...
Le football n'est pas un sport de gentlemen. On l'a assez dit ici (et ailleurs). Il ne l'a jamais été et ne le sera jamais, même ripoliné par les millions, Coca Cola et Electronic Arts. Même commenté par Nelson Monfort dans des stades uniquement peuplés de VIP, il conserverait cette violence sous-jacente, continuerait de glorifier les pires canailles. Il ne sait pas faire autrement. Est-ce que Guardiola et ses grands principes, ses dogmes positivistes, son apologie de l'humilité et du fair-play, ont changé le football malgré des années de domination idéologique tant sur le jeu que sur ceux qui le commentaient ? Que dalle : Guardiola avait bâti son Barça sur Busquets, l'une des plus géniales pourritures dont ait jamais accouchées ce sport. Bien habillés et souriants devant les caméras, sous les spotligthts de la FIFA pour recevoir leurs douze mille distinctions, les joueurs de Pep félicitaient leurs adversaires mais, sur le terrain, ils connaissaient tout aux fondamentaux. Simulations au moindre contact, fautes tactiques, passe à dix lorsqu'ils menaient au score (c'est-à-dire à peu près tout le temps). On dit souvent, et à juste titre, que le football est imperméable au concept de beautiful losers. Mais dans le fond, il est tout aussi imperméable à celui de beautiful winners. Les gentlemen n'ont pas leur place dans un jeu où tout peut se décider sur une seule action involontaire.
Le football n'est pas un sport de gentlemen, donc, et pourtant parfois, on se surprendrait presque à le rêver. Il y a plein de manières de perdre et plein d'adversaires susceptibles de vous rappeler le goût de la défaite, mais certains vous la font passer plus doucement que d'autres. Confusément, on aurait sans doute préféré perdre quelques jours plus tôt contre Özil (l'homme qui écrit des tweets si élégants), contre Khedira (le numéro 6 le plus classe du monde), contre Boateng (le Teuton le plus sympa de l'univers depuis Derrick). On aurait plus volontiers accepté que notre Dédé national (pourtant loin d'être un gentleman, c'est là que ça devient drôle) se prenne une déculottée tactique par le grand Joachim Löw (ou par Conte, ou par Del Bosque et sa bonhommie de grand-père philosophe) plutôt que par ce Fernando Santos plus ou moins sorti de nulle part, qui nous aura irrité durant tout le match. On a beau savoir qu'en vrai, le foot ressemble plus souvent à la filouterie de João Mário qu'à la conduite aristocratique de Payet, dans la défaite, on a bizarrement plus de mal à l'accepter que dans la victoire. J'imagine que c'est humain.
Balayons d'un revers de main les reproches qui en quelques semaines sont devenus presque corolaires de toute évocation de nos désormais Champions d'Europe : non, cette Équipe du Portugal n'était pas une mauvaise équipe. Ce n'était peut-être pas la meilleure de la compétition, encore que ce titre soit éminemment subjectif, et l'on pourra toujours ergoter sur le concept de meilleur troisième (qui en gâta d'autres par le passé, sans ternir leurs victoires aux yeux de l'histoire). Mais ce n'était pas ce football dégueulasse qu'ont essayé de nous vendre les commentateurs du dimanche – les mêmes qui se félicitaient encore trois jours avant de la manière dont les Bleus avaient fait déjouer l'Allemagne (rappelons que l'utilisation barbariste du verbe déjouer dans le contexte d'un match de foot signifie rarement – jamais – que le onze concerné a envoyé du rêve). Le Portugal était (beaucoup) mieux organisé, Santos a assuré un meilleur coaching – la victoire ne souffre aucune contestation. En revanche, et c'est peut-être ce qui rend la défaite si amère, il s'agit d'une équipe profondément antipathique. À l'image de sa star de capitaine, ce gros beauf bling bling et over-narcissique qui, tout meilleur joueur du monde qu'il soit, représente à peu près tout ce que n'importe qui ayant trois sous de sens esthétique déteste dans tout domaine autre que le football. Perdre sur un but d'Eder, ce n'est pas pareil que s'incliner sur une passe lumineuse d'Iniesta. Perdre contre des personnages aussi déplaisants que Nani, Quaresma, João Mário, Cédric ou Pepe (immense joueur au demeurant, qui semble presque chaleureux comparé aux autres), ça laisse un drôle de goût dans la bouche. Nous, on voulait bien perdre contre le Portugal – pas de problème. Mais seulement celui de Rui Costa. De Figo, de Deco, de Pauleta. Même de Fernado Couto ! Mais non : eux, c'étaient les beautiful losers. Du moins l'auraient-ils été si ce concept avaient eu le moindre sens appliqué au football. Depuis cette époque pas si lointaine, le Portugal a retenu la leçon. Ces joueurs-là, dans ce qu'ils dégagent, n'ont rien à voir avec ceux que les Bleus adoraient sadiser depuis plus de trente ans. Avant, les mecs venaient du pays d'Eusébio. Aujourd'hui, ils viennent du pays de Mourinho. Presque tout le match de dimanche tient là-dedans.
