...
C'était donc cela. Le projet fou et mégalo de Ryan Murphy (pléonasme). Non pas une série. Non pas plusieurs séries. Mais une anthologie. De l'horreur, de l’angoisse, évidemment. De l'Amérique, aussi, de ses peurs et de ses contradictions et de ses tabous ancestraux. Tout était déjà là, dans le titre : American Horror Story, dont le choix du singulier n'est sans doute pas aussi hasardeux qu'il en a l'air. Cette seconde saison, affublée du sous-titre Asylum, a beau n'avoir strictement rien à voir avec la précédente, elle n'en semble pas moins raconter la même longue histoire. Celle d'une Amérique s'étouffant dans son vomi, étranglée par des valeurs contradictoires, bouffie de sa peur de l'autre. Celle d'un inconscient collectif révulsé par le mensonge autant qu'il le fascine, d'un pays ayant élevé l'auto-subversion au rang d'art majeur.
En ce sens la première saison d'American Horror Story ne pouvait être qu'un simple échauffement. Manière de poser les bases d'un show à l'image de l'Histoire (avec un grand H) qu'il entend explorer, à la fois sulfureux et outrageusement puritain, trash et moral presque dans le même temps. Le truc, c'est qu'il y a encore un an, on ne le savait pas encore. On n'avait aucun moyen de le savoir. Dans ces pages, la chronique avait beau se conclure par la phrase "American Horror Story fonctionne comme une compilation des angoisses de l'Amérique puritaine [...] et comme le Menu Maxi Best of de sa littérature horrifique.", j'étais tout de même bien loin du compte. Et si l'on a pu prendre beaucoup de plaisir à suivre les (més)aventures de la famille Harmon, il faut bien reconnaître qu'en comparaison, cette première saison a des airs de brouillon mal fagoté et peu digeste, malgré une profondeur thématique évidente et de grandes qualités stylistiques.
De style, d'ailleurs, il est immédiatement question lorsque démarre Asylum. Comme pour n'importe quelle œuvre parvenue à maturité, l'identité esthétique de la série est à la fois similaire et bien mieux maîtrisée, beaucoup moins clipesque et irritante, notamment, que dans une première saison parfois montée à tronçonneuse. L'écriture comme le casting sont au diapason : dans Asylum, le bond qualitatif est impressionnant ; tout est plus cohérent, solide, crédible et calculé que dans ce premier tome qui, péché murphyien aussi commun qu'exaspérant, partait volontairement dans tous les sens histoire de masquer (plutôt bien, avouons-le) les béances narratives. Un peu à l'image du jeu de Jessica Lange, en fait, hier second rôle déjanté et cabot, aujourd'hui premier rôle dense multipliant les facettes avec un grand naturel.
Pourtant paradoxalement, Asylum ne diffère pas tant que cela du précédent chapitre. On en retrouve l'essentiel, ce goût pour l'hyperbole, cette surenchère quasi pathologique (extra-terrestres, mutants, serial-killer, monstruosités en tout genre et même le Diable en personne - fichtre : mais que restera-t-il pour la saison trois ?), ces ellipses innombrables, l'éternelle tentation du grand-guignol... etc. Mais cela passe bizarrement mieux - infiniment mieux, même. Avant toute autre chose parce que la réalisation atteint un degré de perfection rarement vu dans une série de Ryan Murphy (voire dans une série télé, tout court), ajoutant au soin désormais habituel apporté au visuel d'innombrables trouvailles ponctuelles. Ensuite parce que l'écriture est resserrée autour de l'intrigue principale, et ne s'encombre plus de ces histoires secondaires dont on ne comprenait pas toujours l'utilité (tout au plus pourra-t-on reprocher ici un épilogue n'en finissant plus de conclure, mais ces épisodes sont tellement bons que la remarque s'annule d'elle-même). Enfin parce que si le propos demeure globalement le même, l'objectif poursuivit est radicalement différent. Ainsi Asylum ne cherche-t-elle plus à effrayer qu'en de très rares moment. La peur, à tout le moins au sens littéral, n'est pas ce qu'elle poursuit en priorité. A travers sa traque sans merci des fanatismes (qu'ils soient religieux, scientifiques ou même people), elle vise avant tout - et réussit - à créer un sentiment d'oppression comme on en avait pas éprouvé devant une série télé depuis l'époque lointaine d'Oz. Dans American Horror Story : Asylum, tout est gris, sombre, fermé. Les extérieurs sont très peu nombreux (et nocturnes la moitié du temps), la violence est partout et la sécurité, nulle part. Ceci se répercute évidemment sur les personnages : dans la première saison, le spectateur pouvait occasionnellement se raccrocher aux personnages de Connie Britten ou de Taissa Farmiga, qui tout torturés qu'ils étaient demeuraient indiscutablement des individus honnêtes, pour lesquels on s'inquiétait mais qui n'avaient eux-mêmes rien d'inquiétant en soi. Ici, rien de comparable. La quasi totalité des caractères est au minimum dévorée par son orgueil, et les deux seuls héros à être à peu près positifs (Kit et Grace) sont à ce point écrasés par la machine de l'institut de Briarcliff qu'ils ne sont d'aucun apaisement pour le spectateur. Le résultat de cela, c'est qu'on est saisi par un sentiment d'insécurité extrêmement puissant du début à la fin de chaque épisode, sentiment bien plus générateur d'angoisse, dans le fond, que les éclats gore que s'autorise désormais la série (et qui paraissent presque ludiques en regard de l'atmosphère de torture mentale qui y règne). Il y a de fait une malice évidente de la part de Murphy à ainsi opérer une inversion des rôles entre les personnages : le Diable est sans doute bien plus humain que les humains qui l'entourent, de même que Bloodyface, ce monstre impie, s'avère bien plus lucide et raffiné que les fanatiques qui peuplent le reste de la série. On en vient même à se dire, c'est assez fort, que finalement la Sœur Jude est la moins pourrie du lot : après tout, avec toutes les limites conceptuelles que lui imposent et son époque, et son dogme, elle a au moins ce mérite de vouloir sincèrement aider les patients, toute sadique qu'elle puisse paraître et toutes destructrices que puissent s'avérer ses méthodes.
