Ce n'est pas pour le suspens, que j'attends chaque épisode avec la même impatience. Ce n'est pas pour le casting, même s'il est parfait, ni pour la musique, que je ne trouve d'ailleurs pas toujours très à propos, ni à la hauteur. Ce n'est pas non plus pour l'atmosphère, et si peu pour l'histoire. Si je suis là, chaque semaine, depuis trois ans, c'est pour ce que la série ne montre pas. Pour ce qu'elle ne dit pas. Pour ce qu'elle ne raconte pas – tout en parlant tellement. C'est pour lui aussi, bien sûr. Daniel. Cette silhouette perdue. Cette carcasse souffrante qui avance dans le monde en donnant le sentiment de ne pas bien l'appréhender, de ne jamais pouvoir se fondre en lui. C'est pour cette gestuelle maladroite et ces phrases qui paraissent ne jamais savoir finir. C'est pour cette voix traînante, comme si son propriétaire savourait chaque parole... comme s'il redécouvrait à chaque phrase le plaisir d'articuler. Cette voix qui ressemble à ce corps qui ressemble à cette silhouette qui ressemble, elle, à ce destin. Daniel n'est pas un violeur – ou peut-être que si, qui sait ? Il est peut-être également un tueur, ou non. Ou pas. J'ai perdu le fil de l'intrigue à force de n'avoir d'yeux que pour le mouvement lent, hésitant de cette carcasse au milieu des corps. Daniel est différent. C'est tout. Il a quelque chose d'un animal, dans sa grâce comme dans ses maladresses comme dans sa manière de défier les constructions sociales rien qu'en les fixant de son regard doux – si doux. Il n'est pas aussi triste qu'il en a l'air, mais jamais aussi amusé qu'il peut occasionnellement en donner l'impression. Il est comme tous ces gens, donc un peu comme toi et moi, qui ne savent pas vraiment où est leur place. Sa voix ne sonne juste que lorsqu'elle résonne dans ses souvenirs – ou lorsqu'il monologue. Doit-elle répondre ou pire : converser, qu'elle redevient alors ce souffle rauque, inquiétant aux yeux des gens normaux, qui ne savent jamais voir en la différence autre chose qu'une menace indicible. Rien n'est naturel chez Daniel parce que rien n'est facile, pour lui. Ni le sourire, ni le mouvement. Ces choses que les autres font sans y penser semblent requérir chez lui une longue réflexion, peut-être même une répétition minutieuse, comme dans ces moments – il y en a quasiment à chaque saison – où on le voit s'habiller lentement, méthodiquement, comme si c'était la première fois qu'il devait réfléchir à la manière dont le monde allait le percevoir. Il paraît qu'il y a aussi une intrigue, dans Rectify. J'ai même entendu dire que Daniel n'existait pas vraiment – que c'était un acteur, qui jouait un rôle. Je ne sais pas trop quoi penser de tout cela. Ce que je peux affirmer, c'est que Daniel est sans doute l'être le plus vrai, le plus pur, le plus cru que j'aie jamais vu dans une fiction. Ça se termine bientôt, mais cela pourrait durer toujours. Je serais encore là dans vingt saisons, à regarder Daniel ne rien faire avec intensité. Rectify n'est pas une série policière et elle ne parle pas tout à fait de rédemption. Elle ne parle que de lui. Donc, de toi ou de moi. De la différence, et de comment l'on essaie de vivre avec.
La quatrième – et ultime – saison de Rectify débute ce soir sur Sundance Channel.