Parce qu'il faut le dire à nos amis commentateurs, même si ça fait un peu mal de l'admettre. Quand bien même le concept de beautiful losers serait-il applicable au football que ces Bleus-là n'en seraient pas moins des losers – tout court. Un beautiful loser, du moins l'idée que je m'en fais puisque je n'en ai jamais vu sur un terrain de foot, se fait remonter à la dernière seconde des prolongations et perd aux tirs aux buts. Ou bien réussit un parcours extraordinaire pour être défait sur une injustice criante ou à la suite d'un retournement de situation totalement irrationnel. Rien qui s'approche de cette finale où l’Équipe de France n'a jamais semblé en mesure de l'emporter dans le temps réglementaire. Quand tu tapes le poteau, tu tapes le poteau : ce n'est pas un coup du sort, juste une frappe non-cadrée. Il n'y a rien de beautifulà sortir le meilleur passeur (en terme de qualité) et le meilleur tireur de coups de pieds arrêtés si tôt dans un match aussi tendu, obligeant ainsi ton meilleur buteur (en stats) à les tirer lui-même – et l'empêchant donc par conséquent de les reprendre pour les mettre au fond. Il n'y a rien de beautifulà faire un remplacement poste pour poste à un moment où, dans un match totalement verrouillé, tout impose une réorganisation tactique (ce que les Portugais ont su faire. Eux.), avec pourquoi pas l'entrée de quelqu'un capable de jouer long et de marquer de loin – puisqu'il est si compliqué d'arriver à l'intérieur de la surface. Les gens qui pensent sincèrement que les Bleus étaient "meilleurs" avaient dû un peu trop picoler en attendant le coup d'envoi. Les Portugais avaient tout ce qu'il fallait pour aller au bout, et ce qu'ils n'avaient pas, ils ont été le puiser dans leurs tripes. C'est ironique car avant le début de la compétition, nous étions quelques uns à déplorer que cette Équipe de France, si sympathique sur le papier, manque cruellement de grinta, de vice, de... Diarra, en fait (et encore, on se disait déjà ça quand il était là). Une chose en amenant une autre, ces joueurs tout gentils et tout lisses ont réussi la prouesse de nous le faire oublier, en remontant des scores au courage, en battant l'Allemagne d'une manière remarquablement simeonesque. On ne se rappelait déjà presque plus qu'il s'agissait d'une équipe dont le désormais ex-attaquant vedette se vantait encore, il y a quelques mois, de n'avoir jamais pris de carton rouge dans sa carrière professionnelle, comme si cela devait nous indiquer quelque chose quant à son talent ou sa valeur (João Mário, le meilleur portugais sur le terrain dimanche, est le joueur qui a commis le plus de fautes durant la compétition. Surprenant ? Pas trop, non). Peut-être parce que nous sommes le seul pays de football au monde à croire en cette mythologie des beautifuls losers (merci Sainté), on en oublierait presque que notre période dorée était emmenée par des ugly winners, qui ne crachaient jamais sur une petite simulation ici ou là (les Portugais s'en souviennent d'ailleurs encore avec amertume). Mis à part les Français et les supporters du Milan, il est probable que personne n'ait jamais trouvé Marcel Desailly sympathique. Les Deschamps, Karembeu et même Zidane étaient des joueurs assez "virils", pour reprendre l'expression consacrée, qui savaient coller un taquet sans se faire prendre et n'oubliaient jamais dans le cas contraire d'aller mettre un bon coup de pression sur l'arbitre. Rien de tel dans l'équipe du mignon Kanté ou du gentil Sagna. En France, on est plutôt du genre à féliciter les mecs qui défendent debout – oubliant que ceux qui brandissent les trophées à la fin ont rarement le short immaculé. