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[Taux de spoil : 3 %] Bates Motel est une série charmante, occasionnellement captivante, qu'il est pourtant bien difficile d'aimer entièrement. Ses qualités, nombreuses, ne suffisent pas à toujours à éclipser ses défauts – plus rares, mais suffisamment imposants pour que l'on ait du mal à l'encenser comme elle le mériterait parfois. Ce fut le cas l'an dernier. Ce le fut encore cette année, alors qu'elle offrait successivement deux épisodes exceptionnels ("Norma Louise" et "The Last Supper") sans jamais pour autant dissiper cette impression diffuse qu'elle pourrait être meilleure encore.
Pour ceux qui ne la regarderaient pas, voire ignoreraient jusqu'à son existence, la série développée par Carlton Cuse (Lost) et Kerry Ehrin (Friday Night Lights, The Wonder Years) entend raconter la jeunesse de Norman Bates, avant qu'il ne devienne le fameux tueur de Psychose et alors que sa mère-et-future-seconde-personnalité est encore de ce monde. Un mode prequel aussi éculé que casse-gueule dont les scénaristes se sortaient pourtant étonnamment bien dans les premiers épisodes, au point que Bates Motel ait été l'une des très bonnes surprises de l'exercice 2012-13. Deux ans plus tard et alors que le show est retombé dans un relatif anonymat (en tout cas en regard du buzz qui avait précédé son lancement), le bilan est étrange, tout à la fois positif et un brin paradoxal. La seule chose qui est sûre, en 2015, c'est que Bates Motel ne se prête plus du tout au rapprochement avec Hannibal, débutée presque en même temps et que nous avions évoquée dans un article croisé à l'époque.
En effet tandis que le show de NBC s'est envolé dans des sphères baroques, métaphysiques, parfois douloureusement prise de tête mais terriblement fascinantes (la saison 3 commence le 4 juin, et on n'en peut plus d'attendre), celui d'A&E n'a pas vraiment connu de bond qualificatif, et reste assez fidèle à ses fondements. Les bonnes idées sont toujours là, que ce soit les trouvailles de casting ou les parti-pris qui, discutables au début, se sont avérés payants sur le long terme (le choix de faire de Norma une personne honnête, loin de la mère toxique et abusive des bouquins, comme celui de placer l'histoire à notre époque). Mieux, Bates Motel a su évoluer en troisième saison, en liquidant une bonne fois pour toutes les intrigues lycéennes, qui si elles permettaient de cerner le personnage et les enjeux risquaient de s'enliser dans la caricature de l'individu en décalage avec (et rejeté par) la société (et qui aurait logiquement fini par se retourner contre elle). Cette année, Norman suit des cours à domicile, donc n'en suit plus, travaille pour l'entreprise familiale, donc dans les jupons de sa mère, et ses névroses ne font logiquement que s'accentuer. Bien vu. Bien joué.
Bien joué ? C'est peut-être un peu vite dit. Car au-delà de cette poignée de choix narratifs intéressants, Cuse & Ehrin semblent avoir bien du mal à sortir du statu quo qui fonde leur récit. Norman ne peut pas devenir LE Norman Bates. Pas comme ça, et pas maintenant. Toute l'intelligence des deux producteurs était d'avoir accepté dès le départ cet état de fait, pour transformer leur série en le récit des aventures de Norma, une mère célibataire courageuse aux méthodes éducatives discutables, qui n'a surtout vraiment... mais alors vraiment pas du tout de bol – et seulement en filigranes, parfois presque accessoirement : une relation un peu trop proche avec son fils. Le hic, c'est ce que ce qui était une indéniable qualité au début du show aurait tendance, sur la durée, à devenir son principal défaut. En d'autres termes, à force de digressions et d'intrigues périphériques pas toujours heureuses visant uniquement à repousser l'inéluctable craquage du fiston, Bates Motel, qui depuis son pilote n'a jamais été aussi forte que dans la confrontation de ses deux héros, a tendance à stagner sévère. En racontant des choses parfois intéressantes, certes. En donnant même, paradoxalement, le sentiment d'avancer à pas feutrés vers cette fin que l'on connaît déjà tous. Sauf qu'en utilisant habilement le déni dans lequel vit la mère du psychopathe, les scénaristes ont trouvé une excellente astuce pour justifier à peu de frais un statu quo difficilement tenable au-delà d'une ou deux saisons. Ainsi, l'état de Norman, son enfermement dans la folie, continue d'empirer par petite touches successives (et Freddie Highmore de se faire de plus en plus flippant), mais comme l'héroïne a un talent inné pour glisser ce genre de chose sous le tapis, nos auteurs semblent ne voir aucune bonne raison de se priver de faire de même. Au bout de dix épisodes, on avait tendance à trouver la méthode plutôt subtile. Au bout de vingt-neuf, on ne saurait trancher avec certitude entre l'habileté et la paresse. De même que l'on a d'une manière générale beaucoup de mal à déterminer si Bates Motel est une série ambitieuse mais limitée, ou au contraire un show ne prenant jamais le moindre risque et se reposant sur des éclats ponctuels n'ayant la plupart du temps aucune conséquence.
