Deuxième volet de notre trilogie hivernale consacrée au seul chauve à avoir jamais pris le surnom Divin Chauve au premier degré. Un épisode que l'Assemblée des Corganologues Unis (soit Mister Guic 'the Old, Lord Xavier of the Blinking Lights et votre serviteur) vous promet plein de surprises, de rebondissements, d'émotion et... je déconne, nous parlons toujours de Billy Corgan. Bien qu'il s'agisse sans doute de l'épisode réservant le plus de surprises, il sera comme les autres essentiellement composé de Mégalomanie, de Concept-Albums et de Prétention Bouffie (ce qui se voit encore plus lorsqu'on est chauve : je sais de quoi je parle). Et là vous vous dites : Attends, ils ont commencé au numéro 21, ils ont déjà fait sept albums la semaine dernière, donc il ne devrait quasiment plus y avoir que des éloges, non ? C'est bien mal nous connaître, et encore plus mal connaître Billy, aka L'Homme qui arrive toujours à mettre au moins un truc totalement grossier en plein milieu d'un Rembrandt du rock alternatif. Et qui en plus, en ressort souvent très fier.
The Aeroplane Cart Flies Way Too High.
14. Cotillions (William Patrick Corgan, 2019)
S'il est bien un registre dans lequel on n'aurait jamais attendu Billy Corgan, c'est la country pépère au coin du feu avec des violons vibrionnants et des jolis chœurs féminins. Sorti en toute discrétion et largement éclipsé par la reformation des Smashing Pumpkins originaux, Cotillions décroche sans conteste la palme de disque le plus improbable de son auteur. Pour la première fois depuis des lustres, Billy n'y donne jamais l'impression de jouer à être Corgan – il esquive presque tous ses vieux gimmicks vocaux, s'écarte de la grandiloquence devenue inhérente à son personnage et produit, dans l'ensemble, une œuvre sincère, de bonne tenue, signée par un quinquagénaire tardivement converti aux joies de la paternité. Tellement sincère, à vrai dire, qu'elle en sonne presque faux par moments. C'était donc lui qu'on aimait depuis tout ce temps ? Un homme doux, raffiné, qui croit en l'Amour Vrai et les choses simples ? Rien que pour la facette qu'il dévoile de son auteur, et accessoirement parce qu'il contient quelques unes de ses plus belles chansons (« Fragile, The Spark », « Cotillions », « Like Lambs »), Cotillions aurait mérité une meilleure place dans ce classement. On sait malheureusement comme le naturel peut avoir tendance à nous rattraper au galop, surtout quand on écrit des chansons intitulées "Buffalo-quelque chose". Comme tous les albums de Corgan depuis tellement longtemps qu'on a envie d'écrire toujours, Cotillions est bien trop long pour son propre bien. Il reste cependant, à titre tout à fait personnel et quitte à contredire mon post sur ATUM, le seul genre d'album que j'attende réellement de Corgan aujourd'hui – inégal peut-être, mais authentique, humain, et susceptible de me rappeler qu'un jour, il y a très longtemps, j'ai pu m'identifier à cet individu. THOMAS(#14)
[Guic', #16]Moins bon qu'Ogilala, mais la B.O. idéale pour être misérable à Frontierland.[Xavier, #16]Billy the Kid joue au Cow Boy et tente la country, ce qui ne lui va ni au teint ni au chant, pendant haut et court une poignée de bonnes compos au milieu d’abominations fiddlisées.
13. Teargarden by Kaleidoscope, vol. 4 : Monuments to an Elegy (The Smashing Pumpkins, 2014)
En tant qu'ultime opus d'une période où Corgan a fini par gonfler jusqu'à l'indéboulonnable batteur Jimmy Chamberlin, mais aussi successeur de l'infâme Oceania, mais encore coitus interruptus d'un concept grotesque, mais enfin disque des Smashing Pumpkins affichant Tommy Lee à son casting... Monuments avait à peu près tous les pré-requis pour finir en queue de classement et être unanimement salué comme le pire album du groupe. Aussi improbable que cela puisse paraître, ce n'est pas le cas. Sans trop qu'on sache pourquoi car rien ne paraît avoir changé en surface, Monuments enfonce sans grande difficulté son prédécesseur mais également, sur pas mal de points, ses successeurs pourtant enregistrés avec le « vrai » groupe. Court, aéré, souvent catchy, l'album ne fait pas d'étincelles mais n'est pas dénué de bons moments (même « Being Beige », dont on aime tant se moquer entre initiés). Plus curieux encore, il réussit dans ses temps les plus forts (« Tiberius », « Drums + Fife » et bien sûr l'impeccable « Monuments ») à sonner plus Pumpkins que tout ce que feront les Pumpkins une fois les deux James revenus au bercail. Pas de quoi casser trois pattes à un non-fan, mais une bizarrerie dont même les chiffres de vente ne justifiaient pas vraiment de tout jeter à la poubelle. Mais bon : Corgan, quoi. THOMAS(#13)
[Guic', #15]L’album le plus court du groupe dans les faits… mais pas forcément dans le ressenti. C’est pas souvent qu’un album nous déçoit dès les titres de chansons. Les chansons relèvent pas le niveau.[Xavier, #13]Alternant gros son metal et pop un peu niaise, Monuments to an Elegy n'est ni emballant ni repoussant, ni créatif ni ridicule: un album beige, quoi.