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que cette équipe si naïve (quoique moins qu'il y a deux ans) soit celle de... Deschamps, le plus bourrin de tous nos grands joueurs, jusque dans sa tronche ou son nom de famille. L'un des moments qui m'aura le plus marqué durant cette finale n'a pas eu lieu sur le terrain, mais au micro : alors qu'un Bleu (Coman ?) venait s'empaler pour la énième fois sur Pepe, Jean-Marc Ferreri se rappelait soudain qu'il avait été un bien meilleur joueur que commentateur et s'écriait, probablement sans même y penser : "Mais non ! Mais il fallait plonger, là !!!" Tout était dit, au pays de gens tellement occupés à s'indigner de la main (culottée) d'Eder qu'un quart d'entre eux a probablement loupé le but une minute plus tard. Cette équipe portugaise est profondément antipathique, oui. Mais c'est peut-être bien pour cela qu'elle a gagné. À quelques raisons mystiques près.
Le football a ceci de particulier par rapport à tous les autres sports qu'il est assez réfractaire à l'idée de "mérite". Je ne vous ressors pas ce bon vieux lieu commun voulant que ce soit la seule discipline où le plus faible peut triompher du plus fort (même si c'est vrai). Le meilleur moyen de repérer quelqu'un qui n'y connaît rien est souvent de simplement tendre l'oreille, en attendant qu'il s'exclame que Machin ou Bidule méritait de gagnait. Ce n'est pas que ce principe soit totalement absent de la dialectique footballistique ; disons plutôt qu'il doit subir une certaine réécriture afin d'être correctement appliqué à celle-ci. Il y a de grandes chances que l'athlète remportant la Médaille d'Or ait été celui qui a le mieux couru, qui s'est le mieux entraîné ou qui avait le plus de talent. À la rigueur, un des deux ou trois pouvant entrer dans cette catégorie. En football, c'est un non-sens. C'est d'ailleurs pour cela qu'on l'aime infiniment plus que tous les autres sports. À cette obscure notion de mérite, il préfèrera toujours la force du symbole. La mythologie, si ce n'est la mystique. Dans le pire des cas, faute de mieux, il jettera son dévolu sur les grandes histoires. Les Portugais qui emportent leur premier titre avec leur génération la plus faible depuis trente ans, en passant meilleurs troisièmes, au terme d'une finale contre leur bête noire durant laquelle leur icône se blesse, et où ils sont sauvés par un type dont personne ne comprenait la sélection il y a encore un mois – le tout entraîné par un gars qui il y a deux ans encore dirigeait la... Grèce... voilà une histoire de football presque quintessencielle. Tous les ingrédients sont réunis pour que les fans portugais en parlent encore dans cinquante ans. Cela ne signifierait rien dans un autre sport mais, dans celui-ci, cela constitue presque, en soi, un mérite à part entière – quand j'entendais hier je ne sais plus quel abruti de l’Équipe 21 déclarer que la victoire du Portugal était une défaite pour le football, je me suis dit que ce type devrait être immédiatement licencié pour faute lourde. Quelle aurait été notre histoire, si la France avait gagné cette finale qui pour beaucoup était jouée d'avance ? Aurions-nous vraiment eu une histoire ? Aurions-nous réellement gardé gravée dans notre mémoire l'image de l'excellent-mais-fade-Lloris brandissant la coupe ? Quelqu'un a-t-il jamais réussi à imaginer ce gentleman de Lloris brandissant une coupe, quelle qu'elle soit ? Peut-être bien que nous aurions dû nous douter de quelque chose.
