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11/22/63 - C'était vieux avant

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Beaucoup de choses ont changé depuis l'époque où j'étais gamin. En mal, par pas mal d'aspects. Je me plains parfois de certaines mais, dans l'ensemble, je m'adapte à la plupart. Je suis comme ça. Adaptable. Je vis avec mon temps. Je déteste tellement les réacs et je comprends tellement mal les nostalgiques que je dépense beaucoup d'énergie à tenter de ne pas le devenir moi-même. Il y a quelques temps, je suis tombé par hasard sur une émission, Nos années 90, sur D8. Je n'ai pas compris ce que je regardais. Réellement : pas compris. Outre que je trouvais forcément un peu limité de partir du principe que nous avions tous eu les mêmes années quatre-vingt-dix, je ne comprenais pas ce besoin collectif de revoir ensemble des images que l'on n'avait déjà vues pour se rappeler de choses que l'on savait déjà (oui, même le 12 juillet 1998). Car ce n'était pas un documentaire, cette émission. C'était un genre de divertissement commémoratif, déroulant des archives sans véritable recul ni analyse, dans l'unique but de se rappeler. Quoi ? Je l'ignore. Comme c'était bien, j'imagine. Même si dans mon souvenir, ce n'était pas si bien.

(enfin, sauf le 12 juillet 1998)

S'il est une chose qui a bien changé depuis l'époque où j'étais un gamin, et dont je ne me plaindrai assurément jamais, c'est qu'en 2015, on considère Stephen King comme un vrai écrivain - et pas un mauvais. Il est vrai qu'à côté des mega-sellers d'aujourd'hui, il passe aisément pour le plus grand auteur de tous les temps, et on peut se demander avec le recul comment un type capable d'architectures romanesques aussi complexes que It, ou de récits aussi dérangeants que Shining, a pu malgré tout devenir l'une des plus grandes stars de son époque. Ce qui est certain, c'est que voir 11/22/63 encensé par tout ce que la presse compte de critiques bien éduqués et parfaitement ridés relevait de la science fiction quand, en 1991 ou 92, j'ai ouvert pour la première fois Différentes saisons, ému et effrayé. Presque convaincu d'accomplir un geste transgressif en lisant cet auteur dont les livres de poches, tous noirs et frappés de caractères gothiques rouges, constituaient une masse menaçante tout au bout du rayon livres du supermarché, exactement comme les magazines de cul à la maison de la presse. Comme il semble loin, ce monde où les gens de mon âge achetaient des magazines de cul (le plus souvent planqués entre un Rock Sound et un Player One). Plus rien de tout cela n'existe vraiment aujourd'hui ; gamins, titres de presse - même la plupart des lieux où les premiers achetaient (volaient) les seconds s'en sont allés. Et la dernière fois que je suis entré dans un Relay, j'ai été sincèrement étonné d'y voir des romans érotiques trôner en plein milieu des étals, à peine cachés et toutes fortes poitrines offertes. Bien mieux exposés eux aussi, les romans de Stephen King ne se trouvaient évidemment pas bien loin.


Cette longue introduction n'est pas aussi digressive qu'elle le paraît. 11/22/63 parle exactement de cela : de la manière dont nous revivons la mémoire, dont nous réécrivons le passé - collectivement et individuellement. Par l'entremise du souvenir, pour ce qui concerne les humbles mortels que nous sommes ; par celle du voyage dans le temps, pour ce qui est du narrateur de cet anti-roman de science-fiction qui se veut aussi, c'est ce qui le rend si détonnant à notre époque, un anti-roman nostalgique.

Découvrant une faille spatio-temporelle dans l'arrière boutique d'un de ses amis, Jake Epping se retrouve ainsi tenu de réaliser la dernière volonté de cet homme mourant : retourner dans le passé et empêcher l'assassinat de Kennedy afin de changer la face du monde. Un postulat à la Let's Kill Hitler! qui se trouve cependant rapidement relativisé par le manque de glamour absolu de ce qui fait ici office de machine à voyager dans le temps : un quasi placard à balais, sale et puant, qui vous renvoie inlassablement à la même minute de la même journée de 1958. Difficile de faire comprendre de manière plus explicite que l'auteur ne souhaite pas le moins monde écrire une vraie histoire de voyages dans le temps.

