu ont tous suffisamment gagné en épaisseur pour qu'à moins d'une incroyable mauvaise foi ou d'un effondrement subite, ils ne soient plus jamais nominés aux WGTC Drawas (la mort de l'insupportable Lori et de l'inutile T-Dog2 faisant office de derniers ajustements). Tout ceci fait et bien fait, The Walking Dead peut enfin devenir ce qu'elle aurait dû être dès le départ (et fut d'ailleurs brièvement, le temps de ses deux ou trois premiers épisodes) : une série réduite à l'os, tendue à l'extrême et d'un pessimisme finalement bien plus difficile à soutenir que des élans gores devenus rapidement aussi banals pour le spectateur qu'ils le sont pour nos héros. C'est d'ailleurs peut-être bien la dernière marche qui reste à gravir pour que la série puisse enfin prétendre à tous les podiums de fin d'année : qu'elle cesse de se reposer sur ses chers zombies3 et accepte une fois pour toute qu'ils ne sont que prétexte à une réflexion plus vaste - et autrement plus passionnante - sur la nature humaine, la solitude, l'individualisme ou encore la confiance. Elle l'a désormais compris, ce qui est en soi un progrès considérable après deux saisons à suivre des personnages aussi inconstants qu'imprudents, changeant d'avis plus souvent que de chemises (apocalypse oblige...) et aux psychés faiblardes entre deux morceaux de bravoure. Elle n'a plus qu'à entériner une fois pour toutes ce constat.
The Walking Dead (saison 3), créée par Frank Darabont, d'après l'oeuvre de Robert Kirman & Charlie Adlard (AMC, 2012-13)
1. Il est vrai, à la décharge des scénaristes, que le groupe qui s'installe dans la prison dans la BD est bien plus important que la petite bande de bras cassés de la série.
2.Sans déconner mais POURQUOI ont-ils inventé ce personnage de toute pièce, alors qu'ils n'ont jamais paru savoir qu'en faire ?
3.Détail révélateur de cette ultime faiblesse : la saison consacrée à la prison et à Woodbury aura été, dans la version télévisée, la plus riche en rebondissement et la plus surpeuplée en zombie, quand précisément, dans les comics, elle est l'un des premiers temps morts et contient même - si ma mémoire ne me trahit pas - le premier tome totalement exempt et d'attaques de zombies, et de morts tout court.
[Taux de spoil : 20 %] Rick, Carl et Michonne sont dans
Ces trois courtes scènes extraites de l'épisode "Clear" (3x12) ne doivent guère excéder les cinq minutes mises bout à bout ; elles suffisent pourtant à dire, mieux que des dizaines d'articles et des heures de conversation, le chemin parcouru en l'espace de trois saisons - tant par les héros The Walking Dead que par la série elle-même.
Toute la démarche de The Walking Dead, ses atouts comme ses - de plus en plus rares - faiblesses peut sans doute tenir dans la manière dont sa troisième saison traite le personnage du Gouverneur. L'être terrifiant de la BD, dont la nature monstrueuse est évidente dès la première case, a été remplacée par un individu plus charmeur, plus ambivalent, plus complexe, qui préfère la manipulation subtile au règne de la terreur. Certains fans se sont étranglés en voyant cela : une preuve parmi d'autre que la version télé sera décidément toujours petit bras par rapport à son homonyme papier. On peut les comprendre, mais c'est confondre une erreur (critiquable) et un parti pris (discutable) ; le problème n'est nullement que le Gouverneur apparaisse plus humain voire attachant, car le Gouverneur tel qu'on le connaissait jusqu'ici était sans doute un personnage beaucoup trop grossier et caricatural pour être transposé littéralement. Même un chef-d’œuvre comme The Walking Dead (et particulièrement cette époque de Walking Dead) ne peut s'élever au-delà des limites techniques du genre auquel il appartient, et ce qui est parfaitement acceptable pour un lecteur de comics ne serait pas du tout reçu de la même manière pour un spectateur de télé. Le problème de ce traitement, dans l'absolu assez inspiré, c'est plutôt que les scénaristes n'en font rien : dès le première épisode où il apparaît, sa nature sociopathe éclate au grand jour, ce qui fait que les ambiguïtés auront été préservées pour finalement bien peu de choses.
