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This Is Not My Bloody Valentine

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La nouvelle a véritablement fusé l'autre soir. Presque au sens littéral du verbe "fuser". Il a suffi de quelques minutes à peine pour qu'elle enflamme les réseaux sociaux, plus vite et plus fort encore que l'annonce, il y  a quelques semaines, du retour de Bowie. Je n'avais vu venir ni l'un ni l'autre. Je ne sais pas si quelqu'un l'avait vu venir, si le secret s'était déjà un peu éventé, ou bien si tout le monde l'a pris d'une manière aussi frontale, ouvrant Facebook un soir pour découvrir un message de My Bloody Valentine : "The album is now live on www.mybloodyvalentine.org". Pas un salut, rien. Juste la nouvelle, sèche coup un de trique. J'ai été le premier surpris par la simplicité et la candeur de ma réaction, comme par celles de milliers d'autres. L'espace de deux ou trois heures, je l'avoue, j'ai mis tout esprit critique en veilleuse et j'ai savouré, m'empressant d'écouter ce mbv dans une réaction spontanée, presque enfantine quelque part. Grégaire, même : le shérif est de retour en ville, allons vite voir. Tant pis si en fait Kevin Shields, dont il n'est pas question de remettre en cause le talent, n'a jamais été le shérif de nulle part. Ni même vaguement le patron de l'indie-rock de son temps que les moins de 20 ans, c'est une certitude dans ce cas précis, ne pourront jamais connaître. Encore moins le fameux Mozart du bruit que la presse a tellement aimé nous vendre, dans cette époque fort lointaine où elle avait encore assez de pouvoir et de crédibilité pour nous vendre quelque chose.


Ici, la chronique devrait basculer et se mettre à décortiquer l'album le plus attendu des deux dernières décennies, en grande partie parce qu'il n'arrivait jamais. Ce ne sera pas le cas. D'une part parce que My Bloody Valentine n'y révolutionne pas le rock pour la seconde fois en l'espace de vingt ans, ce dont à vrai dire tout le monde se doutait tous un peu. Et d'autre part car l'essentiel est ailleurs : cet album existe. Enfin pour beaucoup. Hélas, pour certains. Et alors ?, pour quelques autres. C'est cette existence, cette concrétisation de la dernière grande arlésienne du rock (même le Chinese Democracy des Guns... même Smile ont déjà fini par paraître), qui constitue l'évènement en soi. Bien plus fort, bien plus incroyable et bien plus troublant que tout ce que Kevin Shields pourra jamais graver sur un disque. Les plus jeunes lecteurs ne peuvent sans doute comprendre l'engouement violent que cette annonce a provoqué. Comment neuf petites chansons pop même pas toutes excellentes peuvent-elles provoquer un tel buzz ? Il faut se figurer que, lorsque j'étais au lycée, cet album était déjà en passe devenir une blague tant il était sans cesse avorté (à l'époque depuis seulement une poignée d'années). Retrouver My Bloody Valentine en 2013, c'est tomber dans une faille spatio-temporelle d'autant plus vertigineuse que mbv se veut la suite directe de Loveless, cet album fou, hors du temps, hors du monde. Et qu'il sonne aujourd'hui comme son exact contraire tant il plonge l'auditeur ayant connu cette époque dans un bain de nostalgie étrange et parfois un peu gratuite. On aimerait bien l'écouter pour ce qu'il est ; on sait bien dans le fond que l'on ne peut l'aborder que par ce qu'il représente.