De fait, King s'encombre assez peu des règles communément admises dans ce genre d'histoire. Il invente les siennes, à l'image de son personnage et, en somme, à l'image de tout le reste de son œuvre : simples, claires, parfaitement terre-à-terre. 11/22/63, c'est du voyage dans le temps à dimension humaine, dans lequel l'espace-temps ne menace jamais de s'effondrer et où il sera plus important de savoir si Jake rencontrera l'amour que s'il sauvera JFK (ce dont on se fout de la première à la dernière page, et qui n'occupe au final qu'une faible portion du texte). Chaque voyage dans le temps annulant les effets du précédent, et chaque retour vous renvoyant quasiment à l'instant où vous êtes partis, le présent est reconfigurable à volonté et les enjeux narratifs se déplacent rapidement ailleurs. C'est à ce moment-là, celui où l'on comprend que la dimension thriller sera à peu près aussi peu développée que la dimension SF, que l'on prend réellement la mesure de ce remarquable ouvrage.

Dès le départ, en y repensant, il y a quelque chose d'une œuvre à contre-courant dans la manière dont s'amorce le récit. Le roman contient une part d'uchronie mais c'est bien d'une bonne vieille utopie que se nourrit Al Templeton, l'ami du héros et propriétaire de cette remise aux merveilles. Son idée-même d'aller sauver JFK laisse si peu de place à l'hypothèse inverse (empêcher le meurtre du Président empirerait les choses) que l'on devine rapidement que c'est ce qui va se passer. Et si les aventures temporelles de Jake se font dans un premier temps au travers d'un monde idéal, c'est bien tout le contraire que nous affirme l'auteur : l'idéalisation du passé par un vieil homme qui y a accès mais ne s'y aventure jamais assez loin pour en découvrir les coulisses va faire passer l'histoire de l'humanité à deux doigts du désastre. Car non, ce n'était pas mieux avant et King, artiste dont trois secondes d'interview suffisent à souligner à quel point il a les deux pieds dans notre époque, entend bien mettre à profit les quelques huit-cent-quatre-vingts pages suivantes pour le démontrer de manière éclatante. Que le voyage à travers la fin fifties/début sixties commence par une véritable carte-postale de l'Amérique de 1958 n'en est que plus délectable. Sus aux images d’Épinal !

Bien sûr, les figures imposées par le projet ne manquent pas d'affluer : Jake va se heurter au racisme, au sexisme, et toutes autres choses que l'on s'attend à trouver dans un tel environnement. Mais King a été plus loin : documenté comme rarement, lui qui a plutôt tendance à écrire au feeling et à placer ses intrigues dans des univers très proche de sa vie quotidienne, le fin psychologue que l'on connaissait déjà s'applique à re(con)stituer toutes les mœurs d'une époque ; ses personnages secondaires agissent, pensent, rêvent comme des gens des années cinquante, ce qui génère bien des péripéties ainsi que quelques séquences plutôt amusantes - Jake a beau avoir une idée de ce qui l'attend, il surestime fortement l'état d'avancement de la société qu'il s'apprête à parcourir, pour le meilleur (putain, qu'est-ce qu'il bouffe et picole bio, le salopard), comme pour le pire (d'une manière générale, même les personnes les plus progressistes qu'il croisera sur sa route lui sembleront sacrément ethno-centrées et arriérées). L'entreprise de démolition du fantasme est d'autant plus étonnante et séduisante que quelque part, c'est un peu son propre imaginaire que King s'amuse à désosser à grand renfort de livres de sociologie et de rencontres avec des historiens : cette période précise, qui correspond à sa pré-adolescence (il est né en 1947), hante ses texte depuis toujours, si ce n'est de manière directe (It débute en 57 ; The Body se déroule au début des années 60, tout comme Dolores Clairborne et bien d'autres), du moins dans l'imagerie (les décors, d'innombrables objets - 99,9 % des jukebox que j'ai croisés dans ma vie étaient dans des romans de King, sans oublier que Christine était une bagnole de 58...) On lui pardonnera dès lors beaucoup de choses, à commencer par une propension à délayer qui semble de plus en plus marquée avec les années, mais qui trouve une relative justification ici. 11/22/63 n'est pas un roman prenant ni haletant ; il ne cherche jamais à l'être et semble prendre plaisir à se laisser consommer avec lenteur et modération - luttant ainsi à sa manière contre l'autre fléau de notre époque à nous : le zapping. Ici, on prend le temps de réfléchir au temps, et même en l'occurrence de le visiter ou de le contempler, quitte à passer une page et demi sur une odeur nauséabonde ou une atmosphère (effectivement) indescriptible. Si le premier grand mouvement multiplie les allusions à It, on est loin du thriller horrifique qu'on ouvre pour ne plus le lâcher, ce qui n'empêche pas l'errance de valoir sacrément le détour - et le lecteur d'avoir presque envie qu'elle s'éternise un peu. Peut-être pas jusqu'au 12 juillet 1998, mais tout de même.


11/22/63[22/11/63], de Stephen King (Scribner, 2011)

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