Le football n'est pas un sport de gentlemen. On l'a assez dit ici (et ailleurs). Il ne l'a jamais été et ne le sera jamais, même ripoliné par les millions, Coca Cola et Electronic Arts. Même commenté par Nelson Monfort dans des stades uniquement peuplés de VIP, il conserverait cette violence sous-jacente, continuerait de glorifier les pires canailles. Il ne sait pas faire autrement. Est-ce que Guardiola et ses grands principes, ses dogmes positivistes, son apologie de l'humilité et du fair-play, ont changé le football malgré des années de domination idéologique tant sur le jeu que sur ceux qui le commentaient ? Que dalle : Guardiola avait bâti son Barça sur Busquets, l'une des plus géniales pourritures dont ait jamais accouchées ce sport. Bien habillés et souriants devant les caméras, sous les spotligthts de la FIFA pour recevoir leurs douze mille distinctions, les joueurs de Pep félicitaient leurs adversaires mais, sur le terrain, ils connaissaient tout aux fondamentaux. Simulations au moindre contact, fautes tactiques, passe à dix lorsqu'ils menaient au score (c'est-à-dire à peu près tout le temps). On dit souvent, et à juste titre, que le football est imperméable au concept de beautiful losers. Mais dans le fond, il est tout aussi imperméable à celui de beautiful winners. Les gentlemen n'ont pas leur place dans un jeu où tout peut se décider sur une seule action involontaire.
Le football n'est pas un sport de gentlemen, donc, et pourtant parfois, on se surprendrait presque à le rêver. Il y a plein de manières de perdre et plein d'adversaires susceptibles de vous rappeler le goût de la défaite, mais certains vous la font passer plus doucement que d'autres. Confusément, on aurait sans doute préféré perdre quelques jours plus tôt contre Özil (l'homme qui écrit des tweets si élégants), contre Khedira (le numéro 6 le plus classe du monde), contre Boateng (le Teuton le plus sympa de l'univers depuis Derrick). On aurait plus volontiers accepté que notre Dédé national (pourtant loin d'être un gentleman, c'est là que ça devient drôle) se prenne une déculottée tactique par le grand Joachim Löw (ou par Conte, ou par Del Bosque et sa bonhommie de grand-père philosophe) plutôt que par ce Fernando Santos plus ou moins sorti de nulle part, qui nous aura irrité durant tout le match. On a beau savoir qu'en vrai, le foot ressemble plus souvent à la filouterie de João Mário qu'à la conduite aristocratique de Payet, dans la défaite, on a bizarrement plus de mal à l'accepter que dans la victoire. J'imagine que c'est humain.
Balayons d'un revers de main les reproches qui en quelques semaines sont devenus presque corolaires de toute évocation de nos désormais Champions d'Europe : non, cette Équipe du Portugal n'était pas une mauvaise équipe. Ce n'était peut-être pas la meilleure de la compétition, encore que ce titre soit éminemment subjectif, et l'on pourra toujours ergoter sur le concept de meilleur troisième (qui en gâta d'autres par le passé, sans ternir leurs victoires aux yeux de l'histoire). Mais ce n'était pas ce football dégueulasse qu'ont essayé de nous vendre les commentateurs du dimanche – les mêmes qui se félicitaient encore trois jours avant de la manière dont les Bleus avaient fait déjouer l'Allemagne (rappelons que l'utilisation barbariste du verbe déjouer dans le contexte d'un match de foot signifie rarement – jamais – que le onze concerné a envoyé du rêve). Le Portugal était (beaucoup) mieux organisé, Santos a assuré un meilleur coaching – la victoire ne souffre aucune contestation. En revanche, et c'est peut-être ce qui rend la défaite si amère, il s'agit d'une équipe profondément antipathique. À l'image de sa star de capitaine, ce gros beauf bling bling et over-narcissique qui, tout meilleur joueur du monde qu'il soit, représente à peu près tout ce que n'importe qui ayant trois sous de sens esthétique déteste dans tout domaine autre que le football. Perdre sur un but d'Eder, ce n'est pas pareil que s'incliner sur une passe lumineuse d'Iniesta. Perdre contre des personnages aussi déplaisants que Nani, Quaresma, João Mário, Cédric ou Pepe (immense joueur au demeurant, qui semble presque chaleureux comparé aux autres), ça laisse un drôle de goût dans la bouche. Nous, on voulait bien perdre contre le Portugal – pas de problème. Mais seulement celui de Rui Costa. De Figo, de Deco, de Pauleta. Même de Fernado Couto ! Mais non : eux, c'étaient les beautiful losers. Du moins l'auraient-ils été si ce concept avaient eu le moindre sens appliqué au football. Depuis cette époque pas si lointaine, le Portugal a retenu la leçon. Ces joueurs-là, dans ce qu'ils dégagent, n'ont rien à voir avec ceux que les Bleus adoraient sadiser depuis plus de trente ans. Avant, les mecs venaient du pays d'Eusébio. Aujourd'hui, ils viennent du pays de Mourinho. Presque tout le match de dimanche tient là-dedans.