Aussi, après chaque crise, qui correspond toujours aux meilleurs moments de la saison (voire cette fois-ci l'excellente triplette composée par les épisodes 6 à 8), la série peut-elle s'en retourner à son habituel remplissage, de plus en plus plan plan et de moins en intrigant. Norma s'interroge sur la psyché de Norman tout en entretenant son comportement psychotique, il leur arrive une demi-douzaine de nouvelles tuiles, Norma baise un mec de passage, le frère retourne faire ses trucs qui n'intéressent personne dans son coin, Nestor Carbonell enquête à deux à l'heure sur des meurtres banals n'ayant aucun rapport avec l'intrigue principale, etc. On a la désagréable impression de regarder chaque année la même chose, et entre nous : cela commence à sérieusement se voir que Nestor et Max Thieriot sont les héros de spin off n'ayant que peu voire pas de rapport avec le Bates Motel (mais occupant tout de même près de la moitié du temps d'antenne).
Au final en dépit des apparences, on arrive à chaque fin de saison exactement au point où l'on en était un an avant, avec juste un Norman légèrement plus fêlé qu'au début. Ce qu'on appelle – aussi effrayante que puisse paraître la comparaison – le syndrome Smallville. Ou comment des scénaristes pris au piège du prequel se retrouvent obligés de sans cesse jouer la montre pour repousser aux calendes grecques ce que tout le monde attend (en l'occurrence : Norman qui bute tout le monde, à commencer par sa mère). Rappelons que Smallville a tout de même duré dix ans avant que Clark Kent n'y devienne Superman, dont au moins la moitié où il l'était déjà sans en avoir le titre ni les attributs. Les scénaristes de Hannibal, on y revient, ont d'ailleurs été confrontés au même problème, qu'ils ont résolu en faisant une fois pour toutes table-rase de la pré-existence des livres et des films. Mais c'était évidemment beaucoup plus facile : il y a bien de plus de matière à adapter chez Thomas Harris. Plus de lieux, plus de personnages. Sans parler du fait que Hannibal Lecter ait un passé beaucoup plus riche et fascinant que celui de Norman Bates, qui n'est jamais qu'un gamin fan de taxidermie affligé d'un énorme complexe d’œdipe. L'idéal serait sans doute qu'il se décide enfin à liquider sa mère (et son frère, et sa petite amie, et si possible aussi Nestor Carbonell), et que les saisons suivantes le suivent au début de sa carrière de serial killer. Malheureusement, on imagine mal les scénaristes assassiner l'intégralité du casting, à commencer par la véritable héroïne de la série. Il est donc très probable que l'année prochaine (le final de cette saison sera diffusé ce lundi), on se retrouve à nouveau avec les mêmes très bons personnages secondaires inutilisés dans les mêmes médiocres intrigues, remplissant les mêmes 40 % d'épisodes n'étant pas consacrés au couple Bates mère et fils. Et que ce sera toujours plutôt bien, excellent une fois toutes les cent minutes, moyen toutes les... etc. A moins bien sûr qu'une deadline sur la fin du show ne vienne bousculer le train train quotidien de la famille la plus dysfonctionnelle de la télé US. Ce pourrait être la meilleure chose qui puisse leur arriver. Bates Motel n'est de toute façon plus à un paradoxe près.
Bates Motel (saisons 2 & 3), créée par Carlton Cuse, Kerry Ehrin et Anthony Cipriano, d'après le personnage de Robert Bloch (A&E ; 2014-15)
[Taux de spoil : 3 %] Bates Motel est une série charmante, occasionnellement captivante, qu'il est pourtant bien difficile d'aimer entièrement. Ses qualités, nombreuses, ne suffisent pas à toujours à éclipser ses défauts – plus rares, mais suffisamment imposants pour que l'on ait du mal à l'encenser comme elle le mériterait parfois. Ce fut le cas l'an dernier. Ce le fut encore cette année, alors qu'elle offrait successivement deux épisodes exceptionnels ("Norma Louise" et "The Last Supper") sans jamais pour autant dissiper cette impression diffuse qu'elle pourrait être meilleure encore.
Pour ceux qui ne la regarderaient pas, voire ignoreraient jusqu'à son existence, la série développée par Carlton Cuse (Lost) et Kerry Ehrin (Friday Night Lights, The Wonder Years) entend raconter la jeunesse de Norman Bates, avant qu'il ne devienne le fameux tueur de Psychose et alors que sa mère-et-future-seconde-personnalité est encore de ce monde. Un mode prequel aussi éculé que casse-gueule dont les scénaristes se sortaient pourtant étonnamment bien dans les premiers épisodes, au point que Bates Motel ait été l'une des très bonnes surprises de l'exercice 2012-13. Deux ans plus tard et alors que le show est retombé dans un relatif anonymat (en tout cas en regard du buzz qui avait précédé son lancement), le bilan est étrange, tout à la fois positif et un brin paradoxal. La seule chose qui est sûre, en 2015, c'est que Bates Motel ne se prête plus du tout au rapprochement avec Hannibal, débutée presque en même temps et que nous avions évoquée dans un article croisé à l'époque.