Si l'on se base sur la pochette, l'album aurait plutôt dû s'appeler Elegy to a Monument, mais ne soyons pas chiens lions : dans un sens comme dans l'autre, cette phrase ne veut rien dire.
12. Machina II – The Friends & Enemies of Modern Music (The Smashing Pumpkins, 2000)
Album le plus difficile à classer de cette liste, Machina II est à la fois pourri par le concept de son prédécesseur, ses conditions de publication, les innombrables démos de meilleure qualité surgies depuis sur le Net, et sa propre postérité. Ça fait beaucoup pour un ouvrage n'ayant jamais été plus que l'esquisse de ce qu'il aurait pu être, et à propos duquel on ne rappellera jamais assez que c'est le geste qui compte. Machina II a été balancé gratuitementillégalement sur Internet car Virgin ne voulait pas le sortir, ni laisser ses auteurs le terminer. Nous sommes en 2000. Le streaming n'existe virtuellement pas et arranger, mixer, mastériser, presser un album coûte un bras, même quand vous vous appelez Billy Corgan. La plupart des artistes de sa génération, celle du vieux monde des Majors surpuissantes, n'auraient juste rien fait et laissé les bandes pourrir dans un carton. Billy, lui, est entré en guerre (à bon escient, une fois n'est pas coutume). Avec les moyens du bord. Alors oui, les trois quarts des titres ne sont pas mixés, un bon tiers existe ailleurs dans de meilleures versions, il y a des alternate takes qui n'ont rien à faire là et même une reprise cheloue de James Brown. Croyez bien qu'à l'époque, tout le monde s'en foutait. Machina IIétait un cadeau inestimable que nous faisait un mec habitué à demander un paquet en sortant du magasin et qui se retrouvait du jour au lendemain avec un rouleau de scotch et du papier kraft. Oublier cela est passer à côté de l'essentiel : nous aurions pu vivre sans jamais entendre (ou pas avant très longtemps) « Let Me Give the World to You », « Real Love » et les autres. Plus de vingt ans après, des millions de fans espèrent encore, dans un mélange de sincère curiosité et de pulsion complétiste douteuse, qu'une version "définitive" sortira un jour. C'est pourtant fort mal connaître Corgan que de supposer que c'est la poignante version piano-voix d'« If There Is God » qui serait parue si l'album avait été terminé, plutôt que l'espèce de bouillabaisse homonyme qu'on retrouve sur la fin. C'est bien son incomplétude et le moment charnière durant lequel il a été publié qui font de Machina II un album unique non seulement dans la discographie du groupe, mais carrément dans l'histoire du rock. THOMAS(#12)
[Guic', #12]Sans la fan-base et le community manager de Radiohead, tout le monde s’en fout de tes premières technologiques. Et puis maintenant que les meilleurs titres ont sortis en version bien plus audibles sous forme de démos, tout le monde s’en fout de tes chansons aussi. Adieu l’ami je t’aimais bien, mais tu verras probablement plus jamais la platine.
[Xavier, #14]Assemblage foutraque de démos, de revisites médiocres de titres de MACHINA et d'inédits regroupés artificiellement en un album difficilement écoutable aujourd'hui, Machina II symbolise tristement la fin d'une époque pour les Pumpkins même s'il s’y cache quelques-unes des dernières pépites de Corgan.