C'est d'ailleurs à n'en point douter sur elle que se focalisera le final de ce soir, qui symbolise à elle seule l'éclatante réussite de la série, personnage volontiers monstrueux réduit en quasi esclavage par la société dans laquelle il évolue (à l'instar de la plupart des femmes du show), et pour qui l'au bout du compte on ne peut s'empêcher d'éprouver pitié et compassion. D'une certaine manière, avec toute la bizarrerie et toutes les circonvolutions qui lui sont propres, American Horror Story : Asylum constitue une réflexion étrange et plus subtile qu'il y paraît sur le Pardon, au sens le plus littéral du terme. Des trois principaux axes (les deux autres étant - on l'aura tous compris tant ils sont évoqués avec la subtilité d'un coup de boule - l'acceptation de la différence et la violence faite aux femmes dans l'avant-révolution sexuelle), c'est le plus discret, mais ce n'est pas le moins fort tant la question de la transcendance et de la rédemption sont omniprésentes dans le récit, jusqu'à littéralement se substituer à lui par instants. Le résultat s'avère ainsi conforme aux attentes (en mieux) : encore plus sulfureux et dérangeant - donc encore plus moral et empathique.
American Horror Story (saison 2 : Asylum), créée par Ryan Murphy et Brad Falchuk (FX, 2012-13)
C'était donc cela. Le projet fou et mégalo de Ryan Murphy (pléonasme). Non pas une série. Non pas plusieurs séries. Mais une anthologie. De l'horreur, de l’angoisse, évidemment. De l'Amérique, aussi, de ses peurs et de ses contradictions et de ses tabous ancestraux. Tout était déjà là, dans le titre : American Horror Story, dont le choix du singulier n'est sans doute pas aussi hasardeux qu'il en a l'air. Cette seconde saison, affublée du sous-titre Asylum, a beau n'avoir strictement rien à voir avec la précédente, elle n'en semble pas moins raconter la même longue histoire. Celle d'une Amérique s'étouffant dans son vomi, étranglée par des valeurs contradictoires, bouffie de sa peur de l'autre. Celle d'un inconscient collectif révulsé par le mensonge autant qu'il le fascine, d'un pays ayant élevé l'auto-subversion au rang d'art majeur.
En ce sens la première saison d'American Horror Story ne pouvait être qu'un simple échauffement. Manière de poser les bases d'un show à l'image de l'Histoire (avec un grand H) qu'il entend explorer, à la fois sulfureux et outrageusement puritain, trash et moral presque dans le même temps. Le truc, c'est qu'il y a encore un an, on ne le savait pas encore. On n'avait aucun moyen de le savoir. Dans ces pages, la chronique avait beau se conclure par la phrase "American Horror Story fonctionne comme une compilation des angoisses de l'Amérique puritaine [...] et comme le Menu Maxi Best of de sa littérature horrifique.", j'étais tout de même bien loin du compte. Et si l'on a pu prendre beaucoup de plaisir à suivre les (més)aventures de la famille Harmon, il faut bien reconnaître qu'en comparaison, cette première saison a des airs de brouillon mal fagoté et peu digeste, malgré une profondeur thématique évidente et de grandes qualités stylistiques.
De style, d'ailleurs, il est immédiatement question lorsque démarre Asylum. Comme pour n'importe quelle œuvre parvenue à maturité, l'identité esthétique de la série est à la fois similaire et bien mieux maîtrisée, beaucoup moins clipesque et irritante, notamment, que dans une première saison parfois montée à tronçonneuse. L'écriture comme le casting sont au diapason : dans Asylum, le bond qualitatif est impressionnant ; tout est plus cohérent, solide, crédible et calculé que dans ce premier tome qui, péché murphyien aussi commun qu'exaspérant, partait volontairement dans tous les sens histoire de masquer (plutôt bien, avouons-le) les béances narratives. Un peu à l'image du jeu de Jessica Lange, en fait, hier second rôle déjanté et cabot, aujourd'hui premier rôle dense multipliant les facettes avec un grand naturel.