Or, je n'aime pas ce qu'il représente. La qualité de certains morceaux ("Only Tomorrow", "New You" - au hasard) ne changera rien à l'affaire. J'ai beau le retourner dans tous les sens, je ne vois pas par quelle étrange opération de l'esprit je le pourrais. Avant toute autre chose parce que Shields et Butcher, comme tous les génies devenus vieux, se contentent désormais de jouer dans leur pré sans tenter de transcender un style immédiatement reconnaissable. Lovelessétait un manifeste bruitiste, pop, mégalo et génial jeté à la face du monde ; mbv est un album (parfois excellent) s'adressant en premier lieu et probablement uniquement aux fans de Loveless, ce qui n'est fondamentalement pas la même chose. La vérité, c'est que si le même album était sorti trois ou quatre ans après leur classique de 1991, il se serait fait allumer parce qu'il le singeait trop, quand quinze années de plus lui ont permis d'acquérir une immunité critique évidente : il est désormais un album providentiel, miraculeux, génial avant tout pour cette raison. On ne peut pas le dé-contextualiser. On ne peut pas l'approcher objectivement. En fait, comme l'a parfaitement écrit Fabrice Colin dans ce bref - mais très bon - billet, mbv est par essence quasiment impossible à chroniquer normalement. Mais ce n'est pas le seul "problème" que pose ce disque. Ce qui me dérange vraiment, c'est que non seulement Kevin Shields vient nous rappeler que nous avons vieilli (au cas où nous en aurions eu besoin), mais encore qu'il se croit autorisé à réécrire notre mémoire collective comme bon lui semble. La même problématique, dans le fond, que lorsque les Stooges se sont piqués de refaire un album : la question n'était pas tant celle de sa qualité que le fait d'effacer d'un-coup-d'un-seul l'un des fondements de la mythologie rock contemporaine, en déséquilibrant la trilogie la plus parfaite, irréprochable, inaltérable des années 70. Soudain, il n'y avait plus trois albums des Stooges, mais quatre. C'était un détail et pourtant, après cela, plus rien ne pouvait être pareil.


La problématique est démultipliée dans le cas de My Bloody Valentine, et pas uniquement parce qu'on pouvait au moins se consoler en se disant qu'Iggy et les autres faisaient ça pour le pognon, ce qui n'est probablement pas le cas d'un type aussi radical que Shields. D'une part, la discographie du groupe témoignait d'une progression évidente, qui rendait l'écoute successive de ses EPs et albums absolument passionnante (voir par ailleurs). Le chef-d’œuvre Loveless s'écrivait sous nos yeux ; il venait couronner des années de réflexion sur la pop, le son, l'écriture en général. Il était un aboutissement, une consécration (rappelons d'ailleurs qu'Isn't Anything?, son prédécesseur, est lui aussi un incontournable). Et, en ce sens : une époque à lui tout seul. mbv, quelle que soit sa qualité, sort de nulle part et ne se raccroche à rien. Il n'a pas ce paratexte qui rendait Loveless fascinant, ou plutôt son seul paratexte est-il d'être le bâtard de Loveless trop longtemps perdu pour ce monde. Surtout, une partie non-négligeable de l'aura contemporaine de My Bloody Valentine découle aussi directement du mythe entourant ce silence qui n'en finit pas. Pas entièrement : les deux... premiers albums du groupe, et notamment le second deuxième ont été encensés dans le monde entier, ce dernier s'étant même effroyablement bien vendu pour une œuvre aussi peu accessible au grand public. Mais il serait absurde de croire que c'est uniquement de cela que provenait le culte et la fascination suscités par le groupe, et pas du tout de la manière dont son leader s'est muré en lui-même durant presque vingt-deux-ans. Quelle était la première chose que l'on disait il n'y a pas si longtemps à un gosse de 20 ans, au moment de lui faire découvrir My Bloody Valentine ?

On pourra me rétorquer que ce n'est pas si important. Que Shields n'allait pas se mette à sortir des albums solo pour me faire plaisir, qu'il n'a pas - c'est un fait - à être garant de l'histoire du rock. On aura tort. Il en fait partie, il a largement contribué à l'écrire, ne serait-ce que parce que Loveless vit depuis vingt ans avec le titre assez absurde de dernier album à avoir changé la face du rock (comme s'il avait eu à s'enorgueillir de la pauvreté musicale des décennies suivantes... et comme si c'était vraiment vrai). C'est quelque chose qui a un sens, bien plus... infiniment plus que l'existence de ce nouvel album. Je comprends que l'on puisse se réjouir de sa parution ; moi, je ne peux pas. Je n'aime pas cette époque où les groupes se reforment, où le passé et les vieux refusent de mourir, où dans la même phrase on va déplorer que la musique pop d'aujourd'hui n'invente plus rien tout en célébrant le retour censément fracassant de telle ou telle vieille gloire. On a souvent écrit dans ces pages que les jeunes groupes respectaient trop leurs aînés, qu'ils n'arrivaient pas à se défaire de leur ombre tutélaire. Mais comment le pourraient-il quand ces aînés sont toujours là, vendent six fois plus qu'eux et trustent toutes les têtes d'affiches de festivals, toutes les couvertures de magazines ? Comment le pourraient-ils quand le public lui-même paraît moins que jamais capable de laisser crever ses vieilles idoles pour aller s'en chercher de nouvelles ? Comment le pourraient-ils quand les fans et la critique rock - c'est particulièrement vrai en France - sont un amas de trentenaires/quadras/quinquas nostalgiques d'époques qu'ils auront passé plus de temps à fantasmer qu'à vivre ?