11. Teargarden by Kaleidoscope, vol. 1 & 2 – Song for a Sailor / The Solstice Bare (The Smashing Pumpkins, 2010)
Teargarden by Kaleidoscope est une série de chansons inspirées par le tarot. Il fallait bien finir par le poser quelque part : c'est fait. Officieusement, c'est le nom de la période la plus bizarre et expérimentale de Corgan, entre effets d'annonce improbables, productivité débridée et changements de line-up dignes d'un groupe de metal extrême nordique. N'étant plus aujourd'hui synonyme que de souffrance auditive et de concerts bourrins (les auteurs de cet article ont payé pour le savoir), on en oublie souvent que cette période avait commencé de manière particulièrement prometteuse, avec deux EPs de quatre titres auxquels on aurait bien du mal à reprocher quelque chose. « A Song for a Son » est trop longue mais fait toujours son petit effet, « Astral Planes » et « Tom Tom » sont dispensables sans être infamantes et le reste est... bien. Décousu presque par définition, s'agissant d'une époque où Corgan semble tester tout ce qui lui passe par la tête (de l'electro au psyché en passant par la power-pop), mais... oui : bien. On ne peut pas qualifier autrement des « Widow Wake My Mind », « Freak U.S.A. » ou « Spangled » – tous auraient fait des singles acceptables à l'époque où le groupe était crédible. On attend les mémoires de Corgan pour comprendre à quel moment Teargarden s'est effondré sur lui-même, ou du moins le déduire des passages où il expliquera que les Illuminati ont tout foutu par-terre. Bon. Ce n'est probablement pas le chapitre qu'on guettera avec le plus d'impatience. Mais on le lira avec curiosité, attention, et probablement quelques regrets (connards d'Illuminati). THOMAS(#7)
[Guic', #9]Contient certaines des meilleures chansons signées Smashing Pumpkins post-reformation. Pourquoi ne pas avoir continué ainsi ? Ce qui s’est passé entre l’EP 2 et Oceania est un grand drame de la musique contemporaine autant qu’un mystère. D’aucuns accusent encore Courtney Love.[Xavier, #17]L'indifférence d'alors n'a pas bougé d'un iota à la réécoute.
Il y avait le même papier-peint chez moi quand j'étais gamin, mais c'était dans une chambre d'amis et mes parents avaient la politesse de ne jamais inviter les leurs à rester dormir.
10. Gish (The Smashing Pumpkins, 1991)
Après diverses expériences musicales se soldant par autant d'échecs, Billy Corgan trouve enfin des acolytes à sa mesure et fonde les Smashing Pumpkins dans l'effervescence rock de Chicago. Leur premier album Gish est à part dans la discographie du groupe, d'abord parce que les influences hard et psyché y sont encore très marquées, ensuite parce que c'est le seul à être envisagé comme l'œuvre d'un groupe et non la création du seul leader assisté de musiciens. Gish est donc un album assez peu singulier, d'autant que la prod ne le met pas vraiment en valeur, et qui ne contient pas encore les solides tubes qui naitront peu après. En revanche les compositions sont aérées, avec notamment un rôle solide donné à la basse qu'on ne verra plus qu'occasionnellement chez les Pumpkins par la suite, et toutes sont plutôt convaincantes (en particulier celles qui s'étalent en accélérations dont j'ai toujours été féru) même si elles ne prennent vraiment leur ampleur que dans l'exercice live. Un coup d'essai qui n'est donc pas un coup de maitre mais reste un très digne représentant du rock indé de l'époque. XAVIER(#6)
[Guic', #11]Un album de qualité, qui souffre aujourd’hui de sembler n'être que le brouillon de son successeur.[Thomas, #16]Un son tellement daté qu'on se sent pousser des rides au coin de la bouche chaque fois qu'on fredonne un extrait... en voilà une belle excuse pour oublier que la moitié des titres de Gish sont simplement chiants comme une fête d'Halloween où vous êtes la seule personne sans déguisement.
9. Zeitgeist (The Smashing Pumpkins, 2007)
C’est l’histoire d’un groupe qui n’a rien compris à sa propre histoire. Qui se reforme quand plus personne n’en espère la reformation (probablement surtout parce qu’en solo le leader marque moins les esprits). Qui se reforme… à demi. Et qui décide de repartir comme au bon vieux temps. Le bon vieux temps, c’est là que le bât blesse. Car si Zeitgeist est très clairement un album appréciable, avec une face A très « old school Pumpkins » et une face B très « chutes de Zwan », il donne l’impression de ne pas comprendre à qui il s’adresse1. Car cet album de reformation sonne… très Siamese Dream. Or en 2007, si la reformation des Smashing Pumpkins intéresse qui que ce soit, ce sont les fans die-hard qui ont survécu au virage Adore (a minima), pas les vieux grungeux (équivalent Gen X des vieux punks) qui, probablement, ont délaissé le groupe vers 1997 et attendent la sortie du prochain Nickelback. Pour dresser un parallèle, si demain Radiohead sort The Bends 2, bien sûr qu’on va pas bouder son plaisir, mais on va longtemps se demander ce qu’il s’est passé. Et malgré tout, être un petit peu déçu. Voilà, Zeigeist c’est ça. Bien sûr il y a une tentative bruitiste de 10 minutes. Oui on s’emmerde en face B, même si un ou deux titres dessus sont de très bonnes surprises. Oui les singles défoncent. C’est un album des Pumpkins, quoi. Mais on aurait voulu plus. La suite nous montrera que… peut être que c’était quand même ce qu’ils avaient de mieux à nous offrir. La nostalgie l’emportera. Mais pas celle sur laquelle ils voulaient capitaliser. GUIC'(#7)
1.A fortiori si on regarde de l’autre côté de la console, le duo de producteurs embauché étant responsable, respectivement, de Queen II et de Chocolate Starfish and the Hotdog Flavored Water, constituant un grand écart à faire rougir Nadia Comaneci.