En effet tandis que le show de NBC s'est envolé dans des sphères baroques, métaphysiques, parfois douloureusement prise de tête mais terriblement fascinantes (la saison 3 commence le 4 juin, et on n'en peut plus d'attendre), celui d'A&E n'a pas vraiment connu de bond qualificatif, et reste assez fidèle à ses fondements. Les bonnes idées sont toujours là, que ce soit les trouvailles de casting ou les parti-pris qui, discutables au début, se sont avérés payants sur le long terme (le choix de faire de Norma une personne honnête, loin de la mère toxique et abusive des bouquins, comme celui de placer l'histoire à notre époque). Mieux, Bates Motel a su évoluer en troisième saison, en liquidant une bonne fois pour toutes les intrigues lycéennes, qui si elles permettaient de cerner le personnage et les enjeux risquaient de s'enliser dans la caricature de l'individu en décalage avec (et rejeté par) la société (et qui aurait logiquement fini par se retourner contre elle). Cette année, Norman suit des cours à domicile, donc n'en suit plus, travaille pour l'entreprise familiale, donc dans les jupons de sa mère, et ses névroses ne font logiquement que s'accentuer. Bien vu. Bien joué.
Non, vous ne rêvez pas : Tracy Spiridakos a rejoint Nestor Carbonell au casting de Bates Motels. Visiblement, ses scénaristes aiment les handicaps. Et les DRAWAS !
Bien joué ? C'est peut-être un peu vite dit. Car au-delà de cette poignée de choix narratifs intéressants, Cuse & Ehrin semblent avoir bien du mal à sortir du statu quo qui fonde leur récit. Norman ne peut pas devenir LE Norman Bates. Pas comme ça, et pas maintenant. Toute l'intelligence des deux producteurs était d'avoir accepté dès le départ cet état de fait, pour transformer leur série en le récit des aventures de Norma, une mère célibataire courageuse aux méthodes éducatives discutables, qui n'a surtout vraiment... mais alors vraiment pas du tout de bol – et seulement en filigranes, parfois presque accessoirement : une relation un peu trop proche avec son fils. Le hic, c'est ce que ce qui était une indéniable qualité au début du show aurait tendance, sur la durée, à devenir son principal défaut. En d'autres termes, à force de digressions et d'intrigues périphériques pas toujours heureuses visant uniquement à repousser l'inéluctable craquage du fiston, Bates Motel, qui depuis son pilote n'a jamais été aussi forte que dans la confrontation de ses deux héros, a tendance à stagner sévère. En racontant des choses parfois intéressantes, certes. En donnant même, paradoxalement, le sentiment d'avancer à pas feutrés vers cette fin que l'on connaît déjà tous. Sauf qu'en utilisant habilement le déni dans lequel vit la mère du psychopathe, les scénaristes ont trouvé une excellente astuce pour justifier à peu de frais un statu quo difficilement tenable au-delà d'une ou deux saisons. Ainsi, l'état de Norman, son enfermement dans la folie, continue d'empirer par petite touches successives (et Freddie Highmore de se faire de plus en plus flippant), mais comme l'héroïne a un talent inné pour glisser ce genre de chose sous le tapis, nos auteurs semblent ne voir aucune bonne raison de se priver de faire de même. Au bout de dix épisodes, on avait tendance à trouver la méthode plutôt subtile. Au bout de vingt-neuf, on ne saurait trancher avec certitude entre l'habileté et la paresse. De même que l'on a d'une manière générale beaucoup de mal à déterminer si Bates Motel est une série ambitieuse mais limitée, ou au contraire un show ne prenant jamais le moindre risque et se reposant sur des éclats ponctuels n'ayant la plupart du temps aucune conséquence.
Aussi, après chaque crise, qui correspond toujours aux meilleurs moments de la saison (voire cette fois-ci l'excellente triplette composée par les épisodes 6 à 8), la série peut-elle s'en retourner à son habituel remplissage, de plus en plus plan plan et de moins en intrigant. Norma s'interroge sur la psyché de Norman tout en entretenant son comportement psychotique, il leur arrive une demi-douzaine de nouvelles tuiles, Norma baise un mec de passage, le frère retourne faire ses trucs qui n'intéressent personne dans son coin, Nestor Carbonell enquête à deux à l'heure sur des meurtres banals n'ayant aucun rapport avec l'intrigue principale, etc. On a la désagréable impression de regarder chaque année la même chose, et entre nous : cela commence à sérieusement se voir que Nestor et Max Thieriot sont les héros de spin off n'ayant que peu voire pas de rapport avec le Bates Motel (mais occupant tout de même près de la moitié du temps d'antenne).
The Weeds Motel, le spin off de Bates Motel avec de la marijuana et Lem de The Shield, entame cette année sa seconde saison.
Bates Motel (saisons 2 & 3), créée par Carlton Cuse, Kerry Ehrin et Anthony Cipriano, d'après le personnage de Robert Bloch (A&E ; 2014-15)