En publiant un nouveau My Bloody Valentine, qu'il le veuille ou non, Kevin Shields soulève aussi ces questions-là, bien au-delà de son petit cas personnel d'artiste mégalo et capricieux. Plus que n'importe quel autre avant lui (parce qu'il était plus doué et plus en phase avec son temps), il souligne ce paradoxe étrange voulant que le fait que public comme critiques sur-sacralisent des époques révolues les amène à la désacralisation la plus totale, celle qui célèbre des reformations de groupes qui n'auraient jamais dû se reformer, des résurrections de noms que nous n'avions pas besoin de réentendre, des publications d'albums fantômes qu'au fond de nous nous préférions tous dans nos rêves. Plutôt que s'en protéger, les artistes marchent là-dedans, comme un seul homme. Ils piétinent nos souvenirs, ils piétinent la bande-son de nos moments les plus intimes pour... quoi, en fait ? Le pognon ? Pour certains, sans doute. Satisfaire leurs égos démesurés ? Dans ce cas précis : assurément. On ne leur a donc jamais dit, à tous ces artistes soi-disant pop, que leur musique ne leur appartenait pas ? Qu'elle était à nous et que chacun d'entre nous la modelait à sa guise ? Que la beauté d'une histoire vient aussi - pas uniquement mais : aussi - de ce qu'elle s'achève un jour ? Le rock est une musique romantique qui n'aime rien tant qu'à célébrer sa propre mythologie. Quel que soit le bout par lequel on le prend, un groupe de vieux revenant sur le devant de la scène, que ce soit pour ramasser l'argent ou avec l'envie sincère de rajouter un chapitre à une histoire déjà terminée... cela n'a rien de romantique. Et il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt en disant que le cas de MBV est différent des autres, parce que l'histoire demeurait inachevée. mbv (l'album) ne se veut pas un épilogue, et quand bien même si l'on découvrait demain un manuscrit secret de Kafka dévoilant la fin du Château, cela n'en bouleverserait pas moins les fondements de la littérature. Supposer que - hypothèse farfelue choisie au pif - la femme de L'Origine du Monde avait un visage, ce n'est pas juste une simple anecdote marrante pour chroniqueurs oisifs du Grand Journal. C'est un tremblement de terre esthétique. En un sens, en publiant un nouveau My Bloody Valentine, Shields vient défier le romantisme de son propre public, le mettre en demeure de démythifier son nom. Soudain, il n'est plus un génie emmuré dans son propre perfectionnisme, mais un type qui a juste mis très très longtemps à terminer son troisième LP. Soudain, Loveless n'est plus le requiem du rock à guitares, cette œuvre tellement radicale que même ses auteurs semblaient ne pas savoir lui donner de suite. Soudain, la légende est devenue une réalité quelconque (MBV publie des disques comme n'importe quel groupe - comme tout le monde) se heurtant à ce que nous savons, croyons, sentons - ou voulons croire ou voulons savoir. Il sera sans doute intéressant, dans les prochaines années, de voir la place que mbv se taillera dans la mémoire collective des fans de rock. La réponse semble évidente, mais sait-on jamais ? Je parlais plus haut des Stooges... par curiosité : connaissez-vous une personne, une seule, qui considère aujourd'hui l’œuvre des Stooges comme une tétralogie et non comme une trilogie plus un quatrième album inutile et à contre-temps ?


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