Toute la saison trois de The Walking Dead, disais-je, tient donc là-dedans. Les nombreuses libertés prises avec l’œuvre originale sont souvent justifiées et aisément défendables, mais elles n'aboutissent pas toujours à des résultats passionnants, souvent faute de pouvoir s'enfoncer dans l'horreur avec la même liberté et la même radicalité que lorsque c'est Charlie Adlard qui dessine - ce que dans le fond on ne peut pas vraiment reprocher à cette version télé (ce n'est après tout que de la... télé). La période Woodbury, supposée se terminer en apocalypse, aura pu paraître parfois un peu tendre, avec des méchants bien mignons, des zombies auxquels on coupe les quenottes durant les spectaculaires combat à mort, et un ignoble méchant qui, plus inquiétant que terrifiant, préfère brutaliser la jolie poupée à tête de victime plutôt que de torturer et violer l'héroïne supposément indestructible. Woodbury, dans l’œuvre originale, consiste en six tomes suffocants dans lesquels les valeurs sont renversées en permanence. Plus les héros se croient en sécurité, plus ils tombent comme des mouches. Réfugiés dans une prison devenue synonyme d'espoir, il trouvent une forme de paix mais ne réalisent que tardivement que l'enfermement est en train de les détruire psychologiquement (pulsions diverses, suicides en série... toutes choses absolument absentes de l'adaptation1).
Et pourtant : c'est bien. Très bien, même. A défaut de réellement s'élever à la hauteur de son modèle, ce qui est de toute façon devenu impossible après d'aussi longues hésitations, The Walking Dead a trouvé sa voix... ou plutôt l'a perdue, puisque l'une de ses principales initiatives de cette saison aura été de redonner leur place aux silences (voir le formidable épisode inaugural, probablement l'une des choses les plus enthousiasmantes de la dernière rentrée). Conscients de l'importance de la dimension psychologique dans leur récit, les scénaristes ont parachevé les derniers réglages entamés en saison deux : ils ont enfin cesser de poser leurs personnages dans un coin et de les laisser se bouffer le nez comme s'ils étaient dans une cour d'école. Rick Grimes est redevenu lui-même (c'est-à-dire un type franchement malsain n'ayant du proverbial cowboy que le chapeau... et encore, même plus), tandis que ses petits camarades de jeu ont tous suffisamment gagné en épaisseur pour qu'à moins d'une incroyable mauvaise foi ou d'un effondrement subite, ils ne soient plus jamais nominés aux WGTC Drawas (la mort de l'insupportable Lori et de l'inutile T-Dog2 faisant office de derniers ajustements). Tout ceci fait et bien fait, The Walking Dead peut enfin devenir ce qu'elle aurait dû être dès le départ (et fut d'ailleurs brièvement, le temps de ses deux ou trois premiers épisodes) : une série réduite à l'os, tendue à l'extrême et d'un pessimisme finalement bien plus difficile à soutenir que des élans gores devenus rapidement aussi banals pour le spectateur qu'ils le sont pour nos héros. C'est d'ailleurs peut-être bien la dernière marche qui reste à gravir pour que la série puisse enfin prétendre à tous les podiums de fin d'année : qu'elle cesse de se reposer sur ses chers zombies3 et accepte une fois pour toute qu'ils ne sont que prétexte à une réflexion plus vaste - et autrement plus passionnante - sur la nature humaine, la solitude, l'individualisme ou encore la confiance. Elle l'a désormais compris, ce qui est en soi un progrès considérable après deux saisons à suivre des personnages aussi inconstants qu'imprudents, changeant d'avis plus souvent que de chemises (apocalypse oblige...) et aux psychés faiblardes entre deux morceaux de bravoure. Elle n'a plus qu'à entériner une fois pour toutes ce constat.
The Walking Dead (saison 3), créée par Frank Darabont, d'après l'oeuvre de Robert Kirman & Charlie Adlard (AMC, 2012-13)
1. Il est vrai, à la décharge des scénaristes, que le groupe qui s'installe dans la prison dans la BD est bien plus important que la petite bande de bras cassés de la série.
2.Sans déconner mais POURQUOI ont-ils inventé ce personnage de toute pièce, alors qu'ils n'ont jamais paru savoir qu'en faire ?
3.Détail révélateur de cette ultime faiblesse : la saison consacrée à la prison et à Woodbury aura été, dans la version télévisée, la plus riche en rebondissement et la plus surpeuplée en zombie, quand précisément, dans les comics, elle est l'un des premiers temps morts et contient même - si ma mémoire ne me trahit pas - le premier tome totalement exempt et d'attaques de zombies, et de morts tout court.