Parce qu'il faut le dire à nos amis commentateurs, même si ça fait un peu mal de l'admettre. Quand bien même le concept de beautiful losers serait-il applicable au football que ces Bleus-là n'en seraient pas moins des losers – tout court. Un beautiful loser, du moins l'idée que je m'en fais puisque je n'en ai jamais vu sur un terrain de foot, se fait remonter à la dernière seconde des prolongations et perd aux tirs aux buts. Ou bien réussit un parcours extraordinaire pour être défait sur une injustice criante ou à la suite d'un retournement de situation totalement irrationnel. Rien qui s'approche de cette finale où l’Équipe de France n'a jamais semblé en mesure de l'emporter dans le temps réglementaire. Quand tu tapes le poteau, tu tapes le poteau : ce n'est pas un coup du sort, juste une frappe non-cadrée. Il n'y a rien de beautifulà sortir le meilleur passeur (en terme de qualité) et le meilleur tireur de coups de pieds arrêtés si tôt dans un match aussi tendu, obligeant ainsi ton meilleur buteur (en stats) à les tirer lui-même – et l'empêchant donc par conséquent de les reprendre pour les mettre au fond. Il n'y a rien de beautifulà faire un remplacement poste pour poste à un moment où, dans un match totalement verrouillé, tout impose une réorganisation tactique (ce que les Portugais ont su faire. Eux.), avec pourquoi pas l'entrée de quelqu'un capable de jouer long et de marquer de loin – puisqu'il est si compliqué d'arriver à l'intérieur de la surface. Les gens qui pensent sincèrement que les Bleus étaient "meilleurs" avaient dû un peu trop picoler en attendant le coup d'envoi. Les Portugais avaient tout ce qu'il fallait pour aller au bout, et ce qu'ils n'avaient pas, ils ont été le puiser dans leurs tripes. C'est ironique car avant le début de la compétition, nous étions quelques uns à déplorer que cette Équipe de France, si sympathique sur le papier, manque cruellement de grinta, de vice, de... Diarra, en fait (et encore, on se disait déjà ça quand il était là). Une chose en amenant une autre, ces joueurs tout gentils et tout lisses ont réussi la prouesse de nous le faire oublier, en remontant des scores au courage, en battant l'Allemagne d'une manière remarquablement simeonesque. On ne se rappelait déjà presque plus qu'il s'agissait d'une équipe dont le désormais ex-attaquant vedette se vantait encore, il y a quelques mois, de n'avoir jamais pris de carton rouge dans sa carrière professionnelle, comme si cela devait nous indiquer quelque chose quant à son talent ou sa valeur (João Mário, le meilleur portugais sur le terrain dimanche, est le joueur qui a commis le plus de fautes durant la compétition. Surprenant ? Pas trop, non). Peut-être parce que nous sommes le seul pays de football au monde à croire en cette mythologie des beautifuls losers (merci Sainté), on en oublierait presque que notre période dorée était emmenée par des ugly winners, qui ne crachaient jamais sur une petite simulation ici ou là (les Portugais s'en souviennent d'ailleurs encore avec amertume). Mis à part les Français et les supporters du Milan, il est probable que personne n'ait jamais trouvé Marcel Desailly sympathique. Les Deschamps, Karembeu et même Zidane étaient des joueurs assez "virils", pour reprendre l'expression consacrée, qui savaient coller un taquet sans se faire prendre et n'oubliaient jamais dans le cas contraire d'aller mettre un bon coup de pression sur l'arbitre. Rien de tel dans l'équipe du mignon Kanté ou du gentil Sagna. En France, on est plutôt du genre à féliciter les mecs qui défendent debout – oubliant que ceux qui brandissent les trophées à la fin ont rarement le short immaculé. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que cette équipe si naïve (quoique moins qu'il y a deux ans) soit celle de... Deschamps, le plus bourrin de tous nos grands joueurs, jusque dans sa tronche ou son nom de famille. L'un des moments qui m'aura le plus marqué durant cette finale n'a pas eu lieu sur le terrain, mais au micro : alors qu'un Bleu (Coman ?) venait s'empaler pour la énième fois sur Pepe, Jean-Marc Ferreri se rappelait soudain qu'il avait été un bien meilleur joueur que commentateur et s'écriait, probablement sans même y penser : "Mais non ! Mais il fallait plonger, là !!!" Tout était dit, au pays de gens tellement occupés à s'indigner de la main (culottée) d'Eder qu'un quart d'entre eux a probablement loupé le but une minute plus tard. Cette équipe portugaise est profondément antipathique, oui. Mais c'est peut-être bien pour cela qu'elle a gagné. À quelques raisons mystiques près.
Le football a ceci de particulier par rapport à tous les autres sports qu'il est assez réfractaire à l'idée de "mérite". Je ne vous ressors pas ce bon vieux lieu commun voulant que ce soit la seule discipline où le plus faible peut triompher du plus fort (même si c'est vrai). Le meilleur moyen de repérer quelqu'un qui n'y connaît rien est souvent de simplement tendre l'oreille, en attendant qu'il s'exclame que Machin ou Bidule méritait de gagnait. Ce n'est pas que ce principe soit totalement absent de la dialectique footballistique ; disons plutôt qu'il doit subir une certaine réécriture afin d'être correctement appliqué à celle-ci. Il y a de grandes chances que l'athlète remportant la Médaille d'Or ait été celui qui a le mieux couru, qui s'est le mieux entraîné ou qui avait le plus de talent. À la rigueur, un des deux ou trois pouvant entrer dans cette catégorie. En football, c'est un non-sens. C'est d'ailleurs pour cela qu'on l'aime infiniment plus que tous les autres sports. À cette obscure notion de mérite, il préfèrera toujours la force du symbole. La mythologie, si ce n'est la mystique. Dans le pire des cas, faute de mieux, il jettera son dévolu sur les grandes histoires. Les Portugais qui emportent leur premier titre avec leur génération la plus faible depuis trente ans, en passant meilleurs troisièmes, au terme d'une finale contre leur bête noire durant laquelle leur icône se blesse, et où ils sont sauvés par un type dont personne ne comprenait la sélection il y a encore un mois – le tout entraîné par un gars qui il y a deux ans encore dirigeait la... Grèce... voilà une histoire de football presque quintessencielle. Tous les ingrédients sont réunis pour que les fans portugais en parlent encore dans cinquante ans. Cela ne signifierait rien dans un autre sport mais, dans celui-ci, cela constitue presque, en soi, un mérite à part entière – quand j'entendais hier je ne sais plus quel abruti de l’Équipe 21 déclarer que la victoire du Portugal était une défaite pour le football, je me suis dit que ce type devrait être immédiatement licencié pour faute lourde. Quelle aurait été notre histoire, si la France avait gagné cette finale qui pour beaucoup était jouée d'avance ? Aurions-nous vraiment eu une histoire ? Aurions-nous réellement gardé gravée dans notre mémoire l'image de l'excellent-mais-fade-Lloris brandissant la coupe ? Quelqu'un a-t-il jamais réussi à imaginer ce gentleman de Lloris brandissant une coupe, quelle qu'elle soit ? Peut-être bien que nous aurions dû nous douter de quelque chose.