Pourtant paradoxalement, Asylum ne diffère pas tant que cela du précédent chapitre. On en retrouve l'essentiel, ce goût pour l'hyperbole, cette surenchère quasi pathologique (extra-terrestres, mutants, serial-killer, monstruosités en tout genre et même le Diable en personne - fichtre : mais que restera-t-il pour la saison trois ?), ces ellipses innombrables, l'éternelle tentation du grand-guignol... etc. Mais cela passe bizarrement mieux - infiniment mieux, même. Avant toute autre chose parce que la réalisation atteint un degré de perfection rarement vu dans une série de Ryan Murphy (voire dans une série télé, tout court), ajoutant au soin désormais habituel apporté au visuel d'innombrables trouvailles ponctuelles. Ensuite parce que l'écriture est resserrée autour de l'intrigue principale, et ne s'encombre plus de ces histoires secondaires dont on ne comprenait pas toujours l'utilité (tout au plus pourra-t-on reprocher ici un épilogue n'en finissant plus de conclure, mais ces épisodes sont tellement bons que la remarque s'annule d'elle-même). Enfin parce que si le propos demeure globalement le même, l'objectif poursuivit est radicalement différent. Ainsi Asylum ne cherche-t-elle plus à effrayer qu'en de très rares moment. La peur, à tout le moins au sens littéral, n'est pas ce qu'elle poursuit en priorité. A travers sa traque sans merci des fanatismes (qu'ils soient religieux, scientifiques ou même people), elle vise avant tout - et réussit - à créer un sentiment d'oppression comme on en avait pas éprouvé devant une série télé depuis l'époque lointaine d'Oz. Dans American Horror Story : Asylum, tout est gris, sombre, fermé. Les extérieurs sont très peu nombreux (et nocturnes la moitié du temps), la violence est partout et la sécurité, nulle part. Ceci se répercute évidemment sur les personnages : dans la première saison, le spectateur pouvait occasionnellement se raccrocher aux personnages de Connie Britten ou de Taissa Farmiga, qui tout torturés qu'ils étaient demeuraient indiscutablement des individus honnêtes, pour lesquels on s'inquiétait mais qui n'avaient eux-mêmes rien d'inquiétant en soi. Ici, rien de comparable. La quasi totalité des caractères est au minimum dévorée par son orgueil, et les deux seuls héros à être à peu près positifs (Kit et Grace) sont à ce point écrasés par la machine de l'institut de Briarcliff qu'ils ne sont d'aucun apaisement pour le spectateur. Le résultat de cela, c'est qu'on est saisi par un sentiment d'insécurité extrêmement puissant du début à la fin de chaque épisode, sentiment bien plus générateur d'angoisse, dans le fond, que les éclats gore que s'autorise désormais la série (et qui paraissent presque ludiques en regard de l'atmosphère de torture mentale qui y règne). Il y a de fait une malice évidente de la part de Murphy à ainsi opérer une inversion des rôles entre les personnages : le Diable est sans doute bien plus humain que les humains qui l'entourent, de même que Bloodyface, ce monstre impie, s'avère bien plus lucide et raffiné que les fanatiques qui peuplent le reste de la série. On en vient même à se dire, c'est assez fort, que finalement la Sœur Jude est la moins pourrie du lot : après tout, avec toutes les limites conceptuelles que lui imposent et son époque, et son dogme, elle a au moins ce mérite de vouloir sincèrement aider les patients, toute sadique qu'elle puisse paraître et toutes destructrices que puissent s'avérer ses méthodes.
C'est d'ailleurs à n'en point douter sur elle que se focalisera le final de ce soir, qui symbolise à elle seule l'éclatante réussite de la série, personnage volontiers monstrueux réduit en quasi esclavage par la société dans laquelle il évolue (à l'instar de la plupart des femmes du show), et pour qui l'au bout du compte on ne peut s'empêcher d'éprouver pitié et compassion. D'une certaine manière, avec toute la bizarrerie et toutes les circonvolutions qui lui sont propres, American Horror Story : Asylum constitue une réflexion étrange et plus subtile qu'il y paraît sur le Pardon, au sens le plus littéral du terme. Des trois principaux axes (les deux autres étant - on l'aura tous compris tant ils sont évoqués avec la subtilité d'un coup de boule - l'acceptation de la différence et la violence faite aux femmes dans l'avant-révolution sexuelle), c'est le plus discret, mais ce n'est pas le moins fort tant la question de la transcendance et de la rédemption sont omniprésentes dans le récit, jusqu'à littéralement se substituer à lui par instants. Le résultat s'avère ainsi conforme aux attentes (en mieux) : encore plus sulfureux et dérangeant - donc encore plus moral et empathique.
American Horror Story (saison 2 : Asylum), créée par Ryan Murphy et Brad Falchuk (FX, 2012-13)