[Thomas, #10]Ou comment après avoir passé quinze ans à essayer d'être considéré comme un songwriter subtil plutôt que comme un rocker bourrin, fût-il très bon, Billy finit par se faire à l'idée que rocker bourrin, ça vend quand même mieux, surtout s'il est très bon.[Xavier, #10]Un sacré paquet de bons titres de gros rock appuyé dont certains rivalisent avec les tubes de la première période, mais un manque de fragilités et de nuances qui accompagnaient la rage d'antan font de Zeitgest un album de retour inégal et un peu frustrant.
À ce stade, il n'est pas impossible que vous attendiez un épisode hors-série consacré aux pochettes de Billy. Malheureusement, à ce stade, nous n'avons plus aucune vanne à la hauteur.
8. Mary Star of the Sea (Zwan, 2003)
Il fallait être là. Je déteste cette phrase, mais elle me paraît indispensable pour pouvoir justifier à quel point, à sa sortie, l’album de Zwan constituait une (délicieuse) anomalie. Billy Corgan ouvre son premier album "solo" sur … quelque chose qui sonne quand même très jangle pop. Et joyeux. Et on ne s’y attendait pas. Avec le temps et les sorties suivantes, on a eu l’occasion d’entendre beaucoup plus de ses productions sonner de façon similaire, mais jamais comme ça. Cette anomalie est belle jusque dans son unicité. Il suffit d’écouter « Honestly » (single lancé en éclaireur à l’époque) pour réaliser que rien (à part, certes, « Untitled », dernier inédit du groupe "offert" sur le best of Rotten Apples) ne pouvait préparer à cette joyeuseté, cette légèreté qu’offre ce groupe sur son unique album. Il n’est cependant pas exempt de défauts : c’est un album Corganien des années 2000 donc la Face A est parfaite, et la Face B nous offre un morceau (beaucoup) trop long, mais les défauts ne sont pas aussi marqués qu’ils le seront dans les années à venir. Mais c’est aussi parce que ce disque tue le malentendu qui court à ce moment là depuis dix ans au sujet du groupe. Heavy, donnant dans l’autodétestation, rencontrant le succès au début des années 90, les Smashing Pumpkins ont vite été catalogués "grunge", quand bien même leur origine géographique aurait dû les en priver. Cependant, plus important : outre Black Sabbath, aucune des références du grunge n’est une référence revendiquée de Corgan, qui, avec les Pumpkins, reprenait Fleetwood Mac et Cheap Trick plutôt que les Melvins, Meat Puppets ou autre bizarrerie indie comme d’autres (suivez mon regard). Et Zwan d’être le grand disque de Rock à Papa de Corgan. En un sens il est logique qu’il ait déçu les fans de longue date : c’est un disque pour les fans de T-Rex et de Boston, clairement pas la continuité évidente de la direction prise sur les derniers albums des Pumpkins originaux. Cela dit, vous auriez dû vous en douter quand on a annoncé 3 guitaristes dans le groupe.
C’est une merveille, qui demande plus d’ouverture d’esprit que les (encore eux) vieux grungeux ne veulent généralement offrir à un disque révérant ce que les années 70 ont pu offrir de plus mainstream, mais aussi de plus fun. GUIC'(#6)
[Thomas, #6]Comme à chaque disque depuis 1996, Billy vient de rencontrer Dieu – sauf que cette fois-ci, il l'a trouvé sympa et a décidé que ce serait son pote.[Xavier, #11]Corgan phagocyte un supergroupe prometteur sur le papier et accouche d’un album mi-Pop mi-Pumpkins qui ne va pas au bout des ambitions affichées.
Ce n'est pas encore une tradition mais déjà un peu une habitude : on se quitte avec la playlist de cet article, concoctée par l'ami GUIC' après délibérations de l'Assemblée des Corganologues Unis.
Rendez-vous la semaine prochaine